Halitose et parodontite : revue de littérature - JPIO n° 1 du 01/02/1999
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/1999

 

Articles

Yves REINGEWIRTZ  

Service de Parodontologie
Faculté de chirurgie dentaire,
Université Louis-Pasteur Strasbourg

Résumé

Parmi les nombreuses causes de mauvaise haleine, celles trouvant leur origine au niveau de la cavité buccale sont, avec plus de 80 % des cas, les plus importantes. Les composants à l'origine de la mauvaise haleine d'origine buccale sont représentés principalement par les composés sulfurés volatils (CSV), sulfure d'hydrogène (H2S) et méthylmercaptan (CH3SH), mais aussi par les diamines (putrescine, cadavérine), les acides organiques (acétique, proprionique), et les composés aromatiques volatils (indole, skatole). Leur origine est la dégradation microbienne des acides aminés de la cavité buccale. Dans la première partie de ce travail, le rôle de la maladie parodontale dans la production des CSV a été mis en évidence en précisant l'identité des bactéries impliquées ainsi que la corrélation existant entre l'intensité de la maladie parodontale et les variations qualitatives et quantitatives des CSV produits. Dans la seconde partie, le rôle des CSV dans l'étiopathogénie de la parodontite a été souligné. Actifs dans l'initiation de la maladie parodontale par l'augmentation de la perméabilité de l'attache épithéliale, puis dans le développement de la maladie parodontale suivant deux voies - directe par modification de la forme et de la fonction fibroblastiques, et indirecte par réaction immune -, les CSV contribuent à la destruction des tissus parodontaux. L'analyse des travaux cités dans la dernière partie a permis de confirmer le rôle majeur des dépôts situés sur le dos de la langue dans la production des CSV et conduit à considérer quatre situations : une halitose physiologique, une halitose non parodontale, une parodontite sans ou avec halitose. Cette approche permet de mieux apprécier le rôle majeur des CSV, facteur favorisant ou conséquence de la maladie parodontale, et de mieux appréhender leur traitement.

Summary

Among the different eatiologies of oral malodour, the majority (over 80 %) originate in the oral cavity. The greatest contributors to oral malodour are the volatile sulphur compounds (VSC), mainly hydrogen sulphide and methyl mercaptan, but diamines (putrescine, cadaverine), organic acids (acetic, proprionic) and volatile aromatic compounds (indole, skatole) are also involved. Their origin is the microbial degradation of amino acids present in saliva, gingival crevicular fluid or in foods that are retained on the teeth. In the first part of the study, the role of periodontal disease in the production of VSC has been specified ; the identity of the bacteria involved and the correlation between the severity of the periodontal disease and the qualitative and quantitative variations of VSC has been underlined. In the second part, the role of VSC in the pathogenesis of periodontal disease has been examined. Following the initiation of periodontal disease, which is characterised by an increase in the permeability of the epithelial attachment, further disease progresses in two ways : directly, by altering fibroblast shape, proliferation and migration ; and indirectly, by activating host immune responses. VSC have been shown to participate in the destruction of periodontal tissues. The final section reviews work wich confirms the major role of the tongue in the production of VSC and leads to the consideration of four possible situations : physiological halitosis, halitosis without periodontitis, and periodontitis without or with halitosis. This approach allows a better understanding of the major role of VSC as a contributing factor or a result of periodontal disease, and enables a more appropriate treatment to be carried out.

Key words

Halitosis, volatile sulphur compounds, periodontitis

Introduction

La mauvaise haleine est un signe clinique souvent négligé et ce malgré le rôle important qu'il peut apporter dans l'élaboration d'un diagnostic. Si la mauvaise haleine est révélatrice de pathologies pouvant intéresser l'appareil respiratoire supérieur (sinusite, amygdalite...), inférieur (abcès pulmonaire, tuberculose...) ou des désordres métaboliques (diabète acidocétosique, cirrhose décompensée, urémie ou triméthylaminurie) (Touyz, 1993 ; Preti et coll., 1992), notre propos, ne portera cependant que sur la mauvaise haleine, dont l'origine se situe au niveau de la cavité buccale. Il faut en effet noter que si deux adultes sur trois sont affectés une fois par an au moins par l'halitose (Rosenberg, 1996), l'étiologie se situe dans plus de 8 cas sur 10 au niveau buccal, l'atteinte ORL représentant pour sa part 15 % des cas. On comprend alors mieux l'intérêt du diagnostic qualitatif de mauvaise haleine, ce dernier aidant à affiner le diagnostic différentiel.

