Réaction osseuse au déplacement dentaire provoqué - JPIO n° 4 du 01/11/2001
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2001

 

Articles

Birte MELSEN *   Michel DALSTRA **   Paolo M CATTANEO ***  


*Département d'orthodontie,
Royal Dental College,
Aarhus University, Danemark

Introduction

Les réactions tissulaires induites par l'application de forces orthodontiques sont généralement corrélées aux phénomènes de pression et tension qui se produisent dans le desmodonte: réaction initiale avec modification des fibres collagéniques et perturbations vasculaires suivies d'une résorption du côté en pression et d'une apposition du côté en tension (Reitan, 1957;

Résumé

Le fondement de cet article a été trouvé dans l'apparente différence entre, d'une part, la perception par les orthopédistes des réactions osseuses à une perturbation mécanique et, d'autre part, les réactions tissulaires à un système de forces orthodontiques classiquement décrites. L'orthodontiste associe pression et résorption alors que la tension et l'étirement des fibres desmodontales entraînent la formation. L'orthopédiste associe mise en charge et formation alors que l'absence de charge entraîne une balance négative et une perte nette d'os. L'objectif de cette étude est de réaliser une analyse histomorphométrique des réactions tissulaires lors du rapprochement de la première prémolaire et de la seconde molaire après l'extraction de la seconde prémolaire et de la première molaire sur 6 singes Macaca fascicularis. Les résultats permettent d'émettre de nouvelles hypothèses concernant la réaction initiale à la mise en charge orthodontique. Selon la théorie du Mécanostat, les valeurs mesurées de contrainte indiquent qu'une résorption directe peut être considérée comme une activation du remodelage et une résorption indirecte comme une réparation du traumatisme. L'apposition peut être la réaction d'une courbure de la paroi alvéolaire. La néoformation osseuse dans la direction du mouvement dentaire correspond bien à un phénomène d'accélération régionale (PAR) résultant d'une stimulation néfaste. La contrainte développée varie avec la différence du niveau de la force mais aussi avec les différences de structure osseuse. Selon les résultats de la présente étude, il est suggéré que les forces utilisées par les orthodontistes sont en général trop élevées.

Introduction

Les réactions tissulaires induites par l'application de forces orthodontiques sont généralement corrélées aux phénomènes de pression et tension qui se produisent dans le desmodonte: réaction initiale avec modification des fibres collagéniques et perturbations vasculaires suivies d'une résorption du côté en pression et d'une apposition du côté en tension (Reitan, 1957; Reitan, 1967). La résorption a été décrite comme étant soit directe, à partir du mur osseux alvéolaire, soit indirecte, à partir des espaces médullaires de l'os alvéolaire (Reitan, 1967; Storey, 1973; Rygh, 1974). Dans ce dernier cas, le desmodonte est complètement comprimé. Il est le siège d'une ischémie localisée (Rygh et Brudvik, 1995).

Les orthodontistes utilisent le terme remodelage pour décrire ce processus biologique déclenché par l'application d'une force orthodontique. Cette terminologie et ce schéma pression/résorption, tension/apposition sont en totale contradiction avec la perception du phénomène par les biologistes.

En biologie osseuse, le terme remodelage concerne le renouvellement d'une unité structurelle de base (USB) comprenant, dans l'os cortical, le système Haversien et des portions de trabécules dans le spongieux. Ce renouvellement se fait selon la séquence ARF (activation, résorption et formation) par une unité multicellulaire de base (UMB). Le remodelage osseux a pour but de renouveler l'os de façon à maintenir des cellules jeunes sans modifier le contour de la pièce osseuse. Le terme modelage désigne la modification de la morphologie osseuse. On parlera donc, dans le cadre du déplacement dentaire provoqué, de modelage de l'os alvéolaire associé à un remodelage de l'os environnant.

Wolff avait décrit, dès 1892, la relation entre l'application d'une force et la réorganisation osseuse aussi bien sur le plan macroscopique que microscopique. Des études bien connues de flexion d'un os long ont clairement démontré qu'une apposition osseuse se produit du côté où la concavité augmente et qu'une résorption se produit du côté étiré (Lanyon et Rubin, 1985 ; Frost, 1986 et 1990 ; Rubin et Lanyon, 1984). Ceci ne concorde pas avec le concept orthodontique de pression qui engendre une résorption (Reitan, 1967).

