Recouvrement radiculaire Étude histologique de la cicatrisation 5 ans après un lambeau positionné latéralement - JPIO n° 3 du 01/08/2005
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2005

 

Articles

P. MATTOUT *   C. MATTOUT **  


*GÉPI, Marseille

Résumé

De nombreuses techniques de chirurgie plastique parodontale permettent d'obtenir, de manière prévisible, le recouvrement de dénudations radiculaires. La cicatrisation généralement décrite par les auteurs est un épithélium jonctionnel long ou une migration apicale de l'épithélium jonctionnel jusqu'au niveau de la crête osseuse. Pour obtenir une nouvelle attache conjonctive, les auteurs ont utilisé des membranes permettant une régénération parodontale sur des sites initialement exposés qui semblait être la seule technique pour obtenir une régénération tissulaire.

Dans ce cas, un lambeau muco-périosté positionné latéralement (LPL) a permis le recouvrement d'une dénudation radiculaire. Après l'élévation du lambeau, des encoches servant de repères histologiques ont été faites sur la racine. Cinq années plus tard, un prélèvement en bloc a été effectué et traité pour une étude en microscopie optique. Les résultats montrent l'absence de migration apicale de l'épithélium jonctionnel. Des sites radiculaires de résorption et de néoformation cémentaire sont présents. Un réseau fibreux s'est agencé parallèlement à la surface radiculaire. Un LPL sans utilisation de la technique de régénération tissulaire guidée aboutit donc ici à une cicatrisation conjonctive sans interposition d'épithélium. Cette cicatrisation est stable 5 ans après l'intervention.

Summary

Many periodontal reconstructive surgical techniques provide reliable methods for covering uncovered roots. The healing process usually described in the literature involves a long junctional epithelium or an apical migration of junctional epithelium to the bony crest with the use of membranes for tissue regeneration. To obtain a new connective attachment, the authors have used a membranes technique that results in periodontal regeneration on exposed sites. A laterally positioned muco-periosteal flap (LPF) was used to cover an exposed root. After preparing the flap, notches were made on the root to serve as histological reference points. Five years later a block sample was taken and examined by optical microscopy. The results show that apical migration of junctional epithelium was not present. Sites of cement resorption and formation were present on the root. A fibrous network, running parallel to the root, had developed. An LPF without using a guided tissue regeneration technique had resulted, in this case, in connective healing without an interposing layer of junctional epithelium. This healing was stable five years after the intervention.

Key words

Muco-gingival surgery, healing, histology, guided tissue regeneration

Introduction

Pour traiter une récession gingivale, il ne suffit pas d'éliminer tous les facteurs étiologiques, il faut résoudre chirurgicalement le problème esthétique et, parfois, l'hypersensibilité qui a motivé la consultation du patient. Différentes techniques sont préconisées pour recouvrir des dénudations radiculaires. Actuellement, les praticiens ont souvent recours aux protéines dérivées de l'émail (Emdogain®) pour améliorer les résultats cliniques (Abbas et al., 2003) et histologiques (Rasperini et al., 2000). La cicatrisation après régénération tissulaire guidée (RTG) a fait l'objet de plusieurs études histologiques (Nyman et al., 1981 ; Cortellini et al., 1993 ; Pasquinelli, 1995 ; Vincenzi et al., 1998). Il n'en est pas de même pour les autres techniques, comme le lambeau positionné latéralement (LPL). Les observations histologiques, surtout chez l'homme, sont peu fréquentes (Common et Mc Fall, 1983 ; Harris Randall, 1999) et font état de résultats sur des périodes postopératoires courtes (de 3 à 6 mois). Ce travail rapporte une étude clinique et histologique de la cicatrisation parodontale sur une incisive ayant subi, 5 années auparavant, un recouvrement radiculaire par la technique du lambeau muco-périosté positionné latéralement.

