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J.-M. GLISE * A. BLANC ** V. MONNET-CORTI *** A. BORGHETTI ****
*Faculté d'odontologie, Université de la Méditerranée, France
**Cabinet privé, Boulogne-Billancourt, France
***Faculté d'odontologie, Université de la Méditerranée, France
****Faculté d'odontologie, Université de la Méditerranée, France
L'utilisation des protéines dérivées de la matrice amélaire semble faire désormais partie de la thérapeutique des lésions intra-osseuses. De nombreux travaux, aussi bien cliniques qu'histologiques, ont montré l'obtention d'un gain d'attache clinique ainsi qu'une certaine régénération de structures parodontales détruites par la maladie parodontale.
Le but de cette étude a été d'évaluer cliniquement et radiographiquement les effets du traitement par des protéines dérivées de la matrice amélaire d'une série de lésions infra-osseuses profondes à 1, 2 ou 3 parois pendant une période de 3 ans. Cinquante-six lésions ont été traitées chez 46 patients atteints de parodontite. Elles ont été réparties dans 2 groupes : le groupe A comprenant les lésions à 1 ou 2 parois osseuses et le groupe B les lésions à 3 parois osseuses. Les paramètres cliniques enregistrés à J0 et à 3 ans postopératoires étaient la profondeur de poche, le niveau d'attache clinique et la hauteur de récession gingivale. Des radiographies ont été effectuées par la méthode du long cône parallèle. Les mesures de profondeur et de largeur des lésions ont été enregistrées directement sur les radiographies. Pour chaque paramètre, les moyennes et écarts types (ET) ont été calculés à J0 et à 3 ans. Les différences ont été exprimées en valeur absolue (mm) et relative ( %). La signification des résultats a été mesurée par un test t de Student pour séries appariées.
Trente lésions à 1 ou 2 parois pour le groupe A et 26 lésions à 3 parois pour le groupe B ont été traitées et mesurées. Les résultats ont montré, tous groupes confondus, une réduction de la profondeur de poche de 3,7 mm (ET : 2,12), un gain d'attache clinique de 3,23 mm (ET : 2,82), une augmentation de la récession gingivale de 0,47 mm (ET : 0,7) ainsi qu'une diminution de la profondeur et de la largeur des lésions mesurées radiographiquement de respectivement 3,66 mm (ET : 2,04) et 1,71 mm (ET : 1,66). Tous les résultats étaient statistiquement significatifs (p < 0,001). Il existait une différence entre les deux groupes mais non statistiquement significative. Dans les limites de cette étude, l'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire dans le traitement des lésions infra-osseuses a montré l'amélioration des paramètres cliniques et radiographiques à 3 ans postopératoires.
The application of enamel matrix proteins to root surfaces has become a routine treatment for intraosseous defects. Data from clinical trials and from histological studies have demonstrated that this procedure may result in gain of clinical attachment level and partial periodontal regeneration.
The aim of this clinical and radiographic study was to evaluate the effects of treatment with enamel matrix protein in deep 1-, 2- and 3-walled intraosseous lesions over a 3-year period.
Fifty-six lesions, divided into two groups, were treated in 46 patients with aggressive or chronic periodontitis. The 1- and 2-walled defects constituted Group A and the 3-walled defects constituted Group B. Clinical parameters were pocket probing depth (PPD), clinical attachment level (CAL) and the height of gingival recession (GRH). The height and width of the intraosseous defects were assessed radiographically using the long-cone paralleling technique. These parameters were assessed pre-surgically and 3 years post-operatively. The changes were calculated in absolute values (mm) and relative values ( %). Results are given as mean ± SD of raw values expressed in millimetres. The Student t test was used to assess the statistical significance of differences between day 0 and 3 years postoperatively.
The overall results showed PPD reduction of 3.70 mm (SD = 2.12), CAL gain of 3.23 mm (SD = 2.82), increase GRH of 0.47 mm (SD = 0.7). There was radiographic evidence of reduction of intraosseous defect height of 3.66 mm (SD = 2.04) and of width of 1.71 mm (SD = 1.66). These results were statistically significant (p < 0,001). When comparing the two groups, the difference was not statistically significant.
This study showed improvements in clinical and radiographic parameters three years following surgery that included the use of enamel matrix protein.