Les orthodontistes se sont souvent concentrés sur l'étude des forces et sur le rapport force/unité de surface radiculaire (par exemple la contrainte) (Nikolai, 1975). La réaction biologique à la mise en charge s'accompagne généralement d'une déformation associée avec une pression. Frost (1992) a décrit 4 fenêtres d'activité osseuse en relation avec un accroissement de la pression :

- état d'hypo-utilisation aigu (< 50 micropressions). Le remodelage augmente jusqu'à un facteur 5 sans modelage. La densité osseuse diminue, comme on peut l'observer autour des dents en inocclusion (Picton, 1969), ou sur des mâchoires édentées, jusqu'à l'atrophie (Tallgren, 1970);

- état d'adaptation (50-1 500 micropressions). L'activité de résorption des UMB est équivalente à leur activité d'apposition, mais il n'y a toujours pas de modelage. La pression résulte d'une activité fonctionnelle normale sans variation de masse osseuse ;

- état d'hyperactivité léger (1 500-3 000 micropressions). Une dérive de l'os lamellaire apparaît en conjonction avec la formation normale d'UMB sans ou avec très peu de microaltérations. A ce stade de faible surpression, la masse osseuse s'accroît légèrement par accentuation de la formation d'os lamellaire, voire, en limite supérieure de cette fenêtre d'activité, d'os immature ;

- état d'hyperactivité pathologique (> 3 000 micropressions). Des microaltérations se produisent et l'augmentation du nombre des UMB est due aux processus de réparation. Ceci conduit à une perte osseuse qui peut aller jusqu'à la fracture (fig. 1).

Ces valeurs indiquées par Frost (1986) et Burr et al. (1989) ont été définies sur la base d'expérimentations où des jauges de contraintes de Roset avaient été glissées sous le périoste d'os longs. Cette réaction bimodale, où des pressions extrêmement fortes et extrêmement légères conduisent à une perte osseuse, a été également observée sur l'os trabéculaire. Ceci a été montré par une étude en éléments finis sur la réaction tissulaire autour d'implants dentaires mis en charge avec des systèmes de forces totalement contrôlés (Melsen et al., 1996).

Des coupes histologiques de la zone en pression et de la zone en tension n'ont pas pu être clairement différenciées au niveau de l'os alvéolaire de rats en réaction au mouvement dentaire provoqué (Verna et al., 1999a ; Verna et al., 1999b). Sur des singes, une force a été appliquée au niveau du centre de résistance de molaires et de prémolaires. Une accentuation de l'activité de résorption et d'apposition est constatée autour de la dent, quelle que soit la zone de coupe (Melsen, 1999). Le concept pression-tension avait déjà fait l'objet d'une controverse présentée par Epker et Frost (1965). Pour ces auteurs, le changement de forme de la circonférence alvéolaire qui résulte de l'étirement des fibres au travers du desmodonte provoque une diminution de la concavité du mur alvéolaire, c'est-à-dire une flexion de l'os dans la zone de tension. L'apposition sur le mur alvéolaire peut être interprétée comme une réaction à la flexion comparable à celle observée sur les os longs par les orthopédistes.

En dehors de ces adaptations locales à la contrainte, il est communément admis qu'il existe des modifications tissulaires régionales. En présence d'un quelconque traumatisme, il se produit une accélération de ces modifications tissulaires régionales. Un phénomène d'accélération régionale (PAR) conduit à une augmentation du renouvellement (Frost, 1990).

Alors que les réactions tissulaires au niveau du desmodonte et des surfaces osseuses contiguës ont été souvent étudiées, les changements au niveau de l'os environnant n'ont pas été scrupuleusement analysés. L'augmentation d'activité et de densité de l'os alvéolaire du côté du déplacement montre que les réactions tissulaires à l'application d'une force orthodontique devraient être analysées non pas en relation à la force appliquée mais par rapport aux modifications de pression (King et al., 1991 ; Roberts, 1992 ; Melsen, 1999).

