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P. RODIER * D. BOURGEOIS ** L. AGNIEL ***
*Département de Parodontologie,
Faculté d'Odontologie, Université Lyon 1
**Département de Santé publique,
Faculté d'Odontologie, Université Lyon 1
***Département de Parodontologie,
Faculté d'Odontologie, Université Lyon 1
La gingivite ulcéro-nécrotique, classée parmi les maladies parodontales nécrosantes, est une maladie infectieuse qui se traduit par une destruction tissulaire sélective et rapide. La présence de bactéries pathogènes ne suffit pas pour expliquer la pathogénie parodontale : en effet à côté de facteurs de prédisposition connus comme le tabac et le stress, le VIH est un nouveau facteur qui touche plus particulièrement les adultes des pays industrialisés, provoquant ainsi une modification des données épidémiologiques connues.
L'étiologie virale n'est pas à exclure non plus car elle permet d'expliquer certains paramètres de la maladie.
La gingivite ulcéro-nécrotique semble être évolutive avec notre temps et bien que ses signes cliniques soient bien connus, son apparition et son développement restent malgré tout inconstants et font toujours l'objet de recherches, notamment sur les mécanismes d'immunité humorale et cellulaire.
Necrotizing ulcerative gingivitis is classed among the necrotizing periodontal diseases. It is an infectious disease which causes a rapid and selective destruction of tissue. The mere presence of pathogenic bacteria is insufficient to explain the pathogenesis. In addition to well known predisposing factors such as tobacco and stress, HIV is a new factor, especially among adults living in industrialized countries. This leads to a modification of the known epidemiological data.
A viral aetiology which could explain some of the disease's parameters has also to be considered.
Today, necrotizing ulcerative gingivitis seems to be increasing. Although its clinical signs are well known, its onset and progression are nevertheless very variable and are still the subject of studies, especially in connection with the mechanisms of humoral and cellular immunity.
La gingivite ulcéro-nécrotique nécessite, en parodontologie, une attention toute particulière :
- d'une part parce qu'elle se définit en tant qu'entité clinique comme une infection aiguë, brutale, sélective et souvent récidivante de la gencive touchant l'adulte jeune et s'accompagnant de violentes douleurs, d'un état fébrile et parfois d'adénopathies cervicales ;
- d'autre part parce qu'elle semble régulièrement évoluer dans son étiopathogénie préfigurant ainsi la notion de « terrain » et de « prédisposition individuelle » ou familiale.
Elle a été décrite par Hunter (1778) et citée par Sabiston (1986) comme étant une affection gingivale provoquant des lésions différentes de celles observées chez les malades atteints de scorbut, mais la terminologie a évolué vers une classification plus précise. Plaut (1894) et Vincent (1896) ont été les premiers à découvrir une association bactérienne à base de fusiformes et de spirochètes : on parle alors d'infection de Vincent. Hirschfeld et al. (1940) ajoutent au tableau clinique certains signes comme la présence d'une salive plus épaisse, d'adénopathies sous-maxillaires et d'un état général fébrile. Cependant, la pathogénie de la maladie est discutée par de très nombreux chercheurs, l'agent spécifique n'étant pas totalement défini (Smitt, 1965). Il a fallu attendre les descriptions en microscopie électronique des lésions ulcéreuses gingivales (Listgarten, 1965) puis de la présence de germes actifs bien déterminés (Loesche et al., 1982 ; Falker et al., 1987) pour mieux cerner cette pathologie désignée par divers synonymes par Johnson et Engel (1986) et appelée par Robinson et al. (1998) gingivo-stomatite nécrosante ; ils regroupaient sous cette dénomination les différents stades d'évolution de la gingivite ulcéro-nécrotique (GUN). La terminologie actuelle proposée par l'American Academy of Periodontology (1999) et Armitage (1999) rassemble la gingivite ulcéro-nécrotique et la parodontite ulcéro-nécrotique (PUN) dans une classe à part, appelée « maladies parodontales nécrosantes ».
Au travers des publications sur la gingivite ulcéro-nécrotique identifiées dans Medline (période 1995-2002) avec les mots clés « necrotizing ulcerative gingivitis » croisés avec « epidemiology, immunology, bacteriology, risk factor », l'orientation actuelle de la recherche apparaît plutôt axée sur l'immunologie et la microbiologie (fig. 1), dans un contexte global où la quantité d'informations reste faible.
