Anatomie clinique et chirurgicale de la cavité orale - JPIO n° 2 du 01/05/2004
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2004

 

Articles

P. CARPENTIER *   R. FELIZARDO **   J.-M. FOUCART ***   D. ÉTIENNE ****  


*PU-PH Sciences anatomiques
**Assistant d'enseignement
Sciences anatomiques
***MCU-PH Sciences anatomiques
****MCU-PH Parodontologie
UFR d'Odontologie
Université Paris-7 Denis-Diderot

Résumé

La région mentonnière interforaminale est trop souvent considérée comme une zone au sein de laquelle la mise en place d'implants et les prélèvements osseux peuvent être réalisés sans risque. Cet article rassemble des données d'anatomie clinique et chirurgicale ainsi que des documents de dissection visant à expliquer et à prévenir les échecs anesthésiques, les lésions neurologiques et les accidents vasculaires de ce territoire qui ne peut en aucun cas être considéré comme un désert anatomique.

Les structures anatomiques présentant un risque en chirurgie orale sont essentiellement vasculaires et nerveuses. Ainsi, une hémorragie du plancher oral consécutive à une lésion vasculaire induite par une perforation de la corticale linguale lors de la mise en place d'un implant peut engager le pronostic vital si elle n'est pas contrôlée. De même, la compression ou la lésion de neurofibres afférentes peut générer localement des séquelles mineures de type anesthésie, hypoesthésie ou dysesthésie plus ou moins réversibles dans le temps. Plus rarement, mais de façon imprévisible, ces lésions nerveuses peuvent présenter des défauts de cicatrisation source de douleurs neuropathiques chroniques.

Les éléments anatomiques sont décrits en insistant sur le nerf mentonnier et ses branches labiales, la boucle mentonnière et le nerf incisif, le foramen lingual et l'organisation vasculaire, en vue de dégager des recommandations visant à améliorer et à sécuriser les pratiques cliniques et chirurgicales de ce site.

Summary

The mental interforaminal region is too often considered as a location in which implant placement and bone harvesting can be performed without risk. This review article includes the topics of clinical and surgical anatomy together with the results of dissections, with the aim of explaining and preventing failures of anaesthesia and injuries to nerves and blood vessels in a region which must not be considered to be an anatomical desert.

Anatomical risk in oral surgery is mostly related to vascular and nerve structures. Profuse bleeding in the floor of the mouth may be the consequence of vascular trauma due to a perforation of the lingual cortical plate during routine implant placement. Without adequate haemostasis, subsequent airway obstruction may be fatal. Similarly, compression or damage to afferent nerve fibres may cause minor local side effects such as anaesthesia, hypoaesthesia and dysaesthesia that are more or less reversible with time. Seldom and unpredictably, defects of healing following nerve injury may lead to pain due to chronic neuropathy.

Our clinical and anatomical description focuses on the mental nerve and its labial branches, the anterior mental plexus and the incisal nerve, the mandibular lingual foramen and its vascular blood supply, with the aim of drawing up guidelines to improve and to secure clinical and surgical efficacy in this area

Key words

Clinical anatomy, oral surgery, mental interforaminal region, mandibular incisive canal, mental nerve, mandibular symphysis, sublingual artery

Introduction

Nous avons rassemblé dans une série d'articles des données récentes d'anatomie, d'imagerie et d'anesthésiologie nécessaires à une pratique efficace et sécurisée de la chirurgie orale. En effet, la production dans tous ces domaines est telle qu'il est difficile de suivre l'actualité sans y consacrer beaucoup de temps en recherche, lecture et analyse d'articles dispersés dans de nombreuses revues scientifiques.

Nous aborderons dans un premier temps, à travers trois articles, la région mentonnière interforaminale, en traitant successivement de l'architecture osseuse et musculaire, des éléments vasculaires et nerveux et du plan muco-gingival. À chaque stade, nous dégagerons les incidences cliniques pour les relier directement à leur support fondamental afin que la corrélation soit immédiate.

L'édification du corps de la mandibule s'effectuant à partir de deux noyaux principaux situés à l'emplacement des futurs foramens mentonniers, nous adopterons ces repères anatomiques pour reconnaître trois secteurs mandibulaires : un secteur antérieur compris entre les deux foramens, ou région mentonnière interforaminale, et deux secteurs postérieurs molaires homologues, qui feront l'objet de publications ultérieures.