Le but de cet article est de présenter les résultats d'expérimentations animales antérieures en formulant cette hypothèse de travail: la résorption directe serait le résultat d'une diminution de la pression physiologique appliquée au desmodonte et constituerait ainsi le début du remodelage au sens biologique du terme. La résorption indirecte serait une réaction inflammatoire aseptique destinée à éliminer l'os ischémique sous le tissu hyalinisé. La présence d'os immature dense observée à distance de l'alvéole dans la direction du mouvement dentaire confirme la présence de PAR. Selon cette hypothèse, l'apposition osseuse observée du côté tension résulterait de la flexion de l'os alvéolaire produite par l'étirement des fibres de Sharpey. Cette interprétation concorderait avec le point de vue des biologistes.

Cette étude se fixe un second objectif, celui d'appliquer l'analyse en éléments finis pour simuler la mise en charge orthodontique et évaluer ainsi les contraintes et pressions qui se produisent dans le desmodonte sous différentes intensités de force. Les résultats ont été interprétés en fonction du nouveau concept de réaction tissulaire en réponse à la pression générée par le mouvement orthodontique.

Matériel et méthode (expérimentation animale)

Les réactions tissulaires ont été étudiées sur 6 singes Macaca fascicularis. Leurs deuxième et troisième molaires avaient été extraites 3 mois auparavant. Un appareil a été mis en place pour rapprocher la deuxième prémolaire de la troisième molaire. Trois niveaux de force - 100, 200, et 300 cN - ont été appliqués pendant 11 semaines. Le système mécanique a été conçu de manière à faire passer la résultante des forces par le centre de résistance pour obtenir un mouvement de translation (fig. 2). Au bout de 11 semaines, les singes ont été sacrifiés sous anesthésie au Kétalar®, avec une perfusion de formaline neutre. Puis le procès alvéolaire a été prélevé, inclus dans une résine de méthyl méthacrylate et sectionné en 15 à 20 coupes horizontales parallèles à la scie diamantée, depuis le niveau de l'os marginal jusqu'à l'apex. Les coupes ont été colorées au fast green. Pour l'étude histomorphométrique, une grille formée par l'intersection de 3 lignes concentriques aux racines et 6 rayons a été placée sur chaque coupe. Ainsi, des zones soumises à diverses contraintes/pressions ont pu être bien différenciées (fig. 3).

Les paramètres suivants ont été évalués :

- le rapport des surfaces en résorption µm2/µm, c'est-à-dire la surface des lacunes de résorption rapportée à la surface totale de l'os trabéculaire ;

- le rapport des surfaces en formation µm2/µm, c'est-à-dire la surface couverte de tissu ostéoïde rapportée à la surface totale de l'os trabéculaire ;

- le rapport des surfaces au repos, calculé à partir de l'équation suivante : 100 % de l'os trabéculaire moins les fractions d'os en résorption et d'os en apposition ;

- la densité osseuse, au mésial et au distal des troisièmes molaires et des secondes prémolaires (Gundersen (fig. 3 et 4) .

Un test a posteriori a été utilisé de façon à distinguer les zones dont les paramètres reflétaient un renouvellement osseux différent.

Résultats

On a pu enregistrer des mouvements dentaires variés allant de la translation à la version contrôlée dont le centre de rotation se trouvait à des endroits variables au-dessus de l'apex. L'amplitude du mouvement, mesurée au niveau de la crête marginale, a varié de 0,21 à 0,9 mm par mois. Nous n'avons pu corréler la magnitude de la force au type de mouvement ou à l'amplitude du déplacement. Au moment précis de la réalisation des coupes, le mur alvéolaire du côté du déplacement était en résorption. La surface alvéolaire opposée était en apposition, d'une manière très caractéristique (fig. 3 et 5). Une formation d'os immature a pu être observée au niveau de l'os alvéolaire, à distance de l'alvéole dentaire, du côté du déplacement. La densité osseuse du côté du déplacement dentaire est supérieure à celle des coupes de contrôle. La densité de l'os proche de l'alvéole est augmentée, quelle que soit l'amplitude de la force utilisée (tableau I).