Cet article a pour objectif de faire une revue de la littérature sur la GUN et de mettre en évidence les derniers acquis de la recherche.
Les incidences des GUN dépendent des critères cliniques utilisés, des populations étudiées et des facteurs généraux associés. Pindborg (1951) observe, dans 6,9 % des cas, des GUN au sein d'une population de jeunes adultes de l'armée danoise mais en incluant comme critère l'existence d'une gingivite chronique, subaiguë ou aiguë. En 1963, Giddon et al. observent une incidence de 0,9 % de GUN au sein d'une population d'étudiants et Barnes et al. (1973) de 0,19 % dans la population masculine de l'armée américaine, où la fréquence de cette affection est plus grande chez les Blancs (94,5 %) que chez les Noirs (81,7 %).
Stevens et al. (1984) confirment dans leur étude les travaux précédents en précisant que les patients atteints de GUN au sein de leur échantillon, représentatif de la population nationale, sont de race blanche (98 %), plutôt jeunes (de 23,9 ans en moyenne) et 94 % d'entre eux sont fumeurs par rapport aux 37 % de la population nationale. Melnick et al. (1988) estiment la prévalence de la GUN à 0,6 % dans une population générale, elle touche les jeunes à l'âge de 23 ans dont 90 % sont des fumeurs. Enfin, Horning et al. (1990) soulignent, dans une autre population militaire, une incidence de 0,5 % de GUN en utilisant comme critères la douleur, l'ulcération interdentaire et le saignement.
L'ensemble de ces travaux tend à démontrer que les taux de prévalence des GUN diminuent au sein des populations militaires occidentales, passant de plus de 2 % à des valeurs proches de 0,5 %, voire même de 0,07 % dans l'étude de Collet-Schaub (2000) parmi les 1 595 recrues militaires suisses, pouvant s'expliquer dans ces pays par une amélioration sensible de l'hygiène liée à la « sédentarisation des militaires dans les casernes » due à l'absence de conflit hors des frontières et par le rôle actuel et nouveau de « maintien de la paix » dévolu aux armées.
Il est à noter qu'un certain nombre d'études font appel à des échantillons parfois discutables comme celles réalisées au sein de collectifs militaires ou de populations estudiantines pouvant amener des résultats faussés par la non-représentativité de ces échantillons par rapport à la population de référence.
L'issue pathologique dépend d'interactions qui existent entre l'invasion microbienne et la réponse de l'hôte. La plaque dentaire et ses micro-organismes constituent les premiers agents étiologiques des GUN et, à la suite de Plaut (1894) et de Vincent (1896), tous les auteurs attribuent la cause de la maladie à des bacilles fusiformes et des spirochètes (Loesche et al., 1982 ; Falker et al., 1987).
Un certain nombre d'études ont permis de mettre en évidence les germes spécifiques observés dans la GUN. Loesche et al. (1982) ont utilisé des méthodes de culture en anaérobiose et des milieux complexes pour isoler les organismes représentatifs de cette flore chez les patients porteurs de gingivite ulcéro-nécrotique. Parmi les 60 à 70 % de micro-organismes visibles, 30 % représentaient les spirochètes alors que les 70 % restant représentaient les organismes énumérés dans la flore vivante. Cette flore pathognomonique de la GUN comprenait : Treponema sp., Fusobacterium nucleatum, Selemonas sp., Bacteroides melaninogenicus sp. et Prevotella intermedia.
En utilisant d'autres techniques de quantification de la flore microbienne chez des patients atteints de GUN, Falker et al. (1987) ont cultivé des prélèvements de plaque et les ont examinés au microscope électronique à fond noir. L'examen a révélé 43 % de bâtonnets, 30 % de spirochètes et 27 % de cocci. L'ensemble de ces résultats a été confirmé par les travaux de Rowland et al. (1993), (Cutler et al., 1994) ainsi que par Wade et Kerns (1998) au travers de leurs propres investigations.
Si la nature fusospirochétienne et anaérobie de la GUN semble bien connue, l'étude de Brumpt (1991) apporte un élément nouveau en mettant en évidence la présence de staphylocoques en liaison avec la phase aiguë de la maladie mais inhabituels au niveau parodontal.