Les mauvaises odeurs trouvant leur origine au niveau de la cavité buccale proviennent de quatre variétés de composés : les composés sulfurés volatils (CSV), les diamines, les acides gras et les composés aromatiques (Goldberg et coll., 1994). L'étude de l'origine et du devenir des CSV, longtemps considérés comme étant les seules sources de la mauvaise haleine d'origine buccale, contribue largement à la compréhension des intrications existant entre la mauvaise haleine d'origine buccale et les maladies parodontales.

Maladie parodontale, source des composés sulfurés volatils

Dès 1971, Tonzetich montrait par chromatographie gazeuse la corrélation entre la sévérité de la maladie parodontale et la production de CSV. La présence de CSV (essentiellement H2S, sulfure d'hydrogène et CH3SH, méthylmercaptan) est due à la dégradation microbienne des acides aminés de la cavité buccale.

Ces dérivés protéinés proviennent pour une large part des résidus alimentaires présents au niveau des surfaces non exfoliantes et accumulés au niveau des multiples sources possibles de rétention (obturations non étanches ou débordantes, absence de points de contact, appareillages orthodontiques ou prothétiques, scellés ou amovibles...) (Newman, 1996).

Différentes méthodes permettent d'évaluer les CSV : la mesure olfactive, évaluée par des scores organoleptiques variant selon les classifications de 0 à 4, de 0 à 5 ou de 0 à 10, en fonction de l'odeur (absente ou plus ou moins déplaisante) émise par le sujet ; l'enregistrement global des CSV ; grâce à un appareil muni d'une cellule sensible aux composés sulfurés ; la chromatographie gazeuse, qui permet de mesurer les différents composés responsables de la mauvaise haleine et contenus dans l'air buccal et dans la salive.

Rôle des bactéries dans l'apparition des CSV

Le rôle déterminant des bactéries dans l'étiologie de la mauvaise haleine d'origine buccale a été mis en évidence par Kleinberg et coll. (1973) et Kleinberg et Westbay (1992). Les auteurs ont séparé par centrifugation différentielle trois groupes de salive contenant respectivement le sédiment salivaire, le supernatant (salive et, dans une moindre mesure, fluide gingival) avec les bactéries attachées aux cellules épithéliales et le supernatant avec les bactéries seules.

Les trois préparations ont été mises en incubation à 37 °C pendant 24 heures et ont montré des scores organoleptiques identiques, démontrant ainsi le rôle majeur des bactéries dans la production des mauvaises odeurs buccales. Ce modèle expérimental, dit modèle 3S (salivary sediment system), a d'autre part permis de distinguer dans la flore microbienne des bactéries non odorigènes et odorigènes (auxquelles correspondent les bactéries cariogènes et non cariogènes). Aux premières correspondent un substrat glucidique et un métabolisme aboutissant au processus de fermentation. L'action de ces bactéries saccharolytiques a pour corollaire un abaissement du pH, un potentiel d'oxydo-réduction ainsi qu'une pression en oxygène (supérieure à 20 %) élevés, autant de conditions physico-chimiques empêchant la croissance des bactéries anaérobies et prévenant, en conséquence, la production de CSV. En revanche, les bactéries dites asaccharolytiques, essentiellement Gram négatives, et correspondant essentiellement aux pathogènes parodontaux, grâce à un métabolisme tourné vers des substrats protéiques spécifiques, vont conduire au processus de putréfaction (McNamara et coll., 1972). Leur action s'accompagne d'une augmentation du pH et de l'émission de CSV (Solis-Gaffar et coll., 1979 ; Kleinberg et Codipilly, 1995 ; Reingewirtz et coll., 1998). Différents travaux ont permis de préciser les bactéries impliquées, leur affinité respective pour les différents types d'acides aminés et leur corrélation avec les paramètres cliniques parodontaux.