L'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire a été introduite il y a quelques années et un grand nombre d'études ont montré son efficacité dans le traitement de lésions intra-osseuses (Heijl et al., 1997 ; Heden et al., 1999 ; Sculean et al., 1999 ; Heard et al., 2000 ; Heden, 2000 ; Parodi et al., 2000 ; Blanc et al., 2002). Cette efficacité est basée sur la nature biologique de la technique de régénération. En effet, histologiquement, les molécules des protéines amélaires affectent la synthèse, la mitogenèse et la différenciation cellulaire des fibroblastes gingivaux (Van der Pauw et al., 2000) pour former des cémentoblastes amenant le dépôt d'un néocément. La présence de protéines amélaires lors des étapes premières de la cicatrisation jouerait un rôle de sélection cellulaire en empêchant la prolifération des cellules épithéliales (Gestrelius et al., 1997 ; Kawase et al., 2000). Enfin, ces protéines pourraient agir comme des facteurs de croissance en facilitant le relargage de facteurs de croissance polypeptidiques (GF) (Schwartz et al., 2000 ; Lyngstadaas et al., 2001). Cliniquement, cette régénération se traduit par un gain d'attache clinique, une réduction de la profondeur de poche au sondage (Okuda et al., 2000 ; Parodi et al., 2000 ; Froum et al., 2001 ; Tonetti et al., 2002) et une régénération osseuse visible radiographiquement (Heden et al., 1999 ; Parodi et al., 2000, Parashis et Tsiklakis 2000).
Cependant, la grande majorité des travaux publiés ne portent que sur des périodes de temps limitées à 12 mois, telle notre première série de cas (Glise et al., 2001). L'objectif de ce travail est de rapporter les résultats cliniques et radiographiques à 36 mois de l'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire dans le traitement d'une série de lésions parodontales infra-osseuses.
Les patients inclus dans cette étude présentaient une parodontite chronique ou agressive. Trois mois après la thérapeutique initiale qui a consisté en des instructions d'hygiène bucco-dentaire et des détartrages-surfaçages radiculaires mécaniques et ultrasoniques, les lésions parodontales étaient incluses. Les sites sélectionnés devaient être interproximaux, infra-osseux à 1, 2 ou 3 parois, et présenter une profondeur de poche au sondage supérieure ou égale à 5 mm. Des radiographies préopératoires et postopératoires (à 36 mois) ont été prises avec un angulateur de Rinn selon la méthode du long cône parallèle (fig. 1a, 1b, 1c et 1d).
Des mesures de la profondeur de la lésion (rebord crestal-fond du défaut) et de la largeur de la lésion (rebord crestal-paroi radiculaire) ont été faites directement sur les films à l'aide d'un papier-calque millimétré. Les mesures enregistrées à l'aide d'une sonde parodontale Hu-Friedy® PCP UNC 15 à J0 et 36 mois ont été les suivantes :
- profondeur de poche au sondage (PPS) ;
- niveau d'attache clinique (NAC) ;
- hauteur de récession gingivale (RG).
La technique opératoire a été décrite précédemment (Glise et al., 2001) et correspondait à celle préconisée par le laboratoire . La profondeur et la morphologie du défaut ont été enregistrées en peropératoire. Les lésions dont la profondeur intra-osseuse était inférieure à 2 mm étaient exclues. Les autres ont été classées en 2 groupes en fonction du nombre de parois osseuses résiduelles :
- groupe A, lésions à 1 et 2 parois ;
- groupe B, lésions à 3 parois vraies.
Les consignes postopératoires suivantes ont été données au patient : absence de brossage sur le site pendant 2 semaines, utilisation de bains de bouche à la chlorhexidine à 0,12 % 3 fois par jour pendant 2 semaines, 1 200 mg/j d'ibuprofène pendant 3 jours et 200 mg/j de doxycycline pendant 7 jours.
Les sutures ont été retirées au bout de 10 jours et un polissage réalisé au cours de la même la séance. Les patients ont été revus ensuite lors de séances de maintenance tous les 3 à 4 mois pendant la première année puis tous les 6 mois les années suivantes, et ce pendant 3 ans.
Les moyennes et les écarts types (ET) ont été calculés pour chaque paramètre à l'examen initial et à 3 ans postopératoires de façon globale et pour chaque groupe de lésions. Le gain moyen (ou la réduction) a été calculé comme étant la différence entre les valeurs postopératoires et les valeurs initiales. La valeur absolue était exprimée en millimètres et la valeur relative, rapportée à la valeur initiale, en pourcentage. La signification des résultats entre les valeurs moyennes préopératoires et postopératoires pour chaque paramètre a été mesurée par un test t de Student pour séries appariées. Une probabilité de p < 0,05 a été acceptée pour rejeter l'hypothèse nulle.
