Clinic n° 07 du 01/07/2021

 

Dossier

Mickael COTELLE*   Xavier VAN BELLINGHEM**  


*Ancien attaché en Chirurgie maxillo-faciale, CHRU de Lille
**Chargé d’enseignement au DU d’Implantologie de Lille. DU d’Occlusodontie/Ostéopathie. Occlusodontie exclusive, Arras.
***DE de kinésithérapie. MCU-PH, Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg

Bien que le recours aux orthèses (gouttières) occlusales soit parfois remis en cause, cela reste indéniablement un outil de choix dans la prise en charge des DTM. Très intéressantes de par leur aspect évolutif et réversible, elles sont en général efficaces à condition de respecter certains critères de conception et de se fixer les bons objectifs.

TERMINOLOGIE ET DÉFINITION

Le terme de gouttière est discuté par de nombreux auteurs, désireux d’avoir recours à une dénomination plus « scientifique », le terme d’orthèse lui étant parfois préféré ! Cependant, orthèse est un mot générique prêtant à confusion, même si l’on précise orthèse occlusale. De fait, cliniquement, ces dispositifs seront régulièrement appelés « gouttières occlusales », dénomination connue de tous et notamment des patients et confrères du monde médical, francophone tout du moins [1].

INDICATIONS

Dawson résume l’indication principale des gouttières occlusales par ces mots : « la fonction première des dispositifs inter-occlusaux est d’éviter que le contrôle des rapports intermaxillaires ne soit géré par l’intercuspidation existante ».

De façon plus concrète, les gouttières occlusales serviront donc à ré-harmoniser le fonctionnement neuro-musculo-articulaire. L’indication est forte pour les patients présentant un bruxisme nocturne. Gardons tout de même à l’esprit que les gouttières occlusales ne feront évidemment pas disparaître ce bruxisme et n’auront que rarement un effet sur les bruits articulaires puisque leur rôle n’est pas de chercher à rétablir le complexe condylo-discal initial (en dehors de la gouttière de repositionnement ou d’antéposition).

Elles trouveront également une indication préventive en limitant les effets délétères d’un bruxisme sur les surfaces dentaires, naturelles ou non [2, 3] (figure 1).

Enfin, on pourra y avoir recours afin de déterminer et fixer une position thérapeutique en vue d’un traitement ortho-chirurgical.

CLASSIFICATIONS

Il n’y a pas de classification, ni même de dénomination, consensuelle. Cependant, nous retrouverons fréquemment les termes de gouttière de Ramfjord, gouttière de reconditionnement musculaire, gouttière ou plaque de libération occlusale, gouttière « anti-bruxisme » (terminologie très inappropriée). Et, pour les dispositifs à visée articulaire prioritaire, gouttière de décompression, (figure 2) gouttière d’antéposition, gouttière de repositionnement.

Enfin, nous pouvons citer certains dispositifs partiels, JIG de Lucia/butée occlusale de Abjean (figure 3), NTI ou hémi-gouttières, non détaillés dans cet article car n’étant pas classiquement indiqués dans la prise en charge des DTM (la butée est toutefois utilisée par certains en première intention afin d’objectiver puis d’éliminer toute présence de prématurités).

À noter : les noms en gras présentent un réel intérêt puisque, évoquant le but recherché dans leur dénomination, ils apportent une facilité de compréhension, y compris pour les patients.

OBJECTIFS ET MODES D’ACTIONS DES PRINCIPALES GOUTTIÈRES OCCLUSALES

Plaque de libération occlusale

Elle a pour objectif l’autodétermination d’une occlusion équilibrée (position mandibulaire idéale au niveau musculaire) par le patient [4]. Par « équilibrée », on entend une relation intermaxillaire ne nécessitant pas ou nécessitant peu d’adaptation musculo-articulaire à chaque passage par l’OIM (déglutition physiologique, mastication, contacts para-fonctionnels).

Elle permettra ce retour à l’équilibre en « camouflant » les malocclusions (notamment les éventuels contacts prématurés) et, avec elles, les déséquilibres mandibulaires générateurs de tensions musculo-articulaires [4]. En effet, gouttière en bouche, l’influx sensoriel et tactile des dents est redistribué, faisant disparaître les engrammes (mémoire neuro-musculaire) néfastes. Une plaque bien équilibrée permettra, selon Perry [5], de supprimer les hypertonies musculaires. Une simple diminution ainsi qu’une symétrisation du tonus correspondent à un objectif plus humble et suffisant en général pour provoquer une amélioration des symptômes dits musculaires que sont les myalgies locales mais aussi les douleurs cranio-cervicales fréquemment associées. De nombreuses études ont d’ailleurs confirmé que les forces de serrage sont moindres sur les gouttières qu’en occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) [2].

Gouttière de décompression

Elle a pour objectif de créer une diminution de la compression intra-articulaire, uni ou bilatérale, source de dyskinésie et/ou douleur.