La région mentonnière interforaminale

Plan musculo-squelettique du vestibule

Le vestibule constitue la partie de la cavité orale située en dehors des arcades alvéolo-dentaires. Il est délimité par une muqueuse bordante, non kératinisée, qui se réfléchit latéralement pour adhérer à la musculature des joues et des lèvres et médialement pour recouvrir les processus alvéolaires. Le vestibule est la voie d'abord chirurgicale classique pour accéder à l'os alvéolaire ou basal de la mandibule.

Le plan osseux

La protubérance mentonnière

En vue inférieure, le bord basilaire de la mandibule présente dans ce secteur une forme curviligne ou trapézoïdale selon le développement des tubercules mentonniers qui délimitent la base de la protubérance mentonnière. Cette saillie caractéristique de l'espèce humaine présente une surface lisse en forme de dos-d'âne, bordée latéralement par les dépressions orales mandibulaires antérieures qui s'étendent sous les alvéoles, de l'incisive médiale à la première prémolaire (Bories, 1996 ; Arensburg et al., 1989 ; Kaffe et al., 1990). Plus ou moins marqué selon les sujets, le menton a une origine complexe qui prête encore à discussion (fig. 1).

Pendant la période embryonnaire, les deux hémi-mandibules sont accolées dans la région symphysaire par un tissu fibreux. Vers le quatrième mois in utero, elles se désunissent dans leur moitié inférieure, créant un vide basilaire à l'emplacement du futur menton osseux et deux dépressions orales mandibulaires antérieures s'étendant latéralement jusqu'aux foramens mentonniers.

3 à 6 ossicules mentonniers, formations indépendantes du cartilage du premier arc branchial, viennent combler cet espace et contribuer à la formation du menton. L'organogenèse permet d'expliquer le modelé caractéristique et le rôle biomécanique de la protubérance mentonnière qui renforce l'ankylose symphysaire et rigidifie l'arc mandibulaire.

La coupe symphysaire médiane, dont la largeur varie de 10 à 15 mm, présente une surface osseuse composée à 70 % d'os compact. Cette proportion diminue progressivement dès que la coupe est latéralisée, pour atteindre 50 % en regard de la canine, pour une épaisseur d'os située entre 8,5 et 13 mm (Gaspard, 1978).

De par sa forte corticalisation, la région mandibulaire antérieure peut être classée, selon Misch (1988), dans le type D1 (entièrement composée d'os compact), voire D2 (composée d'une corticale dense, compacte, et d'un noyau spongieux dense), ceci par opposition aux types D3 (une fine corticale et un os spongieux très lâche) et D4 (un os spongieux de faible densité peu ou pas de corticale crestale, essentiellement rencontré au maxillaire).

La zone incisive étant la plus dense, elle est capable de supporter de fortes contraintes (Misch et al., 1992).

L'os alvéolaire

Le menton est surmonté par un processus alvéolaire de faible épaisseur, orienté vestibulairement selon l'axe du bloc incisivo-canin. En regard de l'incisive latérale, la fossette mentonnière, limitée en dehors par la saillie alvéolaire de la canine, donne insertion au muscle mentonnier. La symphyse mentonnière, vestige plus ou moins marqué de la fusion des deux pièces primitives de la mandibule, se présente sous la forme d'une crête ou d'un sillon vertical médian (Rouvière et Delmas, 1991).

L'os alvéolaire présente parfois des fenestrations par fusion des corticales internes et externes de la paroi vestibulaire de l'alvéole. Les racines sont mises à nu et leur surface n'est alors recouverte que par le périoste, la muqueuse ou la gencive sus-jacente. Ces fenestrations ont cependant un rebord osseux cervical intact, ce qui les distingue des déhiscences qui prédisposent aux récessions tissulaires marginales (Borghetti et Monnet-Corti, 2000).

À la mandibule, ces défauts osseux sont généralement bilatéraux et plus fréquents dans la zone vestibulaire antérieure (Borghetti et Monnet-Corti, 2000). Pour Elliott et Bowers (1963), les déhiscences sont plus fréquentes (13 %) que les fenestrations (5,5 %) au niveau mandibulaire et inversement au maxillaire.

Dans le secteur prémolaire, le processus alvéolaire devient vertical et s'épaissit.