Matériel et méthode

Cas clinique

Une jeune fille âgée de 23 ans, devant être traitée pour une parodontite agressive généralisée, présentait une récession gingivale sur l'incisive centrale mandibulaire gauche (31). Cette incisive était en vestibulo-position (fig. 1) et devait être extraite 2 à 3 années plus tard pour raison orthodontique. La dénudation radiculaire avait une hauteur de 4 mm.

En accord avec la patiente, il a été décidé de réaliser le plan de traitement suivant :

- thérapeutique initiale par élimination de la plaque bactérienne et surfaçages radiculaires (fig. 2) ;

- lambeau positionné latéralement sur la 31 pour recouvrir la dénudation radiculaire ;

- traitement chirurgical de la parodontite sur les autres secteurs ;

- extraction de la 31 ;

- traitement orthodontique, que la patiente souhaitait entreprendre 2 à 3 années après le traitement chirurgical. En fait, pour raisons personnelles, elle n'a été disponible pour le traitement orthodontique que 5 années plus tard, ce qui nous a conduit à ne réaliser l'extraction qu'à ce moment et, donc, à étudier la cicatrisation du LPL à 5 ans postopératoires.

Traitement chirurgical sur la 31

Un lambeau positionné latéralement est réalisé selon la technique habituelle. Après une incision péri-coronaire, la gencive marginale bordant la récession est éliminée.

Une incision de décharge est faite verticalement et se termine en baïonnette en direction de la 31. Le lambeau est élevé en épaisseur totale jusqu'au niveau de la ligne muco-gingivale. La racine exposée de la 31 est surfacée minutieusement. Deux encoches sont pratiquées sur sa face vestibulaire à l'aide d'une fraise boule de 1 mm de diamètre. Les encoches séparées de 3 mm sont réalisées afin d'apprécier de manière précise le recouvrement radiculaire. Elles servent également de repères histologiques car le traitement orthodontique prévoyait l'extraction de la 31. Nous avions ainsi la possibilité de réaliser l'analyse histologique de la cicatrisation et d'apprécier, grâce aux encoches, les niveaux d'attache. Dans cette optique, une des deux encoches est effectuée au niveau de la crête osseuse et permet d'objectiver le niveau le plus apical de la perte d'attache. La seconde est située à 3 mm coronairement à la première et permet d'évaluer l'éventuel gain d'attache. Le lambeau d'épaisseur totale est mobilisé grâce à une incision périostée apicale à la ligne muco-gingivale puis il est suturé en position cervicale de la 31. Une suture point par point est réalisée en position coronaire du lambeau. La cicatrisation a abouti au recouvrement de la récession, tel que le souhaitait la patiente en attendant le début du traitement orthodontique (fig. 3).

Après traitement de la parodontite, la patiente a souhaité, pour raisons personnelles, attendre plus longtemps que prévu pour commencer son traitement orthodontique. Ce n'est que 5 années plus tard que l'orthodontiste décide l'extraction de la 31 et de pratiquer un prélèvement en bloc (a minima) pour les besoins de l'histologie.

Section en bloc et préparation histologique

La patiente ayant donné son accord pour un prélèvement en bloc, il est réalisé uniquement dans la zone radiculaire initialement exposée (fig. 4). Pour prélever le parodonte vestibulaire de la zone de la récession, une section en bloc a été réalisée à la fraise à fissure. La pièce prélevée a été fixée, déminéralisée et traitée pour une étude en microscopie optique. Les coupes sériées ont subi une coloration trichromique de Masson.

Résultats

Résultats cliniques

Le recouvrement de la dénudation radiculaire était total et est resté stable pendant les 5 années ayant précédé le prélèvement en bloc. Les deux encoches sont restées enfouies sous la gencive qui ne montrait aucun signe d'inflammation (fig. 3). L'aspect initial de la récession et l'espace de 3 mm entre les deux encoches montrent que le recouvrement obtenu est de 4 mm de hauteur. La hauteur de gencive kératinisée est de 2 à 3 mm. Le gain d'attache clinique est de 3 mm.

Résultats histologiques

L'observation des coupes histologiques sériées montre que la migration épithéliale est stoppée au niveau coronaire de l'encoche la plus coronaire (fig. 5).