Elle permettrait d’obtenir un effet de décompression (notion de distension) (figure 4), en favorisant une bascule mandibulaire provoquée par des contacts uni ou bilatéraux postérieurs. L’efficacité, constatée cliniquement en général, de ces gouttières de décompression pourrait surtout être liée à une stabilisation transversale de la mandibule, une adaptation musculaire à la recherche d’un nouvel espace libre de repos et à un réflexe de protrusion.

Gouttière de repositionnement ou gouttière d’antéposition (GAP)

Elle a pour but de modifier la position de la mandibule et donc des condyles mandibulaires. La finalité idéaliste, voire utopiste, est de repositionner le disque sur la tête condylienne. Actuellement, l’objectif « plus modeste » est de libérer la zone rétro-discale [1] et de permettre une cicatrisation de cette zone amenant à la création d’un néo-disque. Si, dans certains cas, le disque reprendra sa place (cas de DTM de grade I par exemple), ce ne sera qu’un « bonus ». Il faut prévenir le patient du risque de récidive de la luxation (ou désunion condylo-discale). Pour atteindre cet objectif, les gouttières de repositionnement modifieront la relation intermaxillaire en déplaçant, stabilisant et maintenant la mandibule dans une position thérapeutique choisie, plus antérieure et parfois accompagnée d’un recentrage transversal.

SYNTHÈSE SUR LES MODALITÉS D’ACTION

Les gouttières occlusales bien réalisées montrent leur efficacité malgré un mode d’action qui n’est pas toujours bien cerné car probablement multifactoriel. Parmi les facteurs de succès mis en avant, nous retrouvons :

– un effet placebo, lié à la gouttière elle-même et/ou à la satisfaction du patient d’être (enfin) écouté et pris en charge ;

– un effet mécanique via la correction de bascule du plan d’occlusion et/ou de perte de DVO ;

– un effet articulaire via la décompression (uni ou bilatérale) et/ou le repositionnement (figure 4) ;

– un effet musculaire de diminution de l’hyperactivité des élévateurs via la modification neuro-sensorielle induite. Ceci sera d’autant plus perçu par les patients dans les cas d’instabilité transversale de l’OIM, contexte interdisant une cicatrisation articulaire et une symétrie du tonus musculaire. À ce sujet, la présence de prématurité sur le chemin de fermeture peut être considérée comme l’ennemi numéro 1, donc à gérer en première intention (unique indication d’une équilibration occlusale soustractive de première intention pour la prise en charge des DTM) avant même une éventuelle pose de gouttière occlusale.

IMPÉRATIFS

Nous pouvons citer 6 impératifs communs à tous types de gouttières si l’on espère une quelconque efficacité.

• Stabilité sagittale et transversale.

• Absence de latéro-glissement mandibulaire en fin de fermeture.

• Absence de blessures muqueuses (les appuis muqueux ne sont d’ailleurs pas recommandés).

• Recouvrement de l’intégralité de l’arcade (sous peine d’égressions) [6].

• Confort permettant une bonne observance.

• Matériau autorisant un rebasage de l’extrados, voire de l’intrados, permettant une évolutivité.

MATÉRIAUX

Matériaux durs

Ce sont les résines auto ou chémo-polymérisables, qui présentent une rigidité finale importante (figure 5). Elles ont comme principal avantage une longévité importante, à condition de respecter une certaine épaisseur, notamment en postérieur. Trop fines, elles risquent une casse rapide. Parmi les inconvénients, nous relèverons un inconfort lié au volume mais aussi à cette rigidité, une difficulté relative à adapter en bouche si la gouttière n’est pas stable directement lors de l’insertion, une perturbation phonatoire durable ainsi qu’une possible et fréquente mise en tension réactionnelle des muscles élévateurs et de leurs antagonistes du fait de l’envahissement complet de l’espace libre de repos, les patients signalant alors fréquemment des céphalées et/ou cervicalgies naissantes ou évolutives.

Matériaux semi-rigides

Ce sont certaines résines thermoformées (figure 2). Elles présentent une rigidité à mi-chemin entre les résines précédentes et les matériaux souple qui seront décrits ensuite. Pour tester cette flexibilité partielle, un test simple existe : les bords postérieurs de la gouttière finalisée ne doivent pas pouvoir être mis en contact sous pression digitale. Cette propriété amène de nombreux avantages : elles seront parfaitement ajustées et stables en bouche, sans appui muqueux, d’une épaisseur suffisante de 1,5 mm en moyenne, et ne perturberont pas la phonation, en plus d’être discrètes. Elles seront également re-basables et donc évolutives. Elles sont contre-indiquées sur les arcades édentées partiellement, sous peine d’une casse rapide (quelques mois).

Matériaux souples

Ce sont aussi des résines thermoformées, mais dont la consistance finale évoque les gouttières d’éclaircissement (dont elles sont en fait la seule indication), déformables à souhait. Cette consistance provoque à court terme une hyperexcitabilité [6] des muscles élévateurs et de leurs antagonistes, provoquant l’effet inverse de celui recherché [7].