Conséquences cliniques

• En infectiologie

En raison de la position vestibulaire des apex, l'externalisation d'un processus infectieux d'origine dentaire s'effectue vestibulairement en donnant soit un abcès dans le vestibule, soit une cellulite mentonnière. Celle-ci peut éventuellement contourner le bord basilaire et atteindre la région submentale située entre les ventres antérieurs des muscles digastriques.

• En anesthésiologie

Pour cette même raison, vu la minceur de la corticale alvéolaire vestibulaire du secteur incisivo-canin, l'anesthésie vestibulaire para-apicale est le plus souvent efficace, même si des suppléances nerveuses, qui seront étudiées plus loin, expliquent certains échecs. On veillera toutefois à limiter la profondeur de pénétration de l'aiguille en situant sa pointe au niveau de la ligne des apex pour éviter d'injecter en regard de la protubérance mentonnière, dont l'épaisseur corticale fera obstacle à la diffusion de l'anesthésie.

• En chirurgie implantaire

La région mentonnière interforaminale est une zone favorable à l'implantologie avec 95 % de succès en moyenne contre 80 à 90 % au maxillaire sur une large revue d'études faite par Bryant (1998).

L'étude de Trulhar et al. (1997), fondée sur la classification de Lekholm et Zarb (1985), porte sur la qualité de l'os recevant des implants dans la région mandibulaire antérieure. Sur 876 implants posés :

- 64 % l'ont été dans un os de qualité Q2, soit une large couche d'os cortical entourant un noyau d'os trabéculaire dense ;

- 20 % l'ont été dans un os composé d'une corticale homogène, dense, avec un petit noyau trabéculaire et qualifié d'os de qualité Q1 ;

- 14 % l'ont été dans un os Q3 composé d'une fine couche d'os cortical entourant un noyau d'os trabéculaire dense ;

- 1,8 % l'a été dans un os Q4 fait d'une fine couche d'os cortical et de trabéculations peu denses.

Cette majorité d'os Q2 est associée à un taux élevé d'ostéo-intégration des implants.

Cette région est aussi un excellent site donneur d'os pour des greffes autogènes de petit volume dont l'avantage est de ne concerner qu'un seul site opératoire, facile d'accès et offrant un os de membrane d'excellente qualité (Smith et Abramson, 1974 ; Misch et al., 1992). Quelques auteurs ont essayé de quantifier le volume maximal d'os disponible en utilisant les techniques chirurgicales couramment admises. Sur 16 mandibules, Montazem et al. (2000) ont obtenu des blocs d'un volume moyen de 4,84 ml (écart de 3,25 à 6,5 ml) et dont les mensurations moyennes sont de 20,9 x 9,9 x 6,9 mm (25 x 13 x 9 mm pour le plus grand et 21 x 6,5 x 6 mm pour le plus petit).

Pour éviter toute incidence sur la conformation des tissus mous du menton, la zone de prélèvement doit respecter médialement la saillie mentonnière (fig. 2). L'ostéotomie s'étendra au maximum à 5 mm en dessous des apex des dents antérieures, à 5 mm du bord basilaire et, enfin, à 5 mm en avant des foramens mentonniers (Misch et al., 1992 ; Montazem et al., 2000 ; Hunt et Jovanovic, 1999 ; Cranin et al., 2001). Néanmoins, cette marge de sécurité devrait être portée à 8 mm des apex pour préserver la vascularisation des incisives (Nkenke et al., 2001). Selon Hunt et Jovanovic (1999), la profondeur de pénétration après traversée de la corticale doit être de quelques millimètres car l'os spongieux sous-jacent comporte des éléments vasculo-nerveux sans organisation précise avec de multiples ramifications. Cependant, selon les objectifs de l'intervention, il peut être nécessaire de récupérer l'os médullaire jusqu'au contact de la corticale interne (Raghoebar et al., 2001), voire, dans un cadre maxillo-facial, de prélever aussi la corticale interne mais en respectant le bord basilaire (Triplett et Sihow, 1998).

