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Isabelle BAILLEUL-FORESTIER * Michel DUVAL ** Etienne VILMER *** Jean-Pierre OUHAYOUN ****
*UFR d'odontologie, Paris 7,
Service d'odontologie
Garancière, Hôtel-Dieu, Paris, France
**Service d'hématologie-immunologie,
Hôpital Robert-Debré, Paris, France
***Service d'hématologie-immunologie,
Hôpital Robert-Debré, Paris, France
****UFR d'odontologie, Paris 7,
Service d'odontologie
Garancière, Hôtel-Dieu, Paris, France
La parodontite prépubertaire est caractérisée par une atteinte précoce, localisée ou généralisée, du parodonte de l'enfant. Elle constitue souvent le premier symptôme d'une maladie systémique. Conjointement au traitement local, l'odontologiste doit rechercher l'étiologie générale. Les examens biologiques à demander en première intention sont précisés dans cet article. L'enfant est ensuite confié à un pédiatre hématologue. L'examen médical, les analyses biologiques et le bilan immunitaire qu'il réalise sont également décrits ici, puis sont résumés les symptômes buccaux des différentes pathologies qu'ils permettent de diagnostiquer.
Prepubertal periodontitis is characterised by the early onset of localized or generalised periodontitis in childhood. It may represent the first sign of a systemic disorder. In addition to undertaking local treatment, the dentist should search for systemic causes of the condition. The special tests that should be carried out initially are specified in this paper. The child is subsequently referred to a paediatric haematologist. The clinical examination and the special tests (including those on the immune system) are reviewed. The differential diagnosis of prepubertal periodontitis is reviewed.
La parodontite prépubertaire (PP) constitue une pathologie définie par Page et Schroeder en 1983 comme une atteinte du parodonte survenant pendant ou après l'éruption des dents temporaires. Ces auteurs distinguent une forme généralisée (PPG) et une forme localisée (PPL). Dans le premier cas, l'inflammation gingivale sévère s'accompagne d'hémorragies spontanées et de résorption rapide de l'os alvéolaire. Dans le second cas, l'inflammation est plus discrète et les poches parodontales limitées à une ou plusieurs dents. La liste des syndromes généraux auxquels la PPG peut être associée, proposée par Page et Schroeder en 1983, a été complétée par différents auteurs (Altman et al., 1985 ; Page et al., 1987 ; Waldrop et al., 1987 ; Watanabe, 1990) et récapitulée par Dibart en 1997. Le diagnostic clinique (fig.1) et radiologique (fig.2) de la PP est aisé à faire chez le jeune enfant, mais la recherche de l'étiologie générale est plus complexe et requiert la collaboration d'un pédiatre hématologiste. Parfois, la procédure sera inversée et le pédiatre adressera à l'odontologiste l'enfant porteur d'une pathologie déjà caractérisée pour qu'il prenne en charge les conséquences buccales de cette maladie.
Dans l'hypothèse où la PP est le premier symptôme observé chez l'enfant, un examen clinique et des analyses biologiques seront à faire pour essayer de caractériser l'étiologie générale. Dans cet article, nous préciserons dans un premier temps les éléments cliniques à observer et les analyses que l'odontologiste prescrira en première intention, puis nous récapitulerons les examens effectués par l'hématologue pour identifier une probable atteinte systémique. Les différentes pathologies citées dans cet article sont regroupées dans le tableau I .
Lorsque les examens clinique et radiologique ont conduit l'odontologiste à poser le diagnostic de parodontite prépubertaire, il est nécessaire qu'il reprenne certains éléments de l'examen extraoral qui peuvent être associés à une maladie systémique. Il observera le faciès de son patient, pour voir si sa mandibule présente une tuméfaction bilatérale et postérieure, et il devra penser au chérubinisme. Cette pathologie peut s'accompagner de l'exfoliation des dents temporaires dès 22 mois (De Tomasi et al., 1985). De même, la texture de la peau, l'aspect des phanères et la couleur des cheveux seront examinés. Dans le cas d'une peau hyperextensible et d'une parodontite sévère conduisant à la perte prématurée des dents permanentes, un syndrome d'Ehlers-Danlos de type VIII sera à évoquer (Dyne et al., 1993). L'odontologiste portera aussi une attention particulière à la paume des mains, qui présentent une hyperkératose dans le cas des syndromes de Papillon-Lefèvre et de Haim-Munk. Cette hyperkératose s'accompagne d'une destruction prématurée des tissus parodontaux (Hart et al., 1997). La teinte et l'aspect des cheveux sont à observer car l'albinisme constitue une des caractéristiques décrites classiquement dans le syndrome de Chédiak-Higashi et dans la maladie de Griscelli chez ces enfants ; il faudra évaluer une éventuelle photophobie (Blume et Wolff, 1972).
