La bouche entre plaisir et souffrance

« La bouche entre plaisir et souffrance » est un livre de Françoise Saint-Pierre, consœur à la formation double, à la fois chirurgien-dentiste et psychothérapeute. Son préfacier, le Pr Charles Berenholc, dit d'une façon très poétique tout le bien qu'il pense de cet ouvrage : « où apparaît cette bouche, porteuse de bien et de mal, de sourires et de joies, de peines et de douleurs ». L'auteur, en effet, mêle dans son livre un aspect fondamental somatique et psychologique à des digressions philosophiques et hédonistes.

Le premier volet scientifique commence par une sorte de catachrèse permettant la remontée de très lointains souvenirs pour tous les anciens étudiants que nous sommes. C'est l'épiblaste proliférant en profondeur pour constituer à la sixième semaine le mur plongeant et la lame dentaire. Puis, Françoise Saint-Pierre fait une analyse très complète des diverses théories de l'oralité. Si elle reprend les observations de Freud en reconnaissant leur justesse, elle ne leur accorde pas la place qui leur fut trop longtemps attribuée de modèle universel. Elle ne nie pas l'importance de l'oralité dans le développement de l'enfant, mais ne lui accorde pas le quasi-monopole qu'elle tient dans la théorie psychanalytique classique. Nous avons beaucoup apprécié cette mise au point. Françoise Saint-Pierre cite aussi toutes les manifestations évoquées ayant un rapport potentiel avec la puissance persistante du symbolisme oral : le french kiss, héritier du nourrissage maternel et transition avant l'alimentation adulte ; la coutume musulmane du crachat du maître dans la bouche de l'élève en tant que vecteur symbolique du souffle spirituel transmis et reçu.

Un chapitre concerne particulièrement le parodontiste qui traite de la douleur post-opératoire dont il est, hélas, responsable. Cette douleur, le patient l'admet de moins en moins. En effet, plus l'offre de santé grandit, plus les plaintes et les revendications augmentent. A souligner aussi : des tableaux très clairs sur les différentes classes d'antalgiques et une intéressante analyse de la distinction douleur-souffrance.

Le second volet est le volet de la bouche-plaisir. Il prend une forme d'escapade gourmande entraînant le lecteur jusqu'à des recettes de cuisine complètes, aux règles de base pour tirer le meilleur parti d'un cigare et à « l'écoute » attentive de la musique des vins. Il n'enlève rien au sérieux d'un ouvrage scientifique qu'il persille agréablement.

Ce livre est digne d'intérêt et sa conclusion à elle seule justifie sa présence dans nos bibliothèques. Françoise Saint-Pierre nous entraîne dans une réflexion sur le moment ultime où dans un corps déjà immobile, la bouche, cet extraordinaire carrefour d'échanges, laisse échapper la vie.