Dans les suites postopératoires de ces prélèvements, on retrouve constamment un œdème et un hématome, résolutifs au bout de 5 à 10 jours (Philippe, 1998). Ils concernent l'étage inférieur de la face dans tous les cas et s'étendent plus rarement à la région submentale (12 %). Parmi les complications neurologiques, les paresthésies dentaires et/ou des tissus mous, résolutives en 2 mois, tout comme celles qui persistent 6 mois ou plus représentent chacune 5 % des cas. Ces complications atteignent 9,6 % lorsque le prélèvement est plus étendu en profondeur (Misch et al., 1992). Raghoebar et al. (2001) décrivent, sur 21 cas consécutifs, 1 cas d'hypoesthésie régressant en 4 semaines et 4 cas de dysesthésie des incisives mandibulaires disparaissant en 6 mois. Les auteurs soulignent que 9 patients (43 %) ont rapporté une paresthésie du menton qui n'a cependant pas pu être confirmée par les tests cliniques. Cette altération s'est avérée persistante chez 7 patients avec en outre, pour 4 d'entre eux, un inconfort qui n'était cependant pas une source de préoccupation. La douleur moyenne mesurée sur une échelle visuelle analogique était relativement élevée (4,7) par rapport à celle d'un prélèvement iliaque (2,2) (Kalk et al., 1996).

Des tampons hémostatiques peuvent être utilisés pour contrôler le saignement des sites donneurs, mais des biomatériaux résorbables sont aussi préconisés pour restaurer le volume de l'os symphysaire, tandis que l'utilisation combinée de membranes n'est pas recommandée par Triplett et Sihow (1998).

Les foramens mentonniers

Situés dans la partie antéro-latérale de la mandibule, ils représentent l'émergence des canaux mandibulaires droit et gauche et définissent, sur le plan vasculaire et nerveux, la frontière entre les territoires molaires et le secteur mandibulaire antérieur.

L'émergence du pédicule mentonnier constituant un réel risque chirurgical, la situation du foramen revêt un intérêt majeur comme en témoignent les nombreuses études consacrées à ce sujet et dont les résultats relativement homogènes sont rapportés dans le tableau 1 .

Au cours de la croissance, le foramen mentonnier migre en direction dorsale. Situé en regard du germe de la canine chez l'enfant, il atteint le secteur prémolaire chez l'adulte, pouvant émerger dans un territoire assez étendu. Dans le sens sagittal, il est situé en premier lieu à l'aplomb de la deuxième prémolaire, secondairement entre les deux prémolaires, mais des positions limites comme la racine mésiale de la première molaire et celle de la première prémolaire représentent chacune environ 2 % des cas. Dans le sens vertical, on note également une grande variabilité qui dépend de la hauteur du corps mandibulaire et du degré de résorption crestale lorsque la zone est édentée. Les repères bord basilaire-crête alvéolaire sont évidemment moins pertinents dans ce sens que les repères dentaires et sujets à de grandes variations d'un individu à l'autre. Ainsi, classiquement, le foramen est situé entre le tiers basilaire et la moitié de la hauteur du corps, mais il peut aussi affleurer le sommet d'une crête résiduelle en présence d'une forte résorption osseuse (DuBrul, 1980 ; Gershenson et al., 1986 ; Pastremoli et al.,1998).

Une étude comparant la mesure directe sur crâne sec, la radiographie rétro-alvéolaire et l'orthopantomogramme a montré des variations positionnelles inhérentes à la technique utilisée. En prenant pour repère l'apex de la deuxième prémolaire, le foramen mentonnier se trouve en moyenne à 0,13 mm en avant de la deuxième prémolaire sur le cliché panoramique, contre 2,18 mm sur la radiographie rétro-alvéolaire et 2,2 mm sur le crâne sec (Phillips et al., 1990).

Ceci vient confirmer la règle selon laquelle aucune mesure, quelle qu'elle soit, ne doit être réalisée sur une radiographie panoramique.

Du fait de sa migration lors de la croissance, le foramen mentonnier est orienté majoritairement en haut, en arrière et en dehors dans 68,7 % des cas, selon Phillips et al. (1990), et dans 71 % des cas selon Pastremoli et al. (1998). De forme elliptique le plus souvent (de 65,52 à 98 % des cas), son grand axe mesure en moyenne 3,1 mm pour Pastremoli et al. (1998) et 2,37 mm pour Gershenson et al. (1986), les maximums atteignant respectivement, selon ces auteurs, 6,2 et 6,5 mm. Son petit axe, vertical oblique, mesure entre 1,5 et 5 mm au maximum.

