Relation entre plaque, gingivite et néoformation de tartre dans un groupe d'adultes - JPIO n° 1 du 01/02/2001
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/2001

 

Articles

Peter N. GALGUT *   Dennis O'MULLANE **  


*Eastman dental Institute,
Hospital for oral health care sciences
University of London 256 Grays Inn Road LONDON WC1X 8LD, Grande-Bretagne
**Oral health services research centre
University College Cork
University Dental School Wilton, Cork, Irlande

Introduction

Le tartre supragingival est un matériau amorphe composé de molécules de phosphate de calcium prédominant en regard des orifices des glandes salivaires principales. Il est généralement admis que le tartre formé résulte de la minéralisation de la plaque bactérienne (Jenkins et al., 1984 ; Schlinger et al., 1990). Le taux de formation et la quantité de tartre sont...


Résumé

Le tartre dentaire a été défini comme un produit de la minéralisation de la plaque dentaire, celle-ci étant considérée à l'origine de la formation du tartre supragingival. Le but de cette étude est de rechercher si une association existe entre la néoformation du tartre et les individus à indice élevé de plaque dentaire. Les résultats de cette investigation portant sur 107 adultes démontrent que malgré la présence d'une corrélation statistiquement significative entre plaque/gingivite et tartre au départ, il y a absence de relation cliniquement notable entre la néoformation du tartre supragingival et la plaque dentaire. Cette étude montre également que le tartre se reforme plus rapidement chez les individus à indice initial élevé de tartre que chez ceux à indice faible. De plus, la corrélation entre tartre présent et inflammation gingivale est légère. Ainsi, les paramètres relatifs à la plaque dentaire et à la gingivite contribuent faiblement aux niveaux de tartre évalués cliniquement.

Introduction

Le tartre supragingival est un matériau amorphe composé de molécules de phosphate de calcium prédominant en regard des orifices des glandes salivaires principales. Il est généralement admis que le tartre formé résulte de la minéralisation de la plaque bactérienne (Jenkins et al., 1984 ; Schlinger et al., 1990). Le taux de formation et la quantité de tartre sont très variables et semblent être liés à une multitude de facteurs tels que le milieu social, l'alimentation, la fonction rénale, la concentration de différents minéraux, la présence de bactéries spécifiques et la consommation de médicaments en rapport avec une maladie systémique (Galgut, 1996). Dans une étude chez l'adulte, 17,5 % des individus du groupe test qui reçurent une prophylaxie professionnelle et un détartrage au début de la recherche présentèrent une néoformation de tartre en une semaine (Galgut, 1996). Certains individus définis comme « gros formeurs de tartre » ont été caractérisés dans une étude récente par la propension à fabriquer du tartre rapidement et à maintenir naturellement ce dernier à un niveau élevé (Blank et al., 1994).

Si la formation du tartre est généralement attribuée au résultat de la minéralisation de la plaque (Jenkins et al., 1984 ; Schlinger et al., 1990), le processus de cette formation n'est pas intégralement compris. Deux théories principales de minéralisation sont privilégiées (Lindhe, 1990) : d'une part, la salive est une solution hypersaturée en sels de phosphate de calcium. Pendant la sécrétion, le dioxyde de carbone qu'elle contient s'échappe et entraîne une augmentation du pH à l'origine de la précipitation des sels de phosphate de calcium devenus insolubles. D'autre part, des agents délétères issus du métabolisme bactérien de l'urée ou de l'activité protéolytique de la plaque, pour la plupart des composés aminés ou ammoniaqués, sont responsables d'une augmentation du pH de la plaque, ce qui entraîne la précipitation d'ions calcium et phosphate secondairement impliqués dans la formation des calculs tartriques. Généralement, des centres de nucléation sont nécessaires pour déclencher l'épitaxie mais, après une prophylaxie professionnelle, ils sont éliminés et les éventuels cristaux résiduels sont normalement recouverts par un film protéique englobant la totalité de la surface dentaire (Lindhe, 1990). De plus, les enzymes protéolytiques produites par les micro-organismes que sont les bactéries de la plaque dentaire doivent jouer un rôle crucial dans le processus de minéralisation (Morishita et al., 1986). Ainsi, si le mécanisme de la formation du tartre n'est pas entièrement élucidé, la plaque dentaire doit cependant y jouer un rôle de première importance.

Le but de cette recherche est non seulement d'évaluer les relations entre le tartre, la plaque et la gingivite à l'examen initial, mais également d'étudier les rapports existant entre la néoformation de tartre et de plaque après un traitement prophylactique.

