Traitement d'une parodontite avancée : du diagnostic étiologique à une logique thérapeutique - JPIO n° 3 du 01/08/2003
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2003

 

Articles

Y. REINGEWIRTZ   

Service de parodontologie
Hôpitaux universitaires de Strasbourg

Résumé

Le traitement d'une parodontite avancée et généralisée nécessite une approche pluridisciplinaire afin de mettre en évidence l'ensemble des facteurs ayant participé à l'installation puis à la progression de la maladie parodontale. Nous présentons un cas clinique complexe qui nous permet de mettre au jour les facteurs étiologiques essentiels au développement de la maladie. Cette approche diagnostique a fait intervenir des techniques d'identification bactérienne par sonde ADN, un enregistrement détaillé des différents paramètres parodontaux, la recherche des anomalies occlusales et un bilan radiographique, dont l'analyse globale permet de dresser un plan de traitement adapté. Celui-ci associe une action antibactérienne ciblée par voie générale et complétée localement par un débridement mécanique, par voie chirurgicale ou non. La technique privilégiée ainsi que le type de restauration prothétique ont été choisis en fonction des capacités du patient à prolonger à son domicile les soins parodontaux dispensés au cabinet. Après traitement des différents facteurs étiologiques, les mesures enregistrées lors de la réévaluation au bout de 5 ans montrent des résultats satisfaisants pour les défauts les plus profonds, que le débridement mécanique ait été effectué avec ou sans abord chirurgical, et, dans le premier cas, avec pose de membrane ou comblement par matériau de substitution.

Summary

The treatment of advanced, generalized periodontitis requires a multidisciplinary approach in order to clarify the different factors involved in the initiation and the progression of the disease. A clinical case is presented that serves to illustrate the main etiological factors involved in the development of the disease. A diagnostic approach involving bacterial identification (performed with a DNA probe), the recording of periodontal parameters, occlusal analysis and radiography provides data for the overall analysis and the drawing up of a treatment plan appropriate to the patient's needs. Therapy will be focused on bacterial control, combining antibacterial (chemical) methods with mechanical debridement, with and without surgery. The treatment decision as well as the method of prosthodontic rehabilitation will depend on the ability of the patient to continue at home the periodontal care advised in the surgery. Five years after treatment, measurements of the periodontal parameters indicate a reduction of the deepest defects, whether the mechanical debridement has been performed surgically or not and, in the former case, whether a bone substitute graft or a resorbable membrane for guided tissue regeneration was used.

Key words

Periodontitis, diagnosis, aetiology, prosthetic rehabilitation

Introduction

Si la solution aux atteintes parodontales superficielles se trouve dans des approches simples associant des détartrages et l'enseignement des techniques d'hygiène, et si des parodontites localisées peuvent être traitées avec un pronostic favorable par des techniques d'assainissement, chirurgicales ou non, en revanche, le traitement d'une parodontite sévère généralisée, résultat de l'installation d'une flore polymorphe pathogène, devra faire l'objet d'une approche multidisciplinaire permettant d'identifier les facteurs étiologiques et, par là, de guider les choix thérapeutiques. Cette démarche est présentée au travers du cas clinique suivant.

Présentation du cas clinique et diagnostic

Madame S.M. se présente en consultation en 1996. Ses doléances majeures sont l'aspect inesthétique, voire disgracieux, de son sourire (fig. 1), la mobilité de certaines dents maxillaires et des saignements de gencive provoqués par le brossage.

La patiente, âgée de 52 ans, déclare être en bonne santé ; l'interrogatoire médical ne révèle aucune pathologie systémique ni antécédent en rapport avec son état parodontal ; elle ne fume pas, son haleine n'est pas désagréable - elle est de 2 dans la classification de Niles (Niles et Gaffar, 1995). Son désir de voir son état s'améliorer est réel et sa coopération totale.

Différents examens sont alors entrepris afin d'établir le diagnostic.

Diagnostic clinique, carte parodontale (tableau 1)

Le sondage parodontal confirme l'atteinte parodontale avancée avec une profondeur de poche de 6 mm pour 2 sites, de 7 mm pour 13 sites, de 8 mm pour 8 sites et de 9 mm pour 5 sites, compliquée par des récessions gingivales marquées dans les secteurs antérieur et molaire droit supérieur.

Des saignements généralisés accompagnent le sondage des différents secteurs.

Plusieurs dents sont mobiles, tout particulièrement 15 (mobilité 4), 13 (mobilité 3) et 12 (mobilité 2).

A l'analyse occlusale, on note un recouvrement incisif marqué, une interférence de la couronne prothétique de 15 en latéralité droite contribuant à sa mobilité et une absence de point de contact entre 42 et 43, probablement déterminante dans l'origine de la poche de 9 mm siégeant en distal de 42.