Quarante-six patients (30 femmes et 16 hommes) d'âge compris entre 27 et 65 ans ont participé à l'étude. Les 56 lésions traitées ont été réparties selon les 2 groupes :
- 30 lésions à 1 et 2 parois osseuses résiduelles (groupe A) ;
- 26 lésions à 3 parois (groupe B).
La profondeur de sondage moyenne initiale était de 7,32 mm (ET : 1,41) tous groupes confondus. À 3 ans postopératoires, cette moyenne était de 3,61 mm (ET : 1,15).
Pour le groupe A, la réduction moyenne de profondeur de poche en valeur absolue était de 3,83 mm (ET : 1,76), soit 51 % de réduction relative. La différence était statistiquement significative (p = 0,001). Pour le groupe B, la réduction de profondeur de poche en valeur absolue était de 3,55 mm (ET : 1,85) et, en valeur relative, de 49,9 % ( tableau 2 ).
Le gain d'attache clinique moyen, tous groupes confondus, était de 3,23 mm (ET : 2,82) en valeur absolue, soit 37 % en valeur relative. La différence était statistiquement significative (p = 0,001) (tableau 1). Pour le groupe A, le gain moyen d'attache était de 3,28 mm (ET : 2,30), soit 35 % par rapport à la moyenne initiale. La différence était statistiquement significative (p = 0,001). Pour le groupe B, ce gain était de 3,17 mm (ET : 1,81), soit 38 % en valeur relative (tableau 2).
Le niveau de récession gingivale moyenne initiale était de 1,5 mm (ET : 0) tous groupes confondus. À 3 ans postopératoires, les mesures étaient de 1,98 mm (ET : 0,7). La différence était statistiquement significative (tableau 1).
La profondeur moyenne intra-osseuse était de 5,38 mm (ET : 2,26) tous groupes confondus, de 5,73 mm (ET : 2,44) pour le groupe A et de 4,98 mm (ET : 1,85) pour le groupe B.
Les mesures radiographiques des profondeurs des lésions entre le rebord crestal et le fond de la lésion montraient un gain de 3,66 mm (ET : 2,04) tous groupes confondus. Pour le groupe A, un gain de 3,75 mm (ET : 2,19) était enregistré et, pour le groupe B, un gain de 3,36 mm (ET : 1,91). La largeur des lésions avait également été mesurée et montrait un gain de 1,71 mm (ET : 1,66) tous groupes confondus. Il a été enregistré pour le groupe A un gain de 1,63 mm (ET : 1,87) et, pour le groupe B, un gain de 1,76 mm (ET : 1,67) (fig. 2 et 2b et tableaux 3 et 4).
L'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire dans cette étude semble montrer que les résultats sont stables à 3 ans postopératoires. La moyenne de gain d'attache clinique obtenu, de 3,23 mm (ET : 2,82), et la réduction de la profondeur de poche, de 3,7 mm (ET : 2,12), sont comparables à la moyenne des résultats obtenus par d'autres auteurs et publiés à ce jour. En effet, Kalpidis et Ruben (2002), dans leur revue de littérature, font état d'une méta-analyse de 12 études contrôlées qui compilent 317 défauts intra-osseux à 1, 2 ou 3 parois. La moyenne du gain d'attache obtenu est de 3,2 mm (ET : 0,9). De même, la réduction de la profondeur de poche y est de 4,0 mm (ET : 0,9). En revanche, l'ensemble de ces études teste ce traitement sur une période maximale de 12 mois. Dans un travail préliminaire, nous avions également montré, sur une série de 35 lésions intra-osseuses, l'amélioration des paramètres cliniques après utilisation d'Emdogain® à 1 an postopératoire (Glise et al., 2001). Les mesures obtenues étaient de 3,9 mm (ET : 2) de réduction de profondeur de poche et de 2,6 mm (ET : 1,9) de gain d'attache clinique. Sans pouvoir superposer ces résultats qui sont issus de 2 séries de cas différents, et en s'appuyant également sur les résultats des travaux de Heijl et al. (1997) et Zetterström et al. (1997) (étude de 3 ans) et Sculean et al. (2001) (étude de 4 ans), il semble y avoir une certaine stabilité des résultats dans le temps. Dans notre étude clinique, nous avons également séparé les lésions en 2 groupes en fonction du nombre de parois osseuses résiduelles (groupe A : les lésions à 1 et/ou 2 parois et groupe B : les lésions à 3 parois), ce qui offre l'avantage de mettre en évidence l'influence de la morphologie de la lésion sur le résultat.