D'autres travaux seront nécessaires pour confirmer ou infirmer l'existence de ce germe au stade initial de la maladie ainsi que son rôle dans le déclenchement du processus infectieux. Enfin, il est à noter que chez les malades infectés par le VIH, la flore s'enrichit de germes tels Wolinella recta, Peptostreptococcus micros et, parfois, Bacteroides fragilis, Fusobacterium necrophorum ainsi que de bâtonnets entériques (Zambon et al., 1990 ; Zambon, 1997).
Face à l'agression bactérienne et à sa spécificité, il a été reconnu que des facteurs propres à l'individu influencent sa capacité à élaborer une réponse adéquate - c'est la « notion de terrain » -, mais on a compris également que des facteurs génétiques déterminent la capacité d'un individu à répondre à des antigènes étrangers dans le cas d'une réponse immunitaire. Ainsi, Listgarten (1965) confirme l'invasion du tissu gingival non nécrotique par des spirochètes de taille moyenne (72 %) et petite (28 %), et Courtois et al. (1983), en reprenant les travaux précédents, soulignent grâce au microscope électronique à transmission la présence de cocci et bâtonnets courts à une profondeur de 155 à 350 mm sous la lame basale. Ils trouvent également une prédominance de lymphocytes et de plasmocytes par rapport aux polymorphonucléaires. Or, selon Loesche et al. (1982), la présence de ce type de cellules est le signe d'une inflammation chronique. Cela prouve que ce ne sont pas les seuls agents pathogènes majeurs. Vraisemblablement, les spirochètes seraient des envahisseurs secondaires à un état pathologique favorable (maladies systémiques, stress…) car ils ne possèdent pas l'agent agressif majeur des bactéries : l'endotoxine, d'après Riviere et al. (1991). De plus, les travaux de Shenker et al. (1984) montrent que les spirochètes buccaux auraient un effet suppressif sur les cellules immuno-compétentes responsables de la réponse immunitaire de l'hôte. Au vu de ces différentes hypothèses, la controverse subsiste quant à la spécificité bactérienne et à son rôle en tant qu'agent pathogène.
Un certain nombre d'études ont contribué à améliorer les connaissances sur les mécanismes cellulaires et circulatoires favorisant l'installation de la gingivite ulcéro-nécrotique.
Les premiers travaux ont été menés dès 1945 par Dean et Singleton sur des échantillons représentatifs de 1 653 jeunes adultes en état de stress. Ces auteurs ont constaté que 93 % des sujets présentaient une gingivite ulcéro-nécrotique. Goldhaber et Giddon (1964) ont trouvé, parmi les appelés lors de la fin de leur service militaire, 70 % de GUN. Ils ont conclu qu'un des facteurs de prédisposition le plus manifeste était représenté par le bouleversement social qui amenait une perturbation psychique aiguë.
Formicola et al. (1970) ont mis en évidence, dans leur étude, que la suppression de l'expression de la prédominance de caractère pendant l'entraînement militaire pouvait amener une perturbation émotionnelle chez les individus contrariés et augmenter ainsi leur prévalence à la GUN. Mais c'est au travers de la mesure du taux d'excrétion des stéroïdes dans les urines des sujets stressés que Shannon et al. (1969) ont souligné la relation stress-GUN. En effet, ils ont démontré que le taux d'excrétion de 17-hydroxy-corticostéroïde (17-OHCS) est considérablement élevé chez les patients présentant une GUN. Ces résultats ont été confirmés par Maupin et Bell (1975) et par les études de Cohen-Cole et al. (1983) et Rasche-Gonzales (1983). Ces derniers ont évalué, chez 100 patients malades (GUN) et 100 patients sains, les périodes de stress et d'anxiété pendant l'année précédant l'examen, les concentrations urinaires et sanguines de cortisol et de catécholamine ainsi que la mesure des fonctions des neutrophiles et des lymphocytes du sang. Les résultats ont souligné que l'urine des malades contenait un taux élevé de cortisol par rapport à la population témoin, la réponse des lymphocytes était diminuée en moyenne de 60 % chez les malades et les fonctions de chimiotaxie et de phagocytose des polymorphonucléaires neutrophiles (PMN) étaient réduites de 20 à 25 %. Il semble donc que l'anxiété et le stress soient des facteurs de prédisposition à la maladie et que les modifications endocrines et immunes soient des médiateurs de cette relation (Monteiro da Silva et al., 1995).