Généralement unique (95 %), il est parfois accompagné d'un foramen accessoire (de 4,5 à 6 %) (Gershenson et al., 1986 ; Pastremoli et al., 1998). Ces chiffres diffèrent selon les populations étudiées : française, 2,6 % (Montagu, 1954), polynésienne, 12,6 % (Riesenfield, 1956), 1,4 % chez les Américains blancs, 5,7 % chez les Afro-Américains (Sawyers et al., 1998). Ce dédoublement, qui correspond à une division du pédicule mentonnier en deux parties avant son émergence, ne doit pas être confondu avec le foramen incisif mandibulaire (0,9 %) (Serman, 1989).

Dans cette configuration, le nerf alvéolaire inférieur sort du foramen mentonnier puis se divise, en dehors de la mandibule, en nerf mentonnier et nerf incisif. Ce dernier retourne dans la mandibule par le foramen incisif qui représente l'origine du canal homonyme. Dans cette configuration, le foramen mentonnier est orienté vers l'avant et un sillon de la corticale vestibulaire le relie au foramen incisif dont la lumière regarde vers l'arrière.

Conséquences cliniques

• En chirurgie

L'émergence du foramen mentonnier présentant une grande variabilité, il est indispensable, avant toute chirurgie intéressant ce territoire de déterminer sa position en utilisant la radiographie rétro-alvéolaire en première intention et, si nécessaire, en fonction de l'acte et du risque chirurgical, la scanner aux rayons X.

Lorsque l'approche utilise un lambeau muco-périosté, la visualisation de l'orifice est la règle absolue pour protéger le pédicule vasculo-nerveux et éviter toute traction intempestive sur celui-ci. Lors du décollement du lambeau, l'invagination du périoste dans l'os mandibulaire atteste de la proximité du foramen, le périoste étant en continuité avec la gaine fibreuse qui entoure les éléments contenus dans le canal mandibulaire. La visualisation de l'émergence n'est pas nécessaire lors du traitement des lésions intra-osseuses par lambeau muco-périosté, tandis qu'elle est recommandée en chirurgie implantaire ou endodontique. Les risques de lésion du plexus vasculo-nerveux sont possibles par compression des écarteurs ou dérapage des instruments rotatifs.

La délocalisation du foramen mentonnier pour des raisons implantaires ou prothétiques, si elle ne pose pas de difficulté technique particulière, doit toujours être envisagée avec circonspection. En effet, elle implique obligatoirement la section du nerf incisif qui peut engendrer, sans que cela soit prévisible, des douleurs neuropathiques très difficiles à contrôler par la suite.

• En anesthésiologie

L'anesthésie au foramen mentonnier a des indications assez limitées mais peut s'imposer dans certains cas comme la technique de choix, voire comme une technique complémentaire. Il est largement admis aujourd'hui que la pénétration d'un foramen ou d'un canal osseux avec une aiguille n'est pas recommandée en raison des risques de lésions vasculaires et/ou nerveuses, même si la réparation est le plus souvent totale en l'espace de quelques jours. Il est donc proposé de déposer la solution anesthésique à proximité de l'orifice pour bénéficier de cet accès naturel à l'os spongieux et à son contenu. Il faut bien reconnaître que cette variante de la technique se traduit par une moindre efficacité, ce que confirme l'étude de Joyce et Donnelly (1993), du moins en ce qui concerne l'anesthésie de la seconde prémolaire et de la canine. Par contre, ces auteurs n'ont pas trouvé de différence significative entre ces deux approches dans l'anesthésie de la première prémolaire, sans doute parce que les neurofibres destinées à cette dent sont à la fois les plus proches du foramen et les plus individualisées. Selon Wadu et al. (1997), une branche récurrente du nerf mentonnier retourne dans la mandibule, envoyant des fibres vers la région de la première prémolaire, alors que la deuxième prémolaire est majoritairement innervée par des fibres se détachant du tronc principal avant sa division en nerfs mentonnier et incisif.

L'anesthésie de la première prémolaire constitue la véritable indication de la technique. En accord avec Malamed (1997), nous préférons l'injection à proximité du foramen mentonnier d'un tiers de carpule suivie d'un massage de 2 minutes afin de faire pénétrer la solution anesthésique dans le foramen.