Tous les paramètres mesurés dans les zones entourant les dents soumises au système de forces ont montré une différence significative par rapport aux paramètres correspondants du groupe contrôle. La mise en charge a provoqué un accroissement des surfaces en résorption, qui occupent de 3 à 5 % dans le groupe contrôle, alors qu'elles représentent de 7 à 13 % de l'ensemble de l'os environnant les dents du groupe expérimental. De même, une augmentation des surfaces en apposition a été constatée. Celles-ci passent de 15-20 % dans le groupe contrôle à 35-49 % autour des dents mises en charge. L'activité des surfaces osseuses a été évaluée en fonction de la distribution des contraintes-déformations. Alors qu'une nette séparation existe entre les différentes zones en résorption ou au repos, aucune différenciation n'a pu être définie dans les zones en apposition (Melsen, 1999).

Analyse en éléments finis

Un modèle d'analyse (par demi-côté) en éléments finis (EF) d'une incisive centrale humaine et de ses tissus de support a été créé. Une coupe histologique d'une racine humaine d'incisive avec son desmodonte et son os alvéolaire a servi de référence pour concevoir ce modèle (fig. 6). L'image a été digitalisée et les contours de la racine, de l'alvéole et du rebord externe de l'os ont été tracés. En utilisant les options du programme d'analyse EF (COSMOS/M; Structural Research & Analysis Corp., Los Angeles, Californie, Etats-Unis), ces contours ont été d'abord balayés sur 90° pour créer un modèle d'un quart. Les volumes ainsi obtenus ont été maillés automatiquement en utilisant des éléments tétraédriques à 4 nœuds. Des éléments ont été rajoutés manuellement sur la surface vestibulaire pour obtenir la forme réelle de la mandibule dans le plan labial/vestibulaire. Enfin, le modèle d'un quart a été reproduit symétriquement en miroir de façon à obtenir un modèle d'un demi. Pour gagner du temps de calcul, la couronne de l'incisive n'a pas été modélisée. Ce modèle mathématique est constitué de 55586 éléments et de 10601 nœuds. Différentes représentations du modèle sont présentées sur la figure 6 . Les propriétés tissulaires de la racine, de l'os trabéculaire et de l'os cortical sont supposées être uniformes et homogènes. Comme l'objectif principal de cette étude était d'étudier la déformation de l'os alvéolaire, le choix du module de Young pour l'os trabéculaire a une grande influence sur le résultat des calculs. C'est pour cette raison que des limites (minimale de 100 MPa et maximale de 1 000 MPa) ont été fixées. Les valeurs du module de Young et des rapports de Poisson de l'os et de la racine figurent dans le tableau II.

Les valeurs du module de Young au niveau du desmodonte décrites dans la littérature médicale montrent de très importantes variations. Avec des valeurs aussi faibles que 0,01 MPa (Bourauel et al., 1999) jusqu'à celles de 6 900 MPa (Tanne et al., 1991), on observe des différences de plus de 5 puissances de 10. Du fait de son architecture fibreuse, le desmodonte réagit différemment du côté en tension et du côté en compression. Grâce à l'étirement de ses fibres, il peut supporter une contrainte en tension alors que sa résistance à la compression est bien moindre car ses fibres se retroussent et se pincent. Pour cette analyse, ce phénomène a été pris en compte en affectant au desmodonte une relation contrainte/déformation non linéaire (fig. 7). Pour une contrainte modérée, le module de Young en tension est de 0,044 MPa. Il augmente progressivement jusqu'à 0,44 MPa avec 54 % de contrainte. Au-delà de 54 %, une valeur de 0,01 MPa a été enregistrée pour représenter une déchirure du ligament parodontal. En compression, le module de Young initial n'est que de 0,005 MPa et il reste à ce niveau pour une grande partie du spectre de contraintes. Pour une contrainte réellement plus importante (> 80 %), il atteint rapidement 8,57 MPa. Pour le desmodonte, un rapport de Poisson de 0,49 est affecté. Du fait du comportement mécanique non linéaire du ligament, les analyses EF étaient également non linéaires. Pour atteindre une bonne convergence, elles ont été réalisées selon le mode de contrôle de force en utilisant la méthode complète Newton-Raphson. Pour enregistrer la discontinuité des étapes temporelles réelles requise pour construire graduellement le schéma total de mise en charge, il a été utilisé l'option intégrée de chronologie automatique du programme d'analyse EF.