Le tabac apparaît comme un facteur délétère non négligeable dans l'étiologie de la GUN (Mac Gregor, 1989) et dans le développement et la sévérité des maladies parodontales (Bergström et al., 2000). Déjà, Pindborg (1951) et Goldhaber et Giddon (1964) avaient remarqué dans leurs études respectives que, parmi leur population de GUN, 98 % des malades étaient fumeurs. Goldhaber et Giddon (1964) ainsi que Kardachi et Clarke (1974) ont confirmé que le tabac était un facteur de prédisposition : en réponse à l'augmentation de la nicotine, ils ont observé, au niveau des tissus, des décharges catécholaminiques d'adrénaline et de noradrénaline locales et systémiques. La libération de ces catécholamines, selon Mac Laughlin et al. (1995), aboutit à une diminution du flux sanguin gingival et à une vasoconstriction papillaire, amenant une altération de la résistance face à l'invasion bactérienne qui contribuerait à la nécrose tissulaire. De même, la superposition des effets du stress et du tabac abaisse le nombre d'anticorps circulants et déprime la chimiotaxie et l'activité de phagocytose des leucocytes polymorphonucléaires (PMN) du sang périphérique selon Clarke et al. (1981), cités par Wade et Kerns (1998). La formation de ces nécroses tissulaires, selon Mirbod et Ahing (2000), peut se manifester par l'existence de multiples lésions souvent indifférenciées, pouvant dégénérer de GUN en stomatite nicotinique sévère, voire en carcinome.
Au travers de leurs études respectives, Cogen et al. (1983) et Rowland et al. (1993) ont souligné l'existence d'une corrélation entre un affaiblissement immunitaire passager ou durable avec une fréquence d'apparition de la GUN plus importante chez les mêmes patients.
Normalement les mécanismes immunitaires doivent être mis en action dès les toutes premières infractions bactériennes et, ainsi, déclencher les défenses lymphocytaires de l'organisme (fig. 2).
À l'issue de ses travaux, Lehner (1969) note une baisse d'immunoglobuline sérique G (IgG, en rapport avec un déficit immunitaire), du taux des lymphocytes T4 (Costabel et al., 1986), immédiatement suivie par une augmentation d'IgM (déclenchée par les endotoxines bactériennes) chez les sujets porteurs de GUN comparativement à des sujets sains. D'autre part, Cogen et al. (1983), en étudiant la fonction lymphocytaire et polymorphonucléaire des neutrophiles (PMN) chez un groupe de patients atteints de GUN et un groupe de patients sains, ont noté une dépression de 60 % de la stimulation lymphocytaire en employant la concanavaline A (conA), mitogène non spécifique, chez les patients malades. Ils ont également observé une altération de la chimiotaxie des PMN de 26 % chez ces mêmes malades par rapport aux sujets sains. La dysfonction des leucocytes précède-t-elle ou suit-elle l'invasion microbienne ? Pour Cogen et al., elle est antérieure à l'invasion bactérienne car, d'une part, le stress et les cortico-stéroïdes ont une action sur la fonction leucocytaire et, d'autre part, on observe des patients atteints de parodontite ou de gingivite avec une flore riche en spirochètes sans pour autant avoir de lésions de type GUN. Claffey et al. (1986) et Sabiston (1986) ont également constaté la baisse de réponse chimiotactique des PMN ainsi que les dysfonctions des anticorps et de la mitogène lymphocytaire responsables par cette déficience immunitaire d'une atteinte gingivale aiguë (Rowland et al., 1993).
Certains cas de GUN ont été décrits comme étant associés à une pathologie systémique entraînant une dépression de la fonction leucocytaire et une suppression immunitaire, tels :
- le cancer chez des malades neutropéniques, après irradiation ou chimiothérapie (Fowler, 1999) ;
- le lupus érythémateux systémique, l'agranulocytose induite par la prise de drogue, ou le sida dû à l'infection au VIH (Murayama et al., 1994).