Matériel et méthode

Cette étude s'intègre dans une évaluation plus large testant l'efficacité d'une nouvelle brosse à dents destinée au contrôle de la plaque dentaire mais aussi de la gingivite et du tartre.

Un total de 107 sujets ont été sélectionnés pour participer à l'évaluation. Le groupe ainsi constitué s'est composé de 28 hommes et de 79 femmes. L'âge moyen était de 30,4 ans (extrêmes : 19 et 52 ans). Une sélection initiale a permis d'intégrer des individus en bonne santé après avoir reçu leur consentement. Les sujets ont été divisés au hasard en 2 groupes pour utiliser la brosse test ou la brosse contrôle pendant toute la durée de l'évaluation. A chaque rendez-vous, préalablement au détartrage, la présence de tartre (sur les incisives mandibulaires et les canines) a été évaluée par l'indice de Volpe-Manhold (Volpe et al., 1965). La présence de plaque (bouche complète) a été évaluée par l'indice de Turesky (Turesky et al., 1970). Enfin, l'inflammation gingivale (bouche complète) a été évaluée par l'indice de Löe et Silness (1963). Les mesures ont été recueillies sur 4 surfaces : centro-linguale, centro-vestibulaire, mésiale et distale. Toutes les mesures ont été réalisées par le même examinateur antérieurement calibré pour assurer une cohérence des données en fonction du temps. Au rendez-vous initial, après collecte des données relatives à la plaque, à la gingivite et à la présence de tartre, tous les sujets ont subi un traitement prophylaxique soigneux sur le secteur mandibulaire antérieur afin d'éliminer totalement la plaque et le tartre. Ce détartrage n'a pas été répété pendant le reste de l'étude. Celle-ci a été menée sur une période de 6 mois et les données ont été collectées à chaque rendez-vous, précisément à 2, 4, 12 et 24 semaines. Cet article a pour but de définir également les relations entre tartre, plaque et gingivite présents lors du rendez-vous initial. Un score moyen a été attribué à chaque sujet examiné pour la plaque dentaire et la gingivite à partir de l'examen de la bouche complète (moyenne de la bouche complète) et des dents antérieures mandibulaires pour la présence du tartre (moyenne des dents antérieures). Cette étude évalue également les relations existant entre la néoformation de tartre et la plaque dentaire après prophylaxie. Dans cette dernière analyse, le score moyen par sujet pour la plaque et pour le tartre a été calculé en fonction de l'examen des dents mandibulaires antérieures. Le coefficient de corrélation de Spearman a été utilisé pour évaluer les relations énoncées (puisque les données n'ont pas pu satisfaire aux hypothèses exigées concernant des postulats des coefficients paramétriques de corrélation).

Résultats

Le tableau I donne l'indice moyen de Volpe-Manhold pour le tartre des groupes test et contrôle. On peut remarquer qu'il était élevé dans les 2 groupes, que le détartrage l'a fait diminuer puis qu'il a lentement évolué à la hausse avec le temps.

Les sujets sont classés en fonction de leur niveau de tartre initial. La valeur médiane des données de départ relatives au tartre (0,47) est utilisée pour séparer les individus à indice tartrique important (valeur supérieure ou égale à la médiane) de ceux à indice tartrique faible (valeur inférieure ou égale à la médiane). Ainsi, 52 % des sujets (56/107) sont classés dans le groupe à haut niveau tartrique (tableau II).

Le taux de néoformation de tartre est plus élevé chez les sujets qui avaient un haut niveau de tartre lors de l'examen initial (tableau III).

La figure 1 est un graphique de dispersion réalisé à partir des valeurs moyennes de Volpe-Manhold et de Turesky (bouche complète) à l'examen initial pour chaque sujet. La valeur moyenne de la plaque (examen initial) est confinée dans un intervalle de 2,5 à 3,5, tandis que la présence de tartre est distribuée plus au hasard, formant une bande horizontale d'incidence comprise entre 0 et 1,25. L'analyse du coefficient de corrélation de Spearman (rs) entre la valeur moyenne de la plaque individuelle et la valeur liée au tartre est de rs = 0,21 (p = 0,03), ce qui indique l'existence d'une relation faible mais néanmoins significative entre plaque et tartre.

La figure 2 est un graphique de dispersion réalisé à partir de l'inflammation gingivale (indice de Löe et Silness, valeur moyenne bouche complète) par rapport à la présence de tartre (indice de Volpe-Manhold, valeurs moyennes). L'inflammation gingivale moyenne, comprise entre 0,5 et 1,5 pour la plupart des individus, forme une bande étroite à travers un large intervalle d'incidence tartrique. L'analyse statistique de ces données produit un coefficient de 0,28 (rs = 0,28, p = 0,004) indiquant une association statistiquement significative entre inflammation et présence de tartre.