Chez un patient présentant un aspect rose des extrémités et une coloration écarlate des joues et du nez ainsi qu'une perte des ongles et des cheveux, le diagnostic d'acrodynie infantile pourra être évoqué (Obura, 1965). L'examen radiologique de routine, l'orthopantomogramme, peut, s'il comporte des lacunes osseuses, orienter vers une pathologie de type hystiocytose X (Shaw et Glenwright, 1988) ou histiocytose langheransienne. Parfois, l'éruption prématurée des dents temporaires accompagnée de saignements gingivaux constitue, chez certains patients, les premiers symptômes de cette maladie (Hartsfield, 1994).
Parallèlement à la prise en charge des lésions parodontales par hygiénothérapie et prélèvements bactériens (Sixou et al., 1997), l'odontologiste prescrira les examens biologiques qui suivent.
Trois paramètres sont utiles en pratique quotidienne : le taux d'hémoglobine, le volume globulaire moyen (VGM) et le taux de réticulocytes (Nathan et Oski, 1993). Un taux d'hémoglobine inférieur à la limite pour l'âge définit l'anémie (tableau II). Si l'anémie n'est pas une cause directe d'infection, elle peut aggraver l'infection parodontale par une carence en fer. Par ailleurs, l'inflammation chronique peut entraîner une anémie.
S'il existe une anémie, le premier paramètre à analyser est le VGM, dont la baisse en dessous du taux normal pour l'âge définit la microcytose. Les principales causes d'anémie microcytaire sont la carence en fer, l'inflammation chronique, la thalassémie et l'intoxication au plomb (saturnisme). Si l'anémie n'est pas microcytaire, le taux de réticulocytes permet de distinguer les anémies arégénératives (moins de 50 000/mm3 en présence d'une anémie) des anémies régénératives (plus de 100 000/mm3). Les premières sont de cause centrale et conduisent l'hématologue au myélogramme. Les secondes sont dues à une spoliation périphérique, hémolyse ou hémorragie, nécessitant une enquête étiologique spécifique sans relation avec l'état parodontal de l'enfant.
Le concept de la formule leucocytaire exprimée en pourcentage de lignées cellulaires dont les fonctions sont complètement différentes est actuellement dépassé. De même, le chiffre total de leucocytes représentant la somme des cellules de nature et de fonction différentes ne présente pas d'intérêt (Nathan et Oski, 1993). Seul un chiffre très bas signant la baisse de toutes les lignées doit être retenu. En conséquence, seul le chiffre absolu de chaque lignée doit être analysé séparément. Le parodontiste s'intéressera préférentiellement aux neutrophiles, dont les anomalies sont souvent associées à la maladie parodontale (revue dans Cottet, 1998).
Après l'âge de 1 an, le diagnostic de neutropénie est porté dès que le nombre des neutrophiles descend sous le seuil de 1 500/mm3 (1 000 pour les Africains et les Antillais). Dans tous les cas, le risque infectieux est grossièrement proportionnel à la diminution du nombre des neutrophiles et à la durée de la neutropénie. La neutropénie la plus fréquente de l'enfant est très transitoire, elle survient dans les suites immédiates d'une infection virale banale et n'aura pas de répercussion parodontale. En revanche, toute neutropénie prolongée, et particulièrement les neutropénies congénitales, peut s'accompagner d'une atteinte parodontale. En effet, les neutropénies héréditaires comme l'agranulocytose de Kostman (Mishkin et al., 1976 ; Saglam et al., 1995), les neutropénies cycliques (Pritchard et al., 1984 ; Baer et Iacono, 1994) comportent dans leurs symptômes des altérations gingivales ou parodontales précoces. Les premiers signes de la neutropénie chronique idiopathique se manifestent souvent avant l'âge de 2 ans par des poussées fébriles avec stomatite, gingivite et infections cutanées (Orsini et al., 1982 ; Baehni et al., 1983 ; Kirstilä et al., 1993 ; Porter et al., 1994).
Les neutropénies acquises sont essentiellement dues à l'aplasie médullaire, l'envahissement médullaire par une leucémie ou une myélodysplasie. Les signes parodontaux, notamment une résorption osseuse parodontale généralisée, peuvent constituer les premiers symptômes d'une leucémie aiguë (Michael et al., 1976). Plus fréquemment, les saignements gingivaux accompagnés ou non d'ulcérations buccales caractérisent cette pathologie (Michaud et al., 1977). La neutrophilie, définie par un nombre de neutrophiles supérieur à 8 000/mm3, peut être liée à l'infection parodontale de deux façons. Généralement, l'inflammation chronique entraîne une neutrophilie. Exceptionnellement, une neutrophilie très importante évoque un déficit en LFA-1 (leukocyte adhesion deficiency) dont les éléments du diagnostic biologique sont précisés ultérieurement.