Le syndrome de l'immunodéficience acquise est une maladie liée à l'infection de l'organisme par le VIH (virus de l'immunodéficience humain) qui détruit les lymphocytes T auxiliaires (T4 ou CD4) en entraînant une lymphopénie et un déficit de l'immunité à médiation cellulaire et en favorisant secondairement le développement d'infections opportunistes redoutables. La grande fréquence des lésions parodontales (Winkler et al., 1988 ; Winkler et Robertson, 1992) et des gingivites ulcéro-nécrotiques chez les patients atteints de sida est accentuée, d'après Cimasoni et Deslarzes (1993), par la situation de stress et d'anxiété qui stimule la production d'hormones corticoïdes, ce qui entraîne une diminution des réactions de défense des malades par l'altération des fonctions des lymphocytes et des PMN (Barnes et al., 1973 ; Stevens et al., 1984 ; Falker et al., 1987). Selon Dennison et al. (1985), les manifestations buccales de ces gingivites aiguës affectent les populations d'homosexuels et, aujourd'hui encore, la plupart des études soulignent une prévalence variant de 5 à 11 % pour les séropositifs contre 0,6 % pour la population générale (Holmstrup et Westergaard, 1998). Si l'aspect clinique des lésions est reconnu par la plupart des auteurs, la terminologie et les classifications employées sont encore controversées : Greenspan et al. (1992) ainsi que Glick et al. (1994) classent les parodontopathies associées au VIH en « HIV-G associated gingivitis », c'est-à-dire en gingivite érythémateuse atypique, et en « HIV-P associated periodontis », c'est-à-dire parodontite ulcéro-nécrotique à progression rapide, confirmant ainsi les travaux de Winkler et al. (1988), mais se différenciant de l'HIV-G, renommé érythème gingival linéaire (LGE) par EC-Clearinghouse on oral problems related to HIV infection ( 1993).
Horning et Cohen (1995) regroupent les patients atteints de GUN, PUN ou SN (stomatite nécrosante) sous le terme générique de GN (gingivo-stomatite nécrosante). Ils sont rejoints par Robinson et al. (1998), qui considèrent que GUN, PUN, SN, HIV-G et HIV-P sont la seule et même maladie tant que les différences bactériologiques, immunologiques et histopathologiques entre ces maladies ne sont pas confirmées ou infirmées. Enfin, Rowland (1999) reprend les appellations classiques GUN et PUN et les regroupe sous la dénomination générique de maladies parodontales nécrotiques.
La gingivite ulcéro-nécrotique apparaît souvent chez des individus d'un même groupe présentant des conditions de vie identiques défavorables. S'il n'a pas été démontré qu'elle était contagieuse (Rosebury et Foley, 1939), il n'a pas été non plus démontré une implication raciale (Falker et al., 1987), bien que Horning et Cohen (1995) soulignent une proportion de porteurs de GUN plus importante chez les sujets blancs que chez les sujets noirs.
Le sexe n'est pas non plus un facteur déterminant (Stevens et al., 1984 ; Melnick et al., 1988 ; Horning et Cohen, 1995) ; par contre, tous les auteurs s'accordent pour affirmer que la GUN touche tout particulièrement les jeunes adultes des pays industrialisés. Pour Barnes et al. (1973), 81,7 % des sujets atteints ont moins de 21 ans et, pour Stevens et al. (1984), 60 % ont moins de 24 ans. Selon Horning et Cohen (1995), ce sont bien le stress des études et l'incorporation dans l'armée qui semblent être les principaux facteurs mis en cause, confirmant la prédisposition des jeunes de moins de 23 ans à présenter une GUN.
En revanche, dans les pays en développement, la GUN se rencontre chez les jeunes enfants de moins de 11 ans souffrant de malnutrition (Pindborg et al., 1966 ; Enwonwu, 1972 ; Jimenez et Baer, 1975). D'après Melnick et al. (1988), la fréquence de la maladie est inversement proportionnelle au statut économique. Horning et Cohen (1995) soulignent qu'il existe 3 facteurs de prédisposition majeurs : le stress, la malnutrition et le VIH, dont le lien avec l'âge d'apparition de la maladie est indéniable.