Identification des bactéries impliquées dans la production de CSV

Kleinberg et Westbay en 1992 et Kleinberg et Codipilly en 1995, utilisant le système 3S, ont pu étudier les effets de 25 micro-organismes en présence de différents acides aminés. Les bactéries Gram positives produisaient peu ou pas de mauvaises odeurs à 24 heures (mise en évidence par score organoleptique). Inversement, et exception faite de Neisseria, toutes les bactéries Gram négatives testées étaient fortement odorigènes. Les scores les plus importants ont été obtenus avec Fusobacterium nucleatum, Porphyromonas gingivalis, Prevotella intermedia, Haemophilus parainfluenza I et II et segnis, Veillonella parula. Niles et Gaffar (1995) étudiant les sept espèces les plus répandues dans la cavité buccale ont conclu à la responsabilité des bactéries Gram négatives dans la production d'odeurs nauséabondes et ont identifié plus spécifiquement Prevotella melaninogenica, Fusobacterium nucleatum, Veillonella alcalescens, Klebsiella pneumoniae. Pour Loesche et De Boever (1995), la culture de bactéries asaccharolytiques in vitro s'accompagne de mauvaises odeurs et laisse supposer que ces mêmes espèces peuvent contribuer in vivo aux mêmes odeurs ; les espèces les plus impliquées sont les espèces Porphyromonas et Prevotella. De Ciccio et coll. (1995), utilisant la technique FAC (citrate ammonium ferrique) et le milieu NOS (nouveau milieu de culture pour spirochètes oraux), ont pu mettre en évidence dans les poches profondes des variétés de spirochètes sulfhydrases positives, capables de produire des CSV.

Persson et coll. (1989, 1990) ont pu mettre en évidence une affinité entre les bactéries dont l'action conduit à la production de CSV et certains acides aminés ; ainsi, 82 espèces étaient susceptibles de produire de l'H2S à partir de la cystéine, alors que 25 espèces seulement étaient capables de conduire à la production de CH3SH à partir de cystéine. Les mêmes auteurs mettent en évidence les bactéries les plus actives dans la production de VSC in vitro, à partir de sérum protéiné ; Prevotella intermedia, Prevotella loescheii pour la production de H2S ; Treponem denticola, Porphiromonas gingivalis et Porphyromonas endodontalis à l'origine de H2S et de CH3SH.

Corrrélation entre maladie parodontale et CSV

L'identification des bactéries à l'origine de la production des CSV et notamment du méthylmercaptan montre l'implication des pathogènes parodontaux dans le processus de dégradation des acides aminés. Plusieurs auteurs (Rizzo, 1967 ; Tonzetich, 1971 ; Horowitz et Folke, 1973 ; Solis-Gaffar et coll., 1980 ; Kostelc et coll. 1980 ; Yaegaki et Sanada, 1992a et b) ont pu établir un parallèle entre la profondeur des poches parodontales, l'indice de saignement et la concentration en CSV de l'air de la cavité buccale. Pour Solis-Gaffar et coll. (1980), il y a corrélation entre le volume de fluide gingival et la production d'H2S, tous deux étant en rapport avec la sévérité de l'inflammation gingivale. Solis-Gaffar et coll. (1979) utilisant une technique de chromatographie gazeuse, ont pu démontrer une relation entre les bactéries Gram négatives, la production de CSV et le degré d'inflammation. Pour Kleinberg et Codipilly (1995), l'évolution de la maladie parodontale a pour corollaire une réduction du potentiel d'oxydo-réduction favorable à la croissance et au métabolisme des bactéries Gram négatives anaérobies impliquées dans la production de CSV. Yaegaki et Sanada (1992a et b) ont réussi par chromatographie gazeuse à individualiser les évolutions respectives du sulfure d'hydrogène et du méthylmercaptan en fonction de la maladie parodontale ; le ratio CH3SH/H2S se trouve être augmenté en présence de poches > 4 mm, diminué dans le cas contraire ; le ratio CH3SH/H2S est également en rapport avec l'indice de saignement et la somme des profondeurs de sondage ; ce qui permet d'avancer que le sulfure d'hydrogène est le CSV principal dans une bouche saine, alors que le méthylmercaptan est le CSV majeur en cas d'atteinte parodontale. Ces résultats ont été corrélés par Coil (1996) dans une étude portant sur 70 individus divisés en deux groupes, avec ou sans maladie parodontale (basée sur la profondeur de sondage et le saignement). Les mesures réalisées par chromatographie gazeuse à l'aide d'un collecteur placé dans le sillon gingivo-dentaire confirment que le ratio CH3SH/H2S était significativement plus important dans les sites profonds et inflammatoires que dans les sites sains.

Rôle des csv dans l'étiopathogénie de la maladie parodontale

Loin d'être seulement un désagrément pour autrui dans les rapports sociaux, les CSV sont également impliqués dans l'initiation et le développement de la maladie parodontale. Leur action est double.