Le plan musculaire

Secteur incisivo-canin

Dans ce secteur, deux muscles d'importance inégale sont à considérer de chaque côté (fig. 3).

Le muscle mentonnier est un muscle puissant dont la contraction élève les parties molles du menton, lui conférant un aspect fripé (Williams, 1995). Ceci s'observe notamment chez les sujets hyperdivergents qui cherchent à compenser leur incompétence labiale.

Le muscle s'insère dans la fossette mentonnière en regard de l'incisive latérale, sur une hauteur et une largeur d'environ 5 à 10 mm, immédiatement sous la ligne de jonction muco-gingivale (Rubinstenn, 1977 ; Zide et McCarthy, 1989).

Les fibres supérieures droites et gauches rejoignent, dans le plan médian, les fibres les plus basses de l'orbiculaire de la bouche, dessinant une arche musculaire dont la voûte correspond au sillon labio-mentonnier. Elles assurent la jonction entre la partie médiane de la lèvre et le rempart alvéolaire et participent fonctionnellement à l'éversion de la lèvre inférieure, au renforcement de l'occlusion labiale et à l'accentuation du sillon labio-mentonnier.

Les fibres inférieures les plus nombreuses s'épanouissent en un bouquet dont chaque extrémité traverse le tissu cellulo-graisseux sous-cutané en croisant la ligne médiane pour s'insérer perpendiculairement dans la peau du menton.

Il existe parfois un ligament mentonnier inséré sur le rempart alvéolaire dans le sillon symphysaire médian. Il rejoint le plan cutané du menton en réalisant soit une fossette centrale, soit un sillon vertical médian.

Le muscle mentonnier est innervé sur sa face externe par le rameau marginal de la mandibule issu du nerf facial (Freilinger et al., 1987).

Le muscle incisif s'insère sur le processus alvéolaire entre l'incisive latérale et la canine, latéralement et à la même hauteur que le muscle mentonnier. Il diffère par l'obliquité latérale de ses fibres qui gagnent la commissure labiale, en bordant le fond du vestibule. Les muscles incisifs participent, avec certaines fibres des muscles abaisseur et releveur de l'angle de la bouche, à la partie marginale de l'orbiculaire de la bouche, qui assure la connexion latérale de la lèvre au plan osseux (Le Double, 1893 ; Rouvière et Delmas, 1991).

Le muscle incisif est un muscle plat et grêle qui croise le fond du vestibule et recouvre partiellement les rameaux labiaux du nerf mentonnier.

Conséquences cliniques

• En chirurgie

La désinsertion des muscles mentonnier et incisif est habituelle en chirurgie orale, lorsqu'il s'agit d'aborder une lésion apicale, un kyste mandibulaire ou de réaliser une greffe gingivale. Ils retrouvent naturellement leur insertion initiale qui garantit leur efficacité maximale. La seule façon de contrarier partiellement ce processus consiste à mettre en place un greffon épithélio-conjonctif pour augmenter la hauteur de gencive adhérente. Un état de compétition puis d'équilibre s'installera entre ces deux tissus lorsque le muscle aura retrouvé sa fonctionnalité.

En présence d'un édentement antérieur, la désinsertion des muscles mentonniers n'est pas recommandée car elle risque d'entraîner un syndrome de degloving ou ptôse mentonnière, avec incompétence labiale et exposition des incisives mandibulaires (Rubens et West, 1989 ; Chaushu et al., 2001). Il est préférable de conserver les insertions musculaires résiduelles et d'effectuer une voie d'abord croisant le fond du vestibule mésialement aux canines pour sectionner les muscles dans leur pleine épaisseur (Rubens et West, 1989) (fig. 4). Les sutures sont alors réalisées selon deux plans, un plan musculaire profond assurant le repositionnement des tissus mous du menton et un plan muqueux superficiel de fermeture. Dans un échantillon de 15 sujets, Shanon (1972) a montré par la dissection que l'insertion des muscles mentonniers s'effectue sur la crête résiduelle dans 67 % des cas et entre celle-ci et le fond du vestibule pour le reste.

Chez les patients édentés présentant une forte résorption mandibulaire du secteur antérieur, la ptose mentonnière est retrouvée par suite de la disparition de la zone d'insertion musculaire. La perte des ancrages musculaires de la lèvre et du menton associée à la concavité des arcades résiduelles dans le plan sagittal favorise l'effet de bascule de la prothèse amovible complète, la sangle labio-mentonnière ne pouvant plus compenser la pulsion linguale.