Il semble qu'il n'existe pas ou peu de différence à long terme entre les 2 groupes. Le gain d'attache, supérieur mais non statistiquement significatif, est de 38 % dans le groupe B contre 35 % dans le groupe A, alors que la réduction de poche est de 51 % pour le groupe A contre 49,9 % pour le groupe B. Cette faible différence, bien que non statistiquement significative entre les 2 groupes, pourrait s'expliquer par la profondeur intra-osseuse des lésions mesurées en peropératoire : les 5,73 mm de profondeur des lésions à 1 et/ou 2 parois semblent compenser les 4,98 mm des lésions à 3 parois a priori plus favorables à la régénération. Cependant, quelques travaux sur l'utilisation de l'Emdogain® révèlent que la profondeur des défauts intra-osseux n'influencerait pas significativement le gain d'attache clinique (Heden et al., 1999 ; Zucchelli et al., 2002 ; Tonetti et al., 2002). Il semble donc que l'utilisation de ces protéines d'origine amélaire joue un rôle différent de celui des autres techniques de régénération. Les études et travaux histologiques montrent diverses interactions entre ces protéines et les cellules fibroblastiques gingivales (Gestrelius et al., 1997 ; Hoang et al., 2000). Le développement de cémentoblastes générant la formation d'un néocément acellulaire, cellulaire ou mixte entraîne la formation soit d'une nouvelle attache conjonctive, soit la régénération complète des structures parodontales dans la plupart des cas étudiés (Yukna et Mellonig, 2000 ; Sculean et al., 2000), et ce sans se soucier des paramètres morphologiques des défauts.
Cliniquement, les résultats sont comparables à ceux obtenus par d'autres techniques de régénération parodontale (régénération tissulaire guidée, matériaux de comblement ou même association des deux) et en utilisant une technique opératoire plus simple. Cette stabilité à long terme semblerait plus encourageante. Le mode de cicatrisation étant fondé sur un processus proche de la biologie du développement, il est possible que les tissus régénérés se comportent mieux dans le temps. D'un point de vue radiographique, les résultats obtenus dans cette série de défauts montrent un taux de reminéralisation de 68 %, soit 3,66 mm (ET : 2,04) pour la mesure verticale du rebord osseux au fond du défaut visible sur les clichés radiographiques, et de 55 %, soit 1,71 mm (ET : 1,66) pour la mesure horizontale du rebord osseux le plus coronaire à la surface radiculaire. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus par d'autres auteurs à 1 an postopératoire (Parashis et Tsiklakis, 2000 ; Heden, 2000,). Seules deux études à long terme (Heijl et al., 1997 ; Zetterström et al., 1997) montrent des résultats radiographiques comparables.
Même si l'analyse radiographique est difficile à réaliser de façon rigoureuse (superposition des films difficile et erreurs de mesure possibles) et que les vues radiographiques ne peuvent pas déterminer et évaluer si une régénération parodontale ou une réparation s'est produite (Machtei, 1997), il n'en demeure pas moins que la sensation clinique de reminéralisation accrue existe et se poursuit dans le temps. Bratthal et al (2001) observent des défauts traités avec Emdogain® à 8 et 16 mois postopératoires. Ils constatent radiographiquement une augmentation osseuse passant de 0,7 mm (ET : 0,9) à 1 mm (ET : 1). Cette augmentation peut être corrélée avec une augmentation du niveau d'attache, au cours de la même période, de 2,5 mm (ET : 1,4) à 2,9 mm (ET : 1,6).
Ces observations pendant une période de 3 ans nous incitent à utiliser les protéines dérivées de la matrice amélaire dans le traitement des défauts intra-osseux à 1, 2 ou 3 parois avec une bonne prévisibilité quant à la stabilité des résultats obtenus. Cependant, au vu de nombreux travaux sur les possibilités biologiques de ces protéines, notamment dans le relargage de facteurs de croissance, et sur l'association qu'il est possible d'effectuer entre elles et des matériaux de comblement, il semble intéressant de suggérer que l'association avec des cellules osseuses issues de greffons autogènes permettrait d'augmenter la possibilité de traitement de lésions intra-osseuses larges à 1 ou 2 parois.
1 Emdogain®, Laboratoire Biora, distributeur Pharmadent, 45, rue Jean-Jaurès - 92300 Levallois-Perret - France
Demande de tirés à part
Jean-Marc GLISE : 71, place de la Liberté - 83000 TOULON - FRANCE. Remerciements au laboratoire Medicadent et à Monsieur Philippe Corbasson pour leur aimable collaboration.