La figure 3 est un graphique de dispersion entre les valeurs moyennes initiales (prébrossage) de la plaque et du tartre avec des moyennes calculées à partir des dents recevant une prophylaxie (dents mandibulaires antérieures). Il n'y a pas de corrélation entre la plaque et le tartre et le graphique montre que l'incidence de la plaque n'augmente pas avec la formation du tartre. Il convient de noter un regroupement des valeurs autour de 2,5 et 3,5 indépendamment du niveau de tartre.

Les figures 4, 5, 6 et 7 sont des graphiques de dispersion de la plaque et du tartre à 2, 4, 12 et 24 semaines. Ils représentent les relations entre les néoformations de tartre et de plaque après prophylaxie. L'étude de ces figures et les faibles valeurs des coefficients ne révèlent pas de fortes associations entre ces néoformations.

Discussion

Cette étude met en évidence une néoformation de tartre plus rapide après une prophylaxie chez les individus à haut niveau de tartre initial que chez les autres. Ceci est en accord avec les travaux précédents de l'auteur (Galgut, 1996) et ceux d'autres chercheurs (Volpe et al., 1969 ; Dicks et Banning, 1991). Bien que la formation de tartre soit considérée comme le résultat de la minéralisation de la plaque dentaire (Jenkins et al., 1984 ; Schlinger et al., 1990) ou le produit de l'activité métabolique de certaines espèces bactériennes spécifiques de la plaque, cette étude ne fournit aucune corrélation significative entre la présence de la plaque bactérienne et le tartre. Alors qu'une corrélation statistique (coefficient de corrélation supérieur à 0) entre les données initiales de plaque et de tartre pour chaque sujet est relevée, la signification clinique de ces résultats est douteuse compte tenu de la faiblesse de la corrélation (rs = 0,2). De plus, aucune association clinique consistante n'a pu être mise en évidence entre les taux de néoformation de la plaque et du tartre.

Le tartre supragingival est considéré comme un facteur étiologique dans le développement de l'inflammation gingivale pour son contenu important en micro-organismes vivants, car il est recouvert par la plaque bactérienne et exerce une irritation mécanique sur les tissus parodontaux lors de la fonction (Jenkins et al., 1984 ; Schlinger et al., 1990). Il présente également des surfaces rugueuses propices au développement de la plaque bactérienne, protégeant sa déstabilisation au cours du brossage et favorisant de ce fait l'inflammation gingivale. Cette étude a montré une corrélation statistiquement significative entre la présence de tartre et celle de l'inflammation gingivale. Comme dans le cas de la plaque et du tartre, la corrélation entre les niveaux de tartre et de gingivite est peu claire avec un coefficient faible (0,28). Toutefois, l'hypothèse selon laquelle le tartre est un facteur étiologique majeur du développement et de la progression de l'inflammation gingivale doit être discutée. Une étude récente (Albandor et al., 1996) a rapporté l'association entre l'inflammation gingivale, l'atteinte des tissus parodontaux et la présence de tartre sous-gingival. Ce dernier a peut-être une importance certaine et prédominante dans l'étiologie et la progression des parodontites à début précoce par rapport au tartre supragingival. De plus, comme l'implication des protéases et d'autres facteurs associés à des pathogènes parodontaux du type Bacteroides et Capnocytophaga, généralement isolés dans la plaque sous-gingivale, dans la formation du tartre sous-gingival semble évidente (Watanabe et Marita, 1989), le rôle de la plaque bactérienne risque d'être plus important dans la formation du tartre sous-gingival que supragingival. Les différences dans le contenu et dans la formation de ces deux types de tartre doivent donc faire l'objet de recherches pour déterminer quelle est leur structure, comment ils se forment et ce qu'ils contiennent

Conclusion

Cette étude démontre que la plaque dentaire ne joue pas un rôle majeur dans la formation du tartre supragingival. D'autres facteurs tels que la saturation de la salive et la présence de molécules inorganiques dans la pellicule peuvent être les éléments prépondérants du développement du tartre (Lindhe, 1990).

De plus, il existe une faible corrélation entre la gingivite et le tartre supragingival. Par conséquent, le tartre joue un rôle probablement important dans l'étiologie et la progression de l'inflammation gingivale.

Demande de tirés à part

Peter N. GALGUT, 28 Rundell Crescent, Hendon, London NW4 3BP - GRANDE-BRETAGNE. e-mail : png@periodontal.co.uk

BIBLIOGRAPHIE

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