Comme un oiseau dans l'air - Clinic n° 05 du 01/05/2009
 

Clinic n° 05 du 01/05/2009

 

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PASSIONS

Sarah ELKAÏM  

Propos recueillis par

Jérôme Varoqui est de ceux qu'on appelle passionnés. Voler, s'élever dans les airs, est le grand plaisir de ce chirurgien-dentiste. Le quadragénaire est intarissable sur le parapente, qu'il a longtemps pratiqué à un haut niveau de compétition. Installé comme omnipraticien depuis une dizaine d'années à Strasbourg, ce père de trois jeunes enfants continue aujourd'hui de parcourir les courants du ciel, librement.

D'où vous vient cet « appel des airs » ?

J. Varoqui : J'ai toujours aimé les sports aériens. Enfant, je m'amusais à construire des modèles réduits de différents objets volants. Et puis, en 1989, j'ai retrouvé un bon copain, étudiant en pharmacie, qui pratiquait le parapente, et j'ai eu envie d'essayer moi aussi. C'était alors l'époque héroïque de ce sport : pour 500 francs de l'époque, on s'achetait une aile et c'était parti ! J'ai ainsi débuté avec une ancienne aile de compétition. Je me suis lancé seul, sans prendre de cours - ce n'était pas très strict en ce temps-là - mais j'ai eu la chance d'être entouré de très bons parapentistes, comme Grégory Blondeau, qui a été champion d'Europe.

Vous avez eu la chance de bénéficier de conditions idéales...

J. Varoqui : J'ai pu effectivement voler rapidement, et progresser, en toute liberté. Avoir débuté quand j'étais étudiant était un grand atout: les deux premières années, j'avais beaucoup de temps libre et j'ai pu voler pendant des heures avant mon installation en cabinet. Mais ma plus grande chance, c'est de ne pas m'être blessé !

Comment avez-vous pu ensuite concilier cette passion et l'entrée dans la vie active ?

J. Varoqui : La solution était de se lancer dans la compétition, que j'ai débutée il y a 10 ans. Quand on vole à ce niveau, on reçoit un planning chaque mois, on s'inscrit pour des vols à l'avance : tout est organisé, encadré, sécurisé pour faire de grands vols.

Vous évoquez la sécurité : le parapente est-il un sport dangereux ?

J. Varoqui : C'est la vie qui est dangereuse ! Le parapente, comme beaucoup de sports, devient dangereux à partir du moment où on recherche la performance. Dans mon parcours de parapentiste, j'ai malheureusement été confronté aux décès d'une douzaine de personnes que j'avais vu voler... Mais l'autre face du risque, c'est l'adrénaline, et ça, c'est très excitant ! Les limites que je m'étais fixées, c'est que je n'étais jamais obligé de prendre des risques. Malgré tout, les accidents sont inévitables: il m'est arrivé de passer à 100km/h à 50 cm d'un rocher, j'ai été sauvé par les arbres... J'ai vécu plusieurs collisions entre parapentes, et il m'est arrivé trois fois de sortir mon aile de secours pour sauver ma vie.

Ce sont les sensations ressenties en vol qui vous poussent à continuer ?

J. Varoqui : L'air, c'est comme un ruisseau, ça court un peu partout, ça monte, ça descend, et le vent va parfois plus vite que nous. Le parapente, c'est les chaussures de l'air : c'est comme s'il n'y avait pas d'intermédiaire entre vous et l'air. Quand on vole, on ne sent pas l'aile, on se dirige avec son propre corps, et non grâce à un objet comme en deltaplane ou en ULM. Et puis, être dans les airs, c'est vraiment un moyen de se couper de la réalité terrestre : vous êtes comme un oiseau et votre vie ne tient qu'à un fil... enfin, à plusieurs ! Parfois, on vole juste à côté d'un rapace, il se laisse guider par les courants d'air qu'on prend, c'est fabuleux !

Quels sont les moments d'anthologie de votre carrière de parapentiste ?

J. Varoqui : Des choses un peu interdites, mais qu'on peut faire dans des endroits plus ou moins déserts, comme traverser les nuages à 1 500 mètres de haut : la Terre est alors toute petite en dessous de soi ! Jouer avec le relief procure aussi des sensations incroyables : quand le vent est dévié au-dessus d'un talus, on peut se placer dans le courant et voler indéfiniment. Vous avez alors dans les mains une immense balançoire avec des ficelles de 8mètres de haut de chaque côté... J'ai eu mes « moments de gloire » en compétition, comme lorsque j'ai été classé dixième au championnat de France en 2003, ou encore une de mes participations en coupe du monde : on passe 5 épreuves en 1 semaine, et sur l'un des vols, j'ai été deuxième sur le podium !

Votre passion vous a permis de parcourir le monde...

J. Varoqui : J'ai volé au Mexique, en Turquie, en Grèce... En compétition, on est amené à voyager un peu partout ! Et ce n'est jamais la même chose... La Réunion, par exemple, est un endroit très particulier pour le parapente: l'île est très escarpée, on est toujours coincé entre un nuage et un volcan, c'est très sauvage et parsemé de grosses ravines... Les vols sont très techniques, on est souvent au ras du sol, il faut beaucoup de chance pour réussir son vol !

Et aujourd'hui ?

J. Varoqui : J'ai la chance d'habiter une région où je peux continuer à voler de temps en temps dans de beaux endroits. J'habite à côté de la colline de Mundolsheim, qui présente 45 mètres de dénivelé. Elle est orientée nord-ouest, ça veut dire qu'on peut y voler pendant des heures... J'ai pu voler au-dessus de Strasbourg, planer de la cathédrale jusqu'à la Forêt-Noire, c'était une de mes plus belles balades. Au bout du compte, je comptabilise une centaine d'heures de vol, c'est une tranche de vie ! J'y repense avec une certaine nostalgie... Le parapente m'a beaucoup appris : c'est un sport qui vous oblige à rester très humble, car l'air sera toujours plus fort que vous.

Quelles répercussions au quotidien ?

Mon métier de chirurgiendentiste me permet de gérer mon emploi du temps comme je veux. Je peux me permettre d'être très souple, j'aurai toujours du travail. Quand je faisais de la compétition, je prenais 10 semaines de vacances chaque année, pour participer à la coupe du monde et au championnat de France : plusieurs week-ends de 4 jours pour les épreuves, et 5 semaines consacrées à ma famille. Le parapente à haut niveau exige une vie de célibataire et, aujourd'hui, je suis papa de 3 enfants ! J'ai arrêté la compétition il y a 3 ans et, en même temps, j'ai quasi arrêté de voler... mais j'emporte tout de même mon parapente quand je pars en vacances !