À côté de ces facteurs de prédisposition principaux, certains facteurs locaux peuvent contribuer à l'aggravation de cette affection, comme la mauvaise hygiène orale qui reste le creuset de la gingivite chronique (Schluger, 1943 ; Pindborg, 1951 ; Barnes et al., 1973) et qui peut prédisposer à la GUN (Hitzig et al., 1980). Les travaux de Taiwo (1993) soulignent l'augmentation de la prévalence et de la sévérité de la GUN sur un échantillon de 83 enfants nigériens ayant une faible hygiène : plus de 66 % de ces enfants avaient une GUN et, parmi ceux-ci, seuls 2,4 % avaient une bonne hygiène. Récemment, Wilson et Kornman (1996) ont confirmé que ce facteur était favorable à la maladie mais ne la déclenchait pas.
Dans une moindre mesure, certaines restaurations iatrogènes peuvent induire une irritation gingivale (Goldhaber et Giddon, 1964), tout comme les sacs péricoronaires des dents de sagesse favorisant une prolifération microbienne peuvent déclencher une GUN (Shklar et McCarthy, 1980).
C'est dans ce contexte que le tabac accentue la sévérité de la GUN, car sa consommation se traduit par une augmentation de la destruction nécrotique (Swango et al., 1991).
D'autres facteurs généraux tels une faiblesse physique passagère, une intervention chirurgicale, une maladie et des troubles hormonaux peuvent favoriser l'apparition de la GUN (Goldhaber et Giddon, 1964 ; Hitzig et al., 1980 ; Horning et Cohen, 1995).
Enfin, tous les facteurs de prédisposition cités précédemment peuvent interagir et potentialiser les risques de développement de la maladie (Horning, 1996). Dans son étude, cet auteur classe ces facteurs en 3 catégories principales : la malnutrition touchant les jeunes enfants, le stress touchant les jeunes adultes et le VIH touchant surtout les adultes :
- chez les enfants, la malnutrition protéinique associée à la présence d'une maladie (rougeole, variole, rhume) et d'une mauvaise hygiène favorise de façon certaine la prédisposition à la GUN ;
- chez les jeunes adultes, le stress associé à un manque de sommeil ou d'hygiène, au tabagisme, voire à l'alcoolisme, prédispose à l'apparition de GUN.
Les caractéristiques cliniques, épidémiologiques (maladie infectieuse, pouvant se développer comme une épidémie, atteignant les enfants et les jeunes adultes) et immunologiques (défaut de la phagocytose, dérégulation des cytokines) de la gingivite ulcéro-nécrotique sont communes à de nombreuses maladies virales. C'est à l'issue des travaux de Sheiham (1966), où le fait de ne trouver aucun cas de GUN chez les adultes nigérians par rapport aux cas sévères observés chez les enfants pouvait signifier qu'après avoir contracté leur GUN, les enfants présentaient une certaine immunité, que Sabiston (1986) rapprocha l'ensemble des travaux publiés sur la GUN à ceux effectués sur le cytomégalovirus humain (CMVH, ou HHV-5). Il établit en effet, épidémiologiquement, une corrélation intéressante entre l'âge de la séroconversion au CMVH et celui de la GUN : en Afrique, celle-ci apparaît chez des sujets très jeunes, avant la puberté, alors qu'en Europe et aux États-Unis, c'est l'inverse qui se produit. Sur le plan immunologique, il a noté également des corrélations entre l'étude sur la GUN de Cogen et al. (1983) et celle sur le CMVH de Carney et Hirsch (1981) par l'augmentation du rapport T8/T4 et la forte baisse de la réponse à la stimulation au mitogène conA ; l'infection au CMVH interfère avec la réponse immunitaire de l'hôte, pouvant augmenter le risque d'infection bactérienne.
Ces hypothèses virales apportent des explications sur la GUN, notamment l'incapacité de transmettre cette maladie à l'échelle humaine et les risques d'épidémie quand un grand nombre de sujets séropositifs au CMVH sont regroupés dans un même lieu.
Contreras et al. (1997) ont montré que certains virus herpétiques ont été impliqués dans des lésions ulcéreuses des muqueuses buccales, principalement chez des individus immunodéprimés : leur étude clinique qui portait sur des échantillons de fluide gingival prélevés sur une population de 62 jeunes nigérians âgés de 3 à 14 ans a révélé 22 patients avec GUN dont 15 avaient une infection virale (68 %) et 8 une coinfection virale (32 %). Ils ont trouvé le CMVH (59 %), puis le virus d'Epstein-Barr 1 (EBV-1) (27 %), le virus de l'herpès (Herpes simplex virus, HSV) (23 %) et le virus herpès humain (HHV-6) (5 %). Cette étude montre une prévalence significative du CMVH et de l'HSV dans les GUN chez ces enfants.