Elle débute au niveau de l'attache épithéliale par une augmentation de la perméabilité sous l'effet conjoint de H2S et CH3SH. Ng et Tonzetich (1984) ayant exposé une muqueuse non kératinisée de porc (comme modèle du sillon gingivo-dentaire) à un flux d'air ou de CSV (H2S ou CH3SH) ont montré une augmentation marquée de la perméabilité en fonction du temps et de la concentration des produits testés. A 30 minutes, il n'y avait pas de modification de la perméabilité sous exposition à l'air alors qu'elle était augmentée de respectivement 23 % et 19 % sous l'action de H2S et CH3SH ; les valeurs augmentaient rapidement pour atteindre à 1 heure 59 % (H2S) et 34 % (CH3SH) et à 2 heures 103 % pour le CH3SH. A noter que la quantité de CSV insufflée (15 mg de H2S ou CH3SH) correspond à la quantité habituellement présente dans une poche parodontale. Tonzetich (1996) dans une analyse par cytofluorescence montre à 2 heures sous l'effet de CH3SH des perturbations importantes de la surface épithéliale par rapport au groupe témoin indemne (flux d'air) ; cet accroissement de la perméabilité s'explique dans une observation en microscopie électronique par transmission où les auteurs constatent des destructions localisées au niveau de la membrane basale avec disparition totale de la lamina lucida et restes de lamina densa sous forme de matériau sombre désorganisé.

L'action des CSV se développe alors selon deux voies (Ratkay et coll., 1996) :

- une voie directe, par interaction avec les fibroblastes du tissu conjonctif. Brunette et coll. (1996) ont observé les effets du CH3SH sur les fibroblastes humains (fig. 1). Ils notent une modification de la forme des cellules (plus rondes, moins allongées), et l'analyse morphométrique montre une réduction du plus grand diamètre ainsi que de leur surface. Les altérations dues au CH3SH sont présentes également au niveau du cytosquelette : les microfilaments d'actine sont moins visibles et sont répartis en périphérie de la cellule alors que normalement ils sont uniformément répartis, à l'inverse des microtubules, habituellement distribués dans toute la cellule et qu'on retrouve localisés dans la zone centrale. Ces modifications morphologiques pourraient influer sur la fonction des cellules et expliquer l'inhibition constatée au niveau de la migration (Johnson et Tonzetich, 1992) et de la prolifération cellulaire. Les conséquences de ces effets sur les fibroblastes gingivaux seront une diminution de la synthèse de collagène (réduite de 40 % après 30 minutes d'exposition au CH3SH) ainsi qu'une augmentation de la dégradation du collagène intracellulaire (multipliée par 2 après 30 minutes) et extracellulaire (multipliée par 13 après 12 heures) (Tonzetich et coll., 1986). Des observations similaires sur les perturbations par CH3SH de la fonction ainsi que de la matrice extracellulaire des cellules du ligament alvéolo-dentaire ont été faites par Lancero et coll. (1996) ;

- la voie indirecte se fait selon une réaction immune au travers des monocytes dont l'activation par le CH3SH va favoriser la mobilisation des endotoxines (LPS) (Ng et Tonzetich, 1985) et provoquer la production d'interleukine-1 (IL-1). Celle-ci aurait pour conséquence l'augmentation des niveaux de prostaglandine (PGE2) et d'adénosine 3', 5' monophosphate cyclique (cAMP) à l'origine de la stimulation et de l'augmentation de production de protéases neutres (collagénase, élastase) (Ratkay et coll., 1995 ; Tonzetich, 1996). Les auteurs montrent même une synergie d'action puisque CH3SH seul augmente de 40 % la production par les fibroblastes humains gingivaux de PGE2, cAMP et collagénase alors que cette augmentation est de 70 % si CH3SH est associé à IL-1/LPS (fig. 2).

En résumé, les CSV et plus particulièrement le méthylmercaptan, par leur capacité à fragiliser la zone d'attache de l'épithélium gingival et donc à favoriser la pénétration bactérienne, puis à modifier les formes et fonction fibroblastiques et enfin, à entraîner une cascade d'événements au niveau cellulaire par voie immune, vont contribuer à la destruction des tissus parodontaux.