Synthèse

À ce jour, tout le monde s’accorde pour ne préconiser que les matériaux durs et semi-rigides dans le cadre de la prise en charge des DTM musculaires ou mixtes, quand le recours à une phase de gouttière est nécessaire. Concernant l’arcade qui doit être support, aucun consensus n’existe. Toutefois, on retrouve dans la littérature des arguments, plus ou moins recevables, mettant en avant une indication plutôt qu’une autre. Le critère le plus pertinent est rappelé par Le Gall [8] et Ré [1], entre autres, qui conseillent de « privilégier l’arcade la plus largement édentée afin d’augmenter la proprioception du patient par la création de points de contacts supplémentaires ».

En cas d’arcades dentées, de nombreux auteurs préconisent un positionnement maxillaire, notamment dans les cas de bruxisme nocturne [9, 10].

QUID DU MOYEN/LONG TERME ET DE L’APRÈS-GOUTTIÈRE ?

Les gouttières de repositionnement/ d’antéposition seront portées jusqu’à amélioration des symptômes et seront quasi systématiquement suivies d’un traitement stabilisateur, parfois complexe (orthodontie, réhabilitation globale), la gouttière étant déposée dès le début de cette phase de réhabilitation (sauf maintien ponctuel lors d’une phase d’orthodontie sous gouttière) [12].

La question se pose pour les patients porteurs de gouttière de libération occlusale ou de décompression, lorsque les symptômes sont atténués ou éliminés. Certains proposent une équilibration occlusale permettant d’optimiser la relation intermaxillaire nouvellement créée par le port de la gouttière, ceci permettant un maintien des résultats tout en stoppant le port. Il n’y a aucune preuve scientifique que cette équilibration permettra de maintenir le niveau de résultat et de confort obtenu, la situation pouvant même se dégrader (très gênant, surtout si l’équilibration a été réalisée de façon soustractive).

Mais alors pourquoi vouloir sevrer le patient de sa gouttière ? A priori parce que cette gouttière, dans certains cas, ne montrerait une efficacité que de quelques semaines à quelques mois. Argument étonnant et très en décalage avec la perception des patients qui sont très souvent demandeur pour maintenir le port de la gouttière, en auto-gérant la fréquence selon leur ressenti et leur état émotionnel. L’attitude thérapeutique la plus raisonnable est sans doute d’avoir à l’esprit que, en termes de DTM, le mieux est l’ennemi du bien. Nous ne devrions pas imposer une prise en charge universelle à un patient non demandeur ; tout juste pouvons-nous lui conseiller d’entreprendre la prise en charge d’éventuels facteurs favorisant les DTM (et donc leur récidive).

RÉSULTATS CLINIQUES

Les gouttières occlusales ne sont qu’un outil dans l’arsenal thérapeutique de prise en charge des DTM et ont pour objectif principal de diminuer ou de faire disparaître les douleurs (myalgies, arthralgies) et d’optimiser la cinématique. En cela, l’unique moyen d’évaluation des résultats est le retour du patient pour l’intensité de la douleur, et le diagramme de Farrar et/ou l’axiographie pour la cinématique. L’évaluation de la douleur étant très subjective, il est plus que prudent d’évoquer, lors du début de la prise en charge, la notion d’amélioration de la pathologie plutôt que de guérison.

Cependant, « malgré le paradoxe concernant les gouttières occlusales qui présentent de nombreuses indications alors qu’aucune étude ne peut prétendre décrire leurs modalités d’action, un fait demeure : correctement exploitées, elles rendent de grands services » [2].

Elles peuvent toutefois être évitées ou différées lorsqu’une intervention dentaire aisée et non invasive peut permettre une optimisation de la fonctionnalité de l’occlusion, voire un repositionnement discal, recréant ainsi des conditions favorables à la mastication. Elles feront place alors au composite up.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Ré JP. Orthèses orales. Paris : Éditions CdP, 2014.
  • 2. Unger F. Pratique clinique des orthèses mandibulaires. Paris : Éditions CdP, 2003.
  • 3. Fleiter B, De Jeagher P, Fougeront N. Troubles musculo-squelettiques de l’appareil manducateur. Paris : Quintessence Publishing, 2016.
  • 4. Rozencweig D. Algies et dysfonctionnements de l’appareil manducateur. Paris : Éditions CdP, 1994.
  • 5. Perry HT. Muscular changes associated with the temporo-mandibular joint dysfunction syndrome. J Amer Dent Ass 1957;54:644-653.
  • 6. Laluque JF, Brocard D, D’incau E. Comprendre les bruxismes. Paris : Quintessence Publishing, 2017.
  • 7. Robin O. Algies et dysfonctionnements de l’appareil manducateur. Paris : EDP Sciences, 2013.
  • 8. Le Gall M. La fonction occlusale. Paris : Éditions CdP, 2011.
  • 9. Duminil G, Orthlieb JD. Le bruxisme tout simplement. Paris : Espace ID, 2015.
  • 10. Abjean J. L’occlusion en pratique clinique. Paris : Quintessence Internationale, 2002.
  • 11. Dupas PH. Occlusodontie et posture. Paris : Éditions CdP, 2021.
  • 12. Clauzade M, Marty JP. Ortho-posturodontie 2. Perpignan : SEOO Éditeur, 2006.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

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