Diagnostic radiographique

Le bilan radiographique (fig. 2) révèle une alvéolyse horizontale du groupe incisivocanin maxillaire et des dents mandibulaires aggravée par un certain nombre de défauts angulaires (42 et 45 distal, 13 et 15 distal, 23 mésial) ; on note également l'interruption de la corticale de l'ensemble des septa interdentaires ainsi qu'une tache radio-claire au niveau de la furcation de 37 semblant en continuité avec un défaut circulaire marqué autour de la racine distale de 37.

Diagnostic bactériologique

Les signes plaidant en faveur d'une activité de la maladie parodontale - saignements généralisés, 28 sites sondant à 6 mm et plus (Colombier et al., 1989) - ont posé l'indication d'un examen bactériologique consistant en la recherche des ADN bactériens marqueurs de la parodontite. Trois espèces bactériennes (Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis, Prevotella intermedia) ont été recherchées au niveau de deux sites (42 et 13 distal). Les résultats (Parogène®) montrent une présence abondante de chacune d'elles (tableau 2).

L'ensemble de ces examens, bilans et tests oriente, compte tenu de l'âge de la patiente et de l'évolution de la maladie, vers un diagnostic de parodontite de l'adulte, de moyenne à avancée selon les secteurs (classes 3 et 4 selon la classification AAP).

Stratégie thérapeutique

La démarche thérapeutique va s'articuler autour des différents facteurs révélés par le diagnostic étiologique.

Traitement antibactérien par voie générale

Un traitement antibiotique ciblé associant amoxicilline et acide clavulanique, à raison de 1,5 g/j en 3 prises (Augmentin oral®, comprimés 500 mg), est instauré pour 10 jours (Fosse et al., 1994).

Traitement mécanique

Un traitement d'assainissement par débridement mécanique en aveugle de l'ensemble des secteurs, accompagné par l'application d'antiseptiques locaux sous forme de gels et de bains de bouche (chlorhexidine à 0,1 ou 0,2 %) est instauré. Il est poursuivi durant 6 mois à raison d'un curetage sous-gingival associé à un surfaçage radiculaire manuel et/ou ultrasonique toutes les 3 semaines. Cette période d'assainissement a été mise à profit pour parfaire les habitudes d'hygiène parodonto-dentaire de la patiente et choisir les instruments d'hygiène les plus à même de prévenir l'accumulation de plaque et la formation de tartre (Al-Yahfoufi et al., 1995).

Traitement chirurgical

Le traitement chirurgical des défauts angulaires les plus marqués à la mandibule est entrepris. Le débridement chirurgical de la poche de 9 mm située en distal de 42 a été précédé par la réalisation d'un point de contact entre les faces distale de 42 et mésiale de 43 (fig. 3), l'espace existant entre ces dents étant un facteur susceptible de déclencher puis de favoriser la progression de la poche. Le temps opératoire inclut une voie d'abord classique, par biseau interne destiné à éliminer l'épithélium de poche, suivie du débridement du défaut parodontal ; la surface cémentaire est alors soigneusement curetée puis surfacée. Afin de permettre le comblement du défaut par régénération des tissus parodontaux détruits, le comblement est recouvert à l'aide d'une membrane résorbable (Guidor®, Straumann AG) (fig. 4a et 4b). Une couverture antibiotique par amoxicilline (Penglobe® 600 mg, 2 prises par jour) est prescrite durant 7 jours, à laquelle sont associés des bains de bouche antiseptiques à la chlorhexidine 0,12 % (Paroex sans alcool®).

Le débridement chirurgical, selon un protocole similaire, est appliqué 2 mois plus tard au secteur 35-36-37. Le cratère entourant la racine distale de 37, après avoir été débridé, est comblé à l'aide d'un matériau osseux déprotéinisé bovin (Bio-Oss®, Geistlich Söhne Ag).

Traitement parodontal maxillaire

Il se fait en 3 étapes : occlusale, chirurgicale et prothétique.

Après avoir éliminé le traumatisme occlusal de 15 par coronoplastie, la réduction de la longueur des couronnes du groupe incisivocanin est réalisée ; plusieurs raisons justifient ce choix. En premier lieu, l'amélioration esthétique, la récession gingivale marquée ayant conduit à une nouvelle hauteur coronaire (couronne plus racine apparente) exagérée ; en second lieu, l'amélioration mécanique, le rapport racine/couronne étant moins favorable depuis la réduction du support osseux radiculaire. Le temps chirurgical combine différents actes (catégorie 5 selon la classification d'Estrabaud et al. [1990], catégorie dont le traitement parodontal nécessite impérativement une préparation préprothétique). L'étude sur modèle conduit à redéfinir le contour gingival de 11 et 12, asymétriques par rapport à 21 et 22 ; le remodelage est réalisé par gingivectomie à biseau externe, accompagnée de la frénectomie du trousseau fibreux médian interincisif ; l'intervention se poursuit par l'exposition des défauts du secteur antérieur après lambeau esthétique d'accès (Genon et Gender, 1986), débridement des cratères des septa interdentaires et comblement des défauts intra-osseux (Bio-Oss®). Le site opératoire est refermé pendant 7 jours par une série de points de matelassier horizontaux. Un pansement chirurgical (Barricaid®) recouvre le site et joue le rôle d'épithèse. Une couverture antibiotique par amoxicilline est instaurée durant 1 semaine, associée à des bains de bouche avec chlorhexidine à 0,12 % sans alcool. Trois semaines après le retrait des points, des couronnes provisoires sont réalisées définissant une nouvelle ligne du sourire, un nouveau contour gingival et l'amorce des papilles interdentaires (fig. 5a et 5b). Neuf mois après la réalisation des couronnes provisoires, une réalisation prothétique définitive 11-12 et 21-22-23 est réalisée sur un terrain parodontal sain et stable (fig. 6).