Les mêmes auteurs ont émis l'hypothèse que les herpès virus associés à la malnutrition et à la croissance de bactéries pathogènes participent au développement de la GUN.
L'ensemble de ces travaux nous permet de dresser un tableau synthétique de l'étiopathogénie possible de la GUN, de la PUN et du noma oro-facial (fig. 3).
Le diagnostic est fondé sur l'observation des signes cliniques mais également sur les informations dispensées par le malade, voire également par les résultats d'examens de laboratoire issus de frottis gingivaux, de biopsies ou de bilans sanguins (Sabiston, 1986).
Décrit dans la littérature médicale (Barnes et al., 1973 ; Stevens et al., 1984 ; Falker et al., 1987 ; Horning et Cohen, 1995 ; American Academy of Periodontology, 1996), le diagnostic positif regroupe des signes classiques de douleur, nécrose et gingivorragie, accompagnés de signes secondaires variables (tableau 1).
Il est fait en fonction des différentes pathologies rencontrées (tableau 2) qui présentent des similitudes avec la GUN comme la gingivostomatite herpétique aiguë (GHA) et la leucémie aiguë (LA) (Perusse, 1984).
En l'absence de traitement, la phase aiguë de la gingivite ulcéro-nécrotique s'estompera mais la destruction des tissus parodontaux se poursuivra plus lentement. On parle alors de :
- GUN : les lésions nécrosantes persistent sous forme de cratères interdentaires (Lindhe, 1986) mettant en évidence les racines des dents atteintes et leur cément infiltré d'endotoxines bactériennes et parfois recouvert de tartre. La gencive marginale prend alors un contour arrondi soulignant l'absence ou la réduction des papilles ;
- PUN : dans certains cas où des facteurs de prédisposition persistent, comme lors de dysfonction immunitaire associée à une maladie parodontale où l'on rencontre fréquemment des micro-organismes typiques comme Treponema, Selemonas, F. nucleatum, Porphyromonas gingivalis et P. intermedia (Novak, 1999), l'évolution de la maladie se traduit par des pertes d'attache rapides, sévères, parfois multiples, très douloureuses et hémorragiques (Wilson et Kornman, 1996). Cette évolution de la GUN peut être un signe précédant les manifestations systémiques dues au sida, caractérisées par des alvéolyses osseuses fulgurantes (Patton et Mc Kraig, 1998). Certaines pathologies peuvent se surajouter chez ces sujets immunodéficients comme les affections à Candida albicans, à un herpès ou au sarcome de Kaposi (Zambon et al., 1990) ;
- noma oro-facial ou cancrum oris : l'affection persistante peut se développer et envahir l'ensemble des tissus oro-faciaux (lèvres, joues, structures osseuses maxillaires) situés à proximité des lésions ulcéro-nécrotiques primaires (Enwonwu et al., 1999 ; Bourgeois et al., 1999), amenant une détérioration rapide de l'état général de l'enfant ou de l'adulte. L'aspect est celui d'une gangrène tissulaire pouvant évoluer vers la mort du sujet par septicémie ou pneumonie.
Falker et al. (1999) ont différencié dans leur étude les micro-organismes de la GUN et du noma oro-facial au sein de 2 groupes d'enfants atteints de gingivite ulcéro-nécrotique. Ils ont constaté que les enfants nigérians mal nourris du premier groupe étaient sensibles au virus de l'herpès et au cytomé-galovirus et qu'ils présentaient des germes anaérobies P. intermedia en plus grand nombre que dans le deuxième groupe d'enfants, mieux nourris. Pour les enfants atteints par le noma, ils trouvaient dans leur flore 87,5 % de F. necrophorum, et parmi les autres micro-organismes, 75 % de P. intermedia, puis Alpha-hemolytic streptococci et Actinomyces spp.
Le noma oro-facial touche tout particulièrement les enfants des pays en développement souffrant de malnutrition et dont l'hygiène buccale est absente (Enwonwu et al., 1999), notamment ceux qui vivent en Afrique subsaharienne dans un environnement social et sanitaire désastreux, qui favorise les maladies infectieuses comme la rougeole, la scarlatine, la varicelle et le paludisme.