INTERDÉPENDANCE MALADIE PARODONTALE-CSV

Les chapitres 2 et 3 précisant d'une part le rôle de la parodontite en tant que source des CSV, et d'autre part le rôle des CSV dans l'initiation de la maladie parodontale peuvent se résumer ainsi : la maladie parodontale (MP) génère des CSV en quantité variable selon sa sévérité et les CSV sont à même de déclencher puis d'entretenir la maladie parodontale. Deux questions majeures se posent alors.

Premièrement, si les CSV sont à l'origine de la parodontite, et que celle-ci ne précède pas l'existence de la mauvaise haleine d'origine buccale, quelle est l'origine des CSV ? La réponse se trouve à la surface de la face dorsale de la langue. Celle-ci est recouverte de dépôts (tongue coatings) incluant d'une part des métabolites, cellules épithéliales desquamées ou sanguines issues du fluide gingival (Yaegaki et Sanada, 1992a et b) - les cellules mortes sont à l'origine des acides aminés et des groupes thiols et disulfures qui seront dégradés pour aboutir aux CSV (Tonzetich et Johnson, 1977) - d'autre part une flore microbienne qu'ont tenté d'identifier Loesche et De Boever (1995) afin de répondre à cette interrogation : existe-t-il un lien entre l'intensité des mauvaises odeurs buccales que présente un individu (mesurée par scores organoleptiques) et la flore microbienne présente à la surface de la langue ? L'analyse pratiquée auprès de 16 patients présentant un score organoleptique moyen de 2,9 (mauvaise odeur évidente mais d'intensité moyenne) n'a pas permis de mettre en évidence d'espèces responsables spécifiquement de la mauvaise haleine buccale et présentes dans chaque prélèvement ; les espèces Fusobacterium, Capnocytophage, Rhotia dentocariosa et Prevotella intermedia étaient présentes dans 56 à 70 % des échantillons. Contrairement aux travaux de Kozlovsky et coll. (1994), aucune corrélation n'a pu être établie entre l'intensité des mauvaises odeurs buccales et la présence d'espèces Bana positives (espèces contenant les enzymes capables d'hydrolyser le substrat trypsine-like benzoil-DL-arginine-naphtilamide). La responsabilité de ces dernières dans l'étiologie des mauvaises odeurs buccales a été montrée après débridement mécanique de la langue (par brossage ou à l'aide d'un « scrapper » ou gratte-langue) et utilisation par les individus de bains de bouche contenant de la chlorhexidine à 0,12 % pendant 7 jours ; les auteurs ont en effet noté après traitement une corrélation entre les réductions significatives de la mauvaise haleine d'origine buccale et des espèces Bana positives prouvant ainsi le rôle de ces dernières.

Si les dépôts à la surface de la langue peuvent être à l'origine de la mauvaise haleine d'origine buccale et contribuer au déclenchement de la maladie parodontale, il convient de souligner le rôle de la parodontite en tant que facteur aggravant. Dans une étude portant sur 14 sujets présentant un parodonte sain et 17 atteints de parodontite, le groupe avec parodontite présente 4 fois plus de CSV, 6 fois plus de dépôts à la surface de la langue et un ratio CH3SH/H2S 30 fois plus élevé (Yaegaki et Sanada, 1992a).

En second lieu, s'il est prouvé que des CSV peuvent afficher une valeur élevée en l'absence de maladie parodontale, ceci étant dû à la présence des dépôts à la surface de la langue, comment interpréter les résultats de Yaegaki et Sanada (1992a et b), affirmant qu'à un ratio CH3SH/H2S élevé correspondent des valeurs de sondage élevées et donc une maladie parodontale sévère ? La réponse nous est donnée par Bosy et coll. (1994) dans une étude portant sur 127 sujets chez lesquels ont été mesurés tant les paramètres parodontaux (niveau d'attache, indice de plaque, indice gingival, test Bana) que les mauvaises odeurs buccales (scores organoleptiques, halimètre). Les résultats (tableau I) montrent qu'à une valeur de CSV importante peut correspondre ou non une atteinte parodontale, et qu'en outre une atteinte parodontale peut ne pas avoir en corollaire la présence de CSV. Les auteurs expliquent la discordance de résultats avec ceux de Yaegaki (1995) par le nombre insuffisant d'individus ayant participé à leur étude. Cette nouvelle classification des individus en 4 catégories, présence ou non de maladie parodontale associée ou non à une halitose, peut faire évoluer la classification de Yaegaki et coll. (1993), qui évoque une halitose physiologique et une halitose parodontale (et une halitose subjective que nous n'aborderons pas), vers une classification modifiée :