Evolution et suivi

Durant les 4 années qui ont suivi la phase chirurgicale du traitement, la patiente s'est appliquée à suivre scrupuleusement les conseils d'hygiène prodigués au cabinet ainsi que le calendrier des visites s'inscrivant dans le cadre de la thérapeutique de soutien. Celle-ci se trouve être particulièrement renforcée depuis l'utilisation, ces deux dernières années, d'embouts ultrasoniques plus fins (Perioslim®, EMS), aux lignes plus adaptées aux défauts profonds et étroits. Leur utilisation concourt à maintenir des résultats satisfaisants relevés lors du dernier sondage (3 sites résiduels sondent à 6 mm, 1 site - 26 mésio-vestibulaire - sonde à 9 mm par suite d'une fracture radiculaire sous-gingivale ; saignement uniquement au sondage et localisé à 26, 12, 13 et 14) (tableau 3).

Il est intéressant de noter l'image radiographique favorable des différents défauts traités chirurgicalement (fig. 7), à rapprocher toutefois de l'image de comblement obtenue au niveau de 45 distal, site traité uniquement en aveugle et dont la qualité de résultat plaide en faveur de ce type d'approche. Les clichés les plus récents (février 2002) permettent d'apprécier tant la stabilité du niveau gingival par rapport aux nouveaux contours prothétiques que la qualité esthétique du sourire rendu (fig. 8a et 8b). Le contrôle au bout de 4 ans du défaut siégeant en distal de 42 montre une perte d'attache modérée (4 mm) à rapprocher d'une récession gingivale consécutive au remodelage ayant suivi la chirurgie et l'assainissement de ce secteur (fig. 9).

Discussion

La même démarche préside à la prise en charge des patients atteints d'une pathologie parodontale avancée. Elle est fondée sur un diagnostic étiologique aussi rigoureux que possible prenant en compte les examens clinique, radiographique et bactériologique. Le traitement, conduit chez cette patiente, s'appuie sur ces différentes informations et justifie les traitements antibactériens ciblés, l'élimination des interférences occlusales, l'assainissement parodontal sans puis avec lambeau, enfin les solutions prothétiques progressives car nécessitant un passage provisoire obligé permettant une cicatrisation, une maturation et enfin une stabilité des tissus parodontaux.

Le renforcement du parodonte mince de type IV (selon la classification de Maynard et Wilson, 1980) par un greffon conjonctif enfoui aurait pu se justifier si le niveau du bord incisif avait été conservé. La diminution de la longueur coronaire a permis, outre la résolution du problème des « dents longues » (Fuzzi et Carnevale, 1997), de retrouver une qualité et une quantité d'os suffisantes pour stabiliser le niveau gingival, ce résultat étant encore favorisé par l'élimination de la flore parodontale pathogène. Le choix du traitement des défauts infra-osseux les plus profonds doit se faire en fonction des conditions anatomiques locales et des capacités du patient à maintenir une hygiène locale optimale ; aussi, l'indication d'une membrane résorbable n'a pas été retenue dans le traitement du défaut sur la furcation de 37, les conditions locales étant défavorables (Landi et al., 1996). En revanche, l'utilisation d'une membrane résorbable dans le traitement du défaut de 42 a permis, malgré l'apparition d'une récession gingivale, une réduction significative de la perte d'attache (Christgau et al., 1998). Le comblement partiel du défaut situé en distal de 45, site n'ayant pas bénéficié d'un abord chirurgical, montre tout le potentiel de réparation d'une lésion bénéficiant d'un traitement par débridement mécanique, associé à une antibiothérapie ciblée (Haffajee et al., 1997) ; cette approche, faisant peser le risque de zones apicales de poches non traitées et donc pouvant être source de récidives, doit être retenue avec prudence, notamment dans les cas d'atteinte parodontale avancée avec infection par A. actinomycetemcomitans (Nieminen et al., 1995).

Conclusion

Dresser l'inventaire des nombreux facteurs ayant conduit à l'installation puis à l'avancée de la maladie parodontale est le plus sûr moyen pour le parodontiste de pouvoir bâtir une stratégie fondée sur un traitement étiologique. Celui-ci permettra de retrouver les bases saines, après réparation ou régénération des tissus lésés, susceptibles de recevoir des reconstructions prothétiques complexes mais au pronostic favorable.

Demande de tirés à part

Yves REINGEWIRTZ : Service de parodontologie - 1, place de l'Hôpital - 67300 STRASBOURG - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

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