En complément à l'évaluation quantitative des éléments sanguins, un examen des cellules sur lame est systématiquement réalisé. L'observation directe au microscope optique d'une goutte de sang permet, d'une part, de confirmer le diagnostic quantitatif et, d'autre part, d'examiner la taille, la forme et la coloration des éléments sanguins. Cet examen pratiqué par un cytologiste confirmé peut mettre en évidence les inclusions lysosomiales leucocytaires caractéristiques du syndrome de Chédiak-Higashi (Rausch et al., 1978) (fig. 3 et 4). Il permet aussi de retrouver des cellules circulantes anormales évocatrices d'une leucémie.
Plaquettes : de 150 000 à 400 000/mm3.
La numération plaquettaire est indispensable car elle donne une orientation étiologique sur une anomalie des hématies ou des neutrophiles. Une thrombopénie oriente vers une origine centrale de l'anomalie de l'autre lignée et peut compliquer la parodontite d'un syndrome hémorragique local.
CRP : < 5 mg/l.
Fibrinogène : < 4 g/l.
L'augmentation de la CRP et du fibrinogène signe un processus inflammatoire d'origine infectieuse ou non. En cas d'anémie, leur augmentation suggère son origine inflammatoire. La vitesse de sédimentation (VS), dont l'accroissement peut être dû à des causes très diverses, n'est pas utile dans ce contexte.
Glycémie : ≤ 1,2 g/l.
Ce dosage est fait systématiquement car le diabète insulinodépendant (DID) de type I peut provoquer des altérations parodontales chez l'enfant. Effectivement, il semble que les enfants qui en sont atteints présentent un degré d'inflammation gingivale significativement plus élevé que des enfants témoins mais pas de différence en termes de perte d'attachement (Yalda et al., 1994). Malgré l'association entre le DDI et la diminution d'hormone parathyroïdienne qui se manifeste par une réduction de la formation osseuse (Hage et al., 1999), il est peu probable que la parodontite soit le premier symptôme qui fasse rechercher cette pathologie. L'enfant manifestera d'autres troubles généraux qui conduiront à consulter un pédiatre avant l'installation de la parodontite. En revanche, c'est une des pathologies à suspecter devant une gingivite persistante (Cianciola et al., 1982).
Phosphatases alcalines : de 180 à 1 200 UI/l.
Le taux des phosphatases sériques oriente - s'il est diminué - vers le diagnostic d'hypophosphatasie. Cette pathologie peut dans certains cas ne se manifester que par la perte spontanée des dents temporaires (Beumer et al., 1973 ; Cheung, 1987 ; Chapple, 1993 ; Garabédian et al., 1993).
Pour confirmer le diagnostic, il faut doser la phospho-éthanolamine urinaire (PEA) sur 24 heures et le taux plasmatique du pyridoxal-5'-phosphate, qui est un marqueur sensible de l'hypophosphatasie (Garabédian et al., 1993) :
- phospho-éthanolamine urinaire : < 25 μM/l/24 h ;
- pyridoxal-5'-phosphate : de 10 à 50.10-9 M/l.
Dans le cas où le taux de l'activité des phosphatases alcalines est augmenté et si l'examen endo-buccal révèle des altérations de la structure dentinaire, des abcès gingivaux et éventuellement des pertes prématurées des dents temporaires, une hypophosphatémie familiale pourra être évoquée (Chitayat et al., 1990).
Dans les cas exceptionnels de nécrose gingivale et de destruction de l'os alvéolaire, le taux de catalase sanguine est demandé : il permet de détecter, s'il y a réduction, une acatalasie (Hartsfield, 1994).
Préalablement à l'examen clinique, le pédiatre hématologiste effectue une anamnèse très complète et reprend en détail tous les épisodes infectieux de l'enfant. L'analyse de toutes les numérations-formules sanguines qui avaient pu être réalisées depuis la naissance est impérative. En effet, l'âge de début de ces anomalies biologiques oriente vers une étiologie congénitale ou acquise. De plus, le pédiatre recherche des facteurs de risque d'une infection à VIH et, s'ils existent, il proposera une sérologie VIH, par technique ELISA, dont l'éventuelle positivité sera à confirmer par un Western-Blot. Puis il réalise un examen clinique complet avec palpation de la rate, du foie, des ganglions, observation de la peau et des phanères et auscultation du cœur et des poumons. Devant des signes cliniques évocateurs d'une étiologie particulière, il fera réaliser les examens diagnostiques correspondants.