• En infectiologie

Comme nous l'avons évoqué précédemment, les infections péri-apicales du bloc incisivo-canin évoluent classiquement en traversant la corticale osseuse vestibulaire, la collection se situant le plus souvent dans le vestibule. La cellulite mentonnière et sa possible extension à la région submentale par contournement du menton constituent l'autre possibilité. Pour expliquer ces deux modes de diffusion, le niveau d'insertion des muscles mentonniers et incisifs par rapport à la ligne des apex a été évoqué par certains auteurs (Laskin, 1964). Or, les apex se projetant le plus souvent sous la ligne d'insertion musculaire, l'évolution vers le menton devrait être la plus fréquente, ce qui n'est pas le cas. En réalité, la diffusion emprunte toujours les espaces de moindre résistance et contourne les structures musculaires plutôt qu'elle ne les traverse, sauf si elle se situe d'emblée à l'intérieur du muscle. L'incisive latérale répond à ce critère car son apex est directement en rapport avec l'insertion du muscle mentonnier qui peut recouvrir la région apicale (fig. 5). L'examen d'une coupe sagittale montre la possibilité d'une externalisation directe de l'infection dans le muscle, la cellulite diffusant le long des fibres musculaires dans les parties molles du menton. Pour l'incisive centrale et la canine, la diffusion se fera principalement vers le vestibule en contournant les muscles mentonniers et incisifs.

Le secteur prémolaire

Dans ce secteur, aucun muscle n'est inséré au-dessus du foramen mentonnier, ce qui explique l'abord direct de celui-ci après réclinaison d'un lambeau muco-périosté. Deux muscles faciaux bordent néanmoins latéralement le vestibule, le muscle abaisseur de l'angle de la bouche (triangulaire), en arrière, et le muscle abaisseur de la lèvre inférieure (carré du menton) en avant (fig. 6).

Les myofibres de l'abaisseur de l'angle de la bouche s'insèrent sur une zone étendue du tubercule mentonnier à la première molaire, au-dessus du bord basilaire et des insertions du platysma (peaucier du cou). Orientées obliquement en haut et en arrière, elles rejoignent au modiolus (carrefour musculaire rétro-commissural) les myofibres du releveur de l'angle, qui sont antagonistes, puis elles s'attachent à la peau de la commissure. L'abaisseur de la lèvre inférieure s'insère sur la face antéro-latérale du corps mandibulaire au-dessus du muscle abaisseur de l'angle de la bouche. Les myofibres sont recouvertes dans leur partie basse par celles de l'abaisseur de l'angle de la bouche qui les croisent selon un angle de 90°. Elles se dirigent vers l'avant pour gagner le corps de la lèvre inférieure et se terminent en s'attachant à la peau du tiers supérieur de la lèvre inférieure au-dessus du sillon labio-mentonnier (Cardoso et al., 1995), les fibres les plus médiales pouvant croiser la ligne médiane.

Ces deux muscles innervés par le rameau marginal du nerf facial ne sont habituellement pas concernés par la chirurgie orale conventionnelle de ce secteur. Leur insertion étant située sous la ligne des apex, les infections issues des prémolaires évoluent le plus souvent dans le vestibule.

Conclusion

Cette première partie consacrée au plan musculo-squelettique profond décrit l'ostéo-architecture caractéristique de la région mentonnière interforaminale et discute les avantages et les inconvénients des prélèvements osseux symphysaires. Elle rassemble les données concernant l'anatomie du foramen mentonnier et le risque chirurgical qu'il représente et compare l'efficacité des techniques d'anesthésie locale au voisinage et dans l'orifice. Enfin, elle attire l'attention sur le risque de ptose labio-mentonnière consécutive à la désinsertion du muscle mentonnier lorsque ce secteur est édenté. Les risques nerveux et vasculaires propres à la partie superficielle de cette zone seront abordés dans un second article.

Demande de tirés à part

Pierre CARPENTIER : UFR d'Odontologie - Université Paris-VII Denis-Diderot - 5, rue Garancière - 75006 PARIS - FRANCE

BIBLIOGRAPHIE

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