Les experts de l'OMS (Barmes et al., 1997 ; Bourgeois et al., 1999) estiment aujourd'hui à 100 000 le nombre annuel de nouveaux cas de noma oro-facial et de 70 à 90 % de ces nouveaux malades décèdent en l'absence de traitement.
Le traitement est fonction du stade de détection, de l'ampleur et de la sévérité de la maladie, mais également de l'existence d'une pathologie générale associée.
Il fait appel, pour les gingivites ulcéro-nécrotiques débutantes, à une instruction à l'hygiène efficace (contrôle de plaque, méthode de brossage) associée à 2 séances de détartrage ultrasonique pratiquées à 8 jours d'intervalle sous irrigation d'antiseptiques locaux oxydants (peroxyde d'hydrogène à 30 %).
Dans les cas de gingivites ulcéro-nécrotiques installées, après avoir exposé les moyens et les méthodes d'hygiène buccodentaire au patient, un détartrage superficiel sera entrepris associé à une détersion locale par tamponnement de peroxyde d'hydrogène à 30 % et une prescription d'antalgique et d'antiseptique. D'autres séances de détartrage sous-gingival sous irrigation d'antiseptique seront programmées à 8 jours puis à 3 semaines.
Lors de gingivites ulcéro-nécrotiques généralisées avec tableau clinique sévère ou en présence d'une maladie systémique, la prescription d'un antibiotique sera établie - soit de la pénicilline, tout en connaissant les risques de sensibilité, soit du métronidazole (Loesche et al., 1982), soit une association de métronidazole-spiramycine (Falker et al., 1999) - auquel s'ajouteront un antalgique et un antiseptique à base de chlorhexidine. Au cours de cette séance, le thérapeute encouragera le malade à faire des efforts en matière d'hygiène buccale. Le saignement, la sensibilité, l'inquiétude, entraînant une certaine réticence du patient aux soins, ainsi que les risques de dissémination microbienne nous incitent parfois à différer le détartrage à la deuxième séance. Les séquences de soins redeviennent ensuite plus classiques après disparition de la phase aiguë de la maladie.
Dans les cas de parodontite ulcéro-nécrotique, le traitement symptomatique devra tenir compte de l'ampleur de la phase aiguë de la maladie et de sa sévérité par la prescription d'une antibiothérapie systémique puis par l'élaboration d'un plan de traitement adapté aux pertes d'attache.
Enfin, dans le cas du noma oro-facial associé ou non à des infections concomitantes, à C. albicans par exemple, dont la prévalence augmente chez les individus infectés par le VIH (Zambon et al., 1990 ; Zambon,1997), ou en situation d'immunodéficience (Novak, 1999), ou encore souffrant de malnutrition (Barmes et al., 1997), le malade devra être hospitalisé et suivre un traitement médical et chirurgical tenant compte des facteurs constitutionnels, environnementaux, sociaux, et infectieux (Bourgeois et al., 1999).
La gingivite ulcéro-nécrotique, qui est encore fréquente et de gravité variable, touche généralement les adultes jeunes de race blanche dans les pays industrialisés et les enfants en bas âge et de race noire dans les pays en développement.
La stabilisation relative de cette maladie parodontale nécrotique serait le résultat d'une plus grande sensibilisation des populations à l'hygiène bucco-dentaire. De diverses et régulières campagnes d'information ont permis d'améliorer la plupart des indices épidémiologiques parodontaux. Cependant, elles n'ont pas permis d'éradiquer ces pathologies qui sont également associées à des facteurs étiologiques humains et à des comportements psychosomatiques liés au stress intellectuel, au stress physique et à la consommation de tabac.
Bien qu'il persiste un certain nombre d'interrogations notamment sur la raison de la disparition spontanée de l'affection chez certains jeunes enfants ou sur le rôle des virus par rapport aux mécanismes immunitaires de défense de l'hôte, l'établissement de programmes de détection amenant un diagnostic étiopathogénique précoce permettrait dans l'avenir la prévention et la prise en charge anticipée de cette maladie.
Demande de tirés à part
Philippe RODIER : Faculté d'Odontologie - Département de Parodontologie - rue Guillaume-Paradin - 69372 LYON CEDEX 08 - FRANCE.