1. Halitose physiologique : scores organoleptiques faibles et CSV peu élevés, absence de maladie parodontale.

2. Halitose non parodontale : scores organoleptiques et CSV élevés, absence de maladie parodontale.

3. Parodontite sans halitose : scores organoleptiques faibles et CSV peu élevés, maladie parodontale (sondage > 4 mm).

4. Parodontite avec halitose : scores organoleptiques et CSV élevés, maladie parodontale (sondage > 4 mm).

Si l'halitose physiologique nécessite l'entretien d'une situation favorable (thérapeutique de soutien) ainsi que l'information du patient en matière de CSV afin qu'il puisse continuer à en maîtriser l'accumulation, le traitement d'une halitose non parodontale aura pour but l'élimination des facteurs à l'origine de la mauvaise haleine : d'une part, suppression de la cause bactérienne, et donc élimination de leurs supports (plaque et tartre supra et sous-gingivaux, dépôts à la surface de la langue qui, en tant que source principale de CSV, nécessitera un débridement mécanique, spécifique et contrôlé par brossage de la langue ou nettoyage prudent - attention aux risques de lésions créées puis entretenues à la surface de la langue - à l'aide d'un « scrapper » ou gratte-langue) ; d'autre part, suppression des substrats protéinés, véritables « sources d'approvisionnement » des bactéries, et donc contrôle de toutes les sources possibles de rétention alimentaire (fausses poches, points de contact imparfaits, cavités carieuses, furcations exposées, fractures radiculaires…) ; une attention toute particulière sera accordée tant au contrôle de l'hygiène au niveau de chaque espace interdentaire (on fera sentir le fil ou le goupillon passé dans l'espace interdentaire au patient qui souvent reconnaîtra l'odeur qui l'incommode) qu'à la qualité des points de contact. Les soins pourront être complétés par l'utilisation d'adjuvants locaux susceptibles d'inhiber la croissance bactérienne (Loesche et De Boever, 1995), de transformer les CSV en composés sulfurés non volatils (Tonzetich et Johnson, 1977) ou de masquer les effets des CSV (Reingewirtz et coll., 1998).

En présence d'une parodontite avec halitose, les CSV et les dépôts à la surface de la langue étant en quantité bien supérieure - voir résultats de Yaegagi et Sanada (1992) cités précédemment - il conviendra d'associer au traitement de la maladie parodontale les mesures préconisées en cas d'halitose non parodontale.

La thérapeutique pourra se résumer ainsi :

• Classe 1. Thérapeutique de soutien ; information concernant les CSV et leur maîtrise.

• Classe 2. Thérapeutique de soutien ; débridement de la langue, soins dentaires.

• Classe 3. Traitement parodontal.

• Classe 4. Traitement parodontal associé à un débridement mécanique spécifique et contrôlé de la langue.

Conclusion

Les différents travaux évoqués tout au long de cette revue montrent que la mauvaise haleine de nos patients ne peut plus être considérée comme un simple désagrément avec pour seules conséquences des perturbations dans les rapports sociaux. Les effets des composés sulfurés volatils au niveau de l'étiopathogénie de la maladie parodontale doivent inciter le thérapeute à agir tant sur le plan parodontal qu'au niveau des différentes zones (dentaires, linguale, amygdalienne) où peuvent naître les CSV. La classification que nous avons donnée des différents types d'halitose peut aider le clinicien dans sa démarche diagnostique ; elle invite à prendre en compte dans le plan de traitement un symptôme dont l'élimination améliorera le confort social de nos patients et contribuera pour une large part à la résolution de la maladie parodontale.

Demande de tirés à part

Yves REINGEWIRTZ, Service de Parodontologie, Faculté dentaire, Université Louis-Pasteur, 1, place de l'Hôpital, 67000 STESBOURG - FRANCE.

Note de l'auteur : « Le terme halitose correspond en fait à l'émission par la bouche d'une odeur nauséabonde dont l'origine répond à un désordre métabolique systémique ; elle peut être physiologique (aliments, tabac jeûnes) ou pathologique (diabète acidocétosique, ulcère gastrique, sténose du pylore) ; l'usage a généralisé l'emploi du terme halitose pour décrire toutes les mauvaises odeurs buccales. »

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