Ce modèle a été mis en charge en appliquant une force mésio-distale à la limite supérieure de la racine. L'amplitude de la force a été fixée à 40, 80, 120, 160 et 200 cN. Des limites supplémentaires ont été imposées aux nœuds de la surface supérieure de la racine pour s'assurer qu'elle ne se déplace que dans le sens mésio-distal. Ainsi, une translation pure de la racine a pu être simulée. Bien que cette analyse nous procure des informations sur les contraintes et déformations qui se produisent dans toutes les structures concernées, nous étions plus particulièrement intéressés par les résultats observés dans les zones de l'os alvéolaire classiquement définies comme étant en tension et en compression.

Résultats

La distribution des contraintes et des déformations de chaque côté de l'os alvéolaire (compression et tension) n'est pas symétrique. Les valeurs sont, en valeur absolue, beaucoup plus importantes du côté en tension (fig. 8, 8b, 9a) et 9b Les contraintes et les déformations ne sont pas réparties uniformément le long de l'os alvéolaire. Des valeurs maximales sont observées à la fois du côté en tension et du côté en compression, là où le ligament est le plus fin. Les pics de déformation osseuse sont également relevés des 2 côtés (compression et tension) pour des valeurs de mise en charge orthodontique de plus en plus grandes (fig. 10). Il apparaît que le spectre des déformations du côté en compression est beaucoup plus petit que celui relevé du côté en tension où les valeurs maximales sont jusqu'à 5 fois plus élevées. De plus, le graphique montre que les déformations à la fois en tension et en compression sont plus faibles quand le modèle simule un os trabéculaire très rigide. Si l'on attribue au modèle de calcul une valeur basse de rigidité pour ltrabéculaire, le spectre des déformations est presque 7 fois plus large.

La figure 11 représente le changement de forme de l'os alvéolaire dans le sens transversal. Elle montre que, par rapport à une situation sans contraintes, les déformations les plus importantes se produisent du côté en tension. Par contre, les modifications les plus importantes de la courbure de l'os alvéolaire ne se produisent pas du côté en tension dans la direction de la force (autour de 0°) mais dans le segment 45-90°.

Discussion

Les déformations engendrées au niveau des tissus environnant la dent soumise à un système de forces contrôlées, passant par le centre de résistance, ont été estimées à l'aide d'une analyse EF. Ces résultats ont été rapprochés des paramètres du renouvellement osseux étudiés au cours d'une expérimentation animale. Au moment de l'observation des coupes, toutes les dents s'étaient déplacées par résorption directe. Il est intéressant de noter que l'os, du côté du déplacement dentaire, présente une densité accrue et se compose d'os immature. Selon Frost (1986), un stimulus régional délétère d'une amplitude suffisante peut provoquer un phénomène d'accélération régionale. L'étendue de la région affectée et l'intensité de la réponse sont directement fonction de la nature et de l'amplitude du stimulus. Dans cette étude, le stimulus était une force orthodontique contrôlée dont l'amplitude était naturellement suffisante pour générer cette réaction. Jee et Li (1990) et Burr et al. (1989) ont également observé que la réponse à une déformation accrue, si elle est d'intensité suffisante, peut être la formation d'os immature. Ceci confirme l'hypothèse de Wolff (1892), selon laquelle l'os immature serait une réponse physiopathologique à une surcharge et signerait un processus de cicatrisation. Une apposition d'os lamellaire est nettement observée sur le mur alvéolaire opposé à la direction de la force. Cependant, de ce même côté mais à distance de la dent, l'activité osseuse est nettement inférieure à celle observée du côté du déplacement dentaire.

Selon le modèle décrit précédemment (fig. 1), des déformations de faible intensité provoqueraient une perte osseuse nette; celle-ci résulterait d'un élargissement de la zone de remodelage. Pour une déformation plus importante, le modelage débute et un équilibre positif s'établit. Lorsque la courbe de déformation coupe la ligne de neutralité, la résorption est en équilibre avec l'apposition. L'os nouvellement formé est constitué d'os lamellaire alors que l'os immature apparaît pour des déformations plus importantes. Des déformations encore plus importantes provoquent un déséquilibre avec une perte osseuse: les phénomènes de réparation ne peuvent plus compenser l'apparition nouvelle de microfractures (Burr et al., 1985). La limite entre le stimulus traumatogène et le stimulus mécanique générant une augmentation de la masse osseuse n'a pas été encore établie. Il est probable que ce modèle expérimental provoque à la fois des déformations traumatogènes et des déformations incitant une adaptation structurelle à la fonction mécanique (Frost, 1986).