Lors de cette consultation, une réévaluation de l'état buccal est aussi faite pour savoir si l'hygiène bucco-dentaire très rigoureuse qui a dû être instaurée depuis la consultation de l'odontologiste a permis une amélioration de l'état parodontal.
Les premiers résultats biologiques obtenus seront confirmés par une nouvelle numération-formule sanguine. Elle validera le bilan précédent et mettra en évidence d'éventuelles variations. En cas de neutropénie, la recherche systématique d'anticorps antineutrophiles permet de distinguer la neutropénie idiopathique chronique de la neutropénie auto-immune (Sievers et Dale, 1996) (fig. 5).
En l'absence de cause évidente lors de l'examen clinique et des explorations biologiques simples, l'hématologue demande un bilan immunitaire. Il comprend l'étude des sous-populations lymphocytaires B, T et NK par cytométrie de flux avec étude de l'expression de LFA-1 (CD11a-CD18) ainsi que le dosage des immunoglobulines (Ig) G, A, M, E, du complément et de ses fractions C3, C4 et CH50. Un laboratoire spécialisé terminera ce bilan par l'étude de la fonction du polynucléaire, du chimiotactisme et de la bactéricidie (étude de l'explosion oxydative et de l'activité myéloperoxydasique).
La déficience d'adhérence des polynucléaires (leucocyte adhesion deficiency, ou LAD), appelée aussi déficit en LFA-1, résulte d'une mutation du gène de l'intégrine β2 (CD18) (Suomalainen et al., 1986) et provoque, au niveau buccal, une gingivite et/ou une parodontite sévères (Anderson et al., 1985).
La mise en évidence d'un taux élevé d'IgE (> 2 000 UI/ml) évoque le syndrome d'hyperimmunoglobuline E (syndromes de Job ou de Buckley) (Roth et al., 1992), dont la symptomatologie buccale est une gingivite parfois associée à une parodontite (Charon et al., 1985).
L'étude de l'explosion oxydative du polynucléaire par le test de réduction du nitrobleu de tétrazolium (NBT-test) et une diminution du taux de l'activité de la myéloperoxydase permettent le diagnostic de la granulomatose septique dont les infections à répétition se manifestent aussi au niveau buccal par une gingivite et une parodontite modérée (Charon et al., 1985 ; Cohen et al., 1985).
Schématiquement, deux situations peuvent se présenter. Une piste se dessine devant la clinique ou les résultats des premiers examens et elle est suivie jusqu'au diagnostic. Plus souvent, l'ensemble des examens cliniques et paracliniques simples est normal et l'enquête s'enrichira systématiquement du « bilan immunitaire » décrit ci-dessus et d'une nouvelle numération-formule sanguine afin de dépister une neutropénie cyclique.
Dans les cas de parodontite prépubertaire, l'odontologiste doit associer à l'examen parodontal un examen superficiel mais global du patient et un examen biologique. Puis il confiera systématiquement l'enfant à un hématologue pour poursuivre les investigations. Le but de ces explorations complémentaires est d'abord de mettre en évidence une étiologie bien caractérisée nécessitant un traitement spécifique qui, parfois, facilite la prise en charge parodontale de l'enfant. Fréquemment, le traitement général contribue à l'amélioration de l'état parodontal.
Souvent, l'enquête sera négative ou découvrira des dysfonctions du polynucléaire n'entrant pas dans le cadre d'une pathologie actuellement définie et n'ayant qu'une symptomatologie parodontale. Ces renseignements seront cependant utiles, d'une part pour une éventuelle reclassification de ces maladies dans l'avenir et, d'autre part, comme référence de l'état immunitaire de l'enfant lors d'un éventuel épisode infectieux ultérieur.
À Madame Odile Fenneteau (laboratoire d'hématologie, Hôpital Robert-Debré) et Monsieur J.-G.Bourdanche (laboratoire de biochimie, Hôpital Rolbert-Debré). Les enfants dont l'iconographie est présentée sont suivis conjointement dans le Service d'Odontologie de Garancière - Hôtel-Dieu et dans le Service d'Hématologie-immunologie de l'Hôpital Robert-Debré.
Demande de tirés à part
Isabelle BAILLEUL-FORESTIER, 21, rue du Colonel-Moll, 75017 PARIS - FRANCE. e-mail : bailleul@ccr.jussieu.fr