Le tissu conjonctif gingival est directement au contact de la partie radiculaire initialement exposée. Il envahit les encoches pratiquées 5 années auparavant, au moment de la chirurgie (fig. 6 et 7). Des sites de résorption sont présents sur la surface radiculaire. Ils sont petits, circonscrits et certains sont le siège d'une néoformation cémentaire (fig. 8 et 9). Celle-ci est discrète ou même absente sur le reste de la surface radiculaire exposée.

L'encoche coronaire est habitée de tissu conjonctif dont les fibres sont globalement parallèles à la surface radiculaire. Une fine couche de tissu cémentoïde est visible dans cette encoche (fig. 6).

L'encoche apicale avait été pratiquée au niveau de la crête osseuse. Une nouvelle attache conjonctive est visible: l'os supracrestal atteint le niveau de l'encoche. Dans l'encoche, une couche de tissu cémentoïde néoformé tapisse la paroi radiculaire. Entre le néocément et l'os néoformé, un réseau dense de fibres conjonctives est présent (fig. 7).

Discussion

Le lambeau pédiculé est indiqué lorsque le tissu kératinisé adjacent à la récession est suffisant pour recouvrir totalement la surface radiculaire exposée. Pour réaliser ce type de technique, il faut que le vestibule soit suffisamment profond et ne comporte pas de frein sur le site de prélèvement.

Selon Wennström et Zucchelli (1996), il peut y avoir une rétraction secondaire. Celle-ci est minimisée avec notre technique qui consiste à associer, dans le même temps, un greffon gingival sur le site de prélèvement. Ce cas confirme la bonne stabilité des résultats à long terme.

La comparaison du taux moyen de recouvrement des dénudations radiculaires avec le LPL et la RTG montre que ces techniques se valent: de 56 à 74 % pour le LPL (Caffesse et Guinard, 1980; Caffesse et al., 1987) et de 55 à 73 % pour la RTG (Tinti et al., 1992 ; Pini Prato et al., 1992). Il est toutefois à noter que les auteurs étudiant le LPL n'ont pas utilisé notre technique, associant une greffe gingivale sur le site de prélèvement, et donc ont obtenu une légère rétraction secondaire.

Selon De Sanctis et Zucchelli (1996) et Zucchelli et al. (1998), la RTG ne permet pas d'obtenir de meilleurs résultats que les techniques habituelles de chirurgie muco-gingivale et présente deux inconvénients: un coût élevé et la nécessité d'un deuxième temps chirurgical. De même, Leknes et al. (2005), dans une étude avec un suivi sur 6 ans, montrent que le lambeau positionné coronairement donne les mêmes résultats avec ou sans membranes résorbables. Par contre, l'intérêt de la RTG sur les autres techniques est le type de cicatrisation. La RTG permet d'obtenir une nouvelle attache, gage de stabilité à long terme des résultats. Certains auteurs (Abbas et al., 2003) préconisent l'utilisation de protéines dérivées de la matrice et obtiennent de l'émail (Emdogain®) un gain d'attache clinique. Rasperini et al. (2000) dans une étude en microscopie optique observent une nouvelle attache conjonctive après utilisation d'Emdogain® associé à une greffe de tissu conjonctif enfoui. D'autres auteurs comme Hägewald et al. (2002) ne font pas de différence entre chirurgie muco-gingivale avec ou sans Emdogain®. Les autres techniques aboutissent, selon les auteurs, à une attache épithéliale longue migrant jusqu'au niveau de la crête osseuse (Listgarten, 1976 ; Caton et Nyman, 1980 ; Nyman et al., 1981). Cependant, d'autres auteurs (Common et Mac Fall, 1983) avaient montré, après un LPL, la présence d'une apposition de néocément et une nouvelle attache conjonctive.

Dans une étude réalisée sur l'homme, nous avions déjà observé la cicatrisation à 5 mois d'un lambeau positionné latéralement (Mattout et al., 1987). Nos résultats étaient proches de ceux de Common et