L'analyse EF a montré que les niveaux de déformation dépendent de la rigidité présumée de l'os trabéculaire. Dans des cas d'application de forces aussi faibles que 40 cN, des déformations en tension allant jusqu'à 320 micropressions ont été observées. Ce niveau se situe juste au-dessus du seuil critique de déformation minimale efficace d'inactivité (100-300 micropressions). Dans certains cas d'os trabéculaire très rigide, l'application d'une charge de 200 cN reste dans la zone critique (fig. 10). Au niveau de la zone de compression, quelle que soit la dureté de l'os trabéculaire, les déformations même élevées se maintiennent au sein, voire au-dessous de la zone critique. Cette distribution asymétrique des déformations de part et d'autre de la racine peut s'expliquer par le comportement mécanique du desmodonte qui n'a en réalité aucune résistance à la compression. Ainsi, lorsqu'une dent est déplacée, le ligament est essentiellement soumis à une tension.

La résorption de l'alvéole du côté de la direction de la force est une condition préalable indispensable pour générer le déplacement dentaire. La résorption du mur alvéolaire a été observée de façon systématique dans tous les cas. Comme le montre la figure 1, la résorption du mur alvéolaire, après une mise en charge, peut résulter de déformations trop faibles ou de déformations trop élevées. La réaction tissulaire à l'application d'une force orthodontique se caractérise néanmoins par l'apparition initiale dischémie locale, d'une hyalinisation, suivie d'une résorption indirecte (Brudvik et Rygh, 1993a et b).

Selon Meikle et al. (1986), les premières cellules qui réagissent aux forces orthodontiques sont les préostéoblastes, les ostéoblastes helper, qui transmettent le message de différenciation des cellules de résorption par la synthèse de cytokines. Il est probable également que l'ischémie au niveau du ligament provoque une nécrose locale des trabécules osseuses situées sous la zone hyaline; à ce niveau, les cellules bordantes, dans ce cas, situées au niveau de la surface alvéolaire, sont responsables de la transmission de messages intercellulaires (Melsen et al., 1998). Ainsi, la vitalité de l'os disparaît et la résorption indirecte permet la suppression de l'os nécrosé. Le développement d'ostéoclastes n'est pas lié à l'application de la force mais à l'ischémie tissulaire, de façon identique à la réaction produite au niveau du desmodonte pour éliminer la zone hyaline (Brudvik et Rygh, 1994 ; Brudvik et Rygh, 1993a et 1993b ; Meikle et al., 1986). Pendant la période de destruction de la zone hyaline, les dents ne se déplacent pas mais les forces sont transmises à l'os dans la direction du déplacement dentaire et provoquent un accroissement important de la densité.

La différenciation des zones en fonction de la répartition du rapport force/déformation a pu être réalisée au niveau des zones de résorption et de repos, mais pas à celui des zones d'apposition. Ceci peut éventuellement s'expliquer par la durée relative de chaque événement de la séquence de résorption ARF (activation, résorption, apposition) (Eriksen, 1989). La durée de la période de résorption est courte en comparaison de celle d'apposition (Jaworski, 1971). Il est ainsi plus facile de différencier la réaction osseuse en relation avec la résorption que celle en relation avec l'apposition. L'étendue des surfaces de repos reflète de façon indirecte l'activité globale; 4 sous-groupes de résultats ont pu être différenciés par l'étude de ce paramètre. Au moment où les animaux ont été sacrifiés, on a pu observer une apposition dans la zone en tension. Analysé grâce à la méthode des éléments finis, ce phénomène s'explique par l'accroissement de concavité du mur alvéolaire lorsque la dent est déplacée. Elle résulte de l'étirement des fibres du ligament qui sont orientées vers le centre de la dent. Ce phénomène d'apposition secondaire à la flexion du mur alvéolaire avait déjà été présenté en 1961 par Andrew et Bassett (1971). La résorption directe analysée grâce à la méthode des éléments finis apparaît en réponse à la détente des fibres du desmodonte liée à une mise en charge se situant sous le seuil limite de déformation minimale efficace (Frost, 1990). Dans ce cas, le remodelage débute par une résorption. Cette étude n'a pas pu montrer s'il existe une relation directe entre la formation d'os immature et la résorption du mur alvéolaire. La quantité d'os immature visible à la fois dans et autour de l'alvéole qui aurait dû cicatriser en totalité presque 7 mois après l'extraction constitue un obstacle au mouvement dentaire car un os dense, riche en tissu ostéoïde, se résorbe moins facilement qu'un os trabéculaire, pauvre en tissu ostéoïde. Ceci peut accroître le risque de résorption radiculaire. Une mise en charge suffisamment élevée pour provoquer une hyalinisation et un accroissement de densité osseuse du côté du déplacement dentaire peut augmenter le risque de résorption radiculaire non seulement dès le début, lors de la destruction de la zone hyaline, mais également plus tard, lorsque l'os immature doit être traversé.

Conclusion

Cet article présente les résultats expérimentaux d'une série de mouvements dentaires provoqués sur des singes et d'une analyse en éléments finis paramétrée sur un modèle humain à partir de données limites. Il analyse la réaction tissulaire en relation avec le mouvement dentaire plutôt sous l'angle des biologistes que selon le point de vue des orthodontistes. Une nouvelle hypothèse concernant la réaction tissulaire initiale est présentée. Une explication est proposée sur l'apparente controverse selon laquelle la compression génère de l'os pour les orthopédistes alors qu'elle provoque la résorption de l'os selon les orthodontistes. La résorption directe peut être interprétée comme une activation du remodelage et la résorption indirecte comme la réparation d'un trauma. L'apposition résulterait de la flexion du mur alvéolaire (fig. 11).

Les amplitudes de déformation observées du côté du déplacement dentaire étaient sous le seuil de déformation minimale efficace (fig. 8, 8b et 10). À la lumière de la théorie mécanostatique, ceci provoque un remodelage lié à une insuffisance fonctionnelle qui explique la résorption directe du côté communément nommé " compression " (fig. 7). Par ailleurs, l'étirement des fibres du ligament parodontal du côté opposé entraîne un niveau de déformation correspondant au modelage. Ceci explique la formation de nouvel os du côté en " tension " (fig. 3).

La formation d'os immature visible en avant de l'alvéole dans la direction du déplacement peut être interprétée comme une expression du phénomène d'accélération régionale (fig. 3). Selon Frost (1986), n'importe quel stimulus délétère régional d'amplitude suffisante peut provoquer un tel phénomène. L'étendue de la région affectée et l'intensité de la réponse sont directement fonction de l'amplitude et de la nature du stimulus. La résorption indirecte apparaît dans le desmodonte en présence d'une ischémie ou d'un phénomène de hyalinisation. Ceci est probablement dû à la disparition des cellules bordantes dont la présence est nécessaire pour la communication des ostéocytes. Le tissu hyalinisé du desmodonte est détruit par des cellules " non clastiques " et l'os sous-jacent est simultanément résorbé par des ostéoclastes pour réparer les tissus abîmés ( fig. 3 , région 4).

Une force orthodontique contrôlée a été utilisée comme stimulus dans toutes ces études. La déformation qui en résulte varie en amplitude selon la nature de la force appliquée et les variations biologiques liées à la taille de la racine et à la structure de l'os entourant la dent (Melsen et al., 1996). Dans cette étude, l'observation la plus marquante a porté sur l'activation mais également sur la densité de l'os soumis à des compressions du côté du déplacement dentaire.

Cette étude a pu être réalisée grâce à la fondation Dannin, Danemark, et Aarhus University Research Foundation, Danemark.

Demande de tirés à part

Birte MELSEN, Département d'orthodontie, Royal Dental College, Aarhus University, Vennelyst Boulevard, DK-8000 AARHUS C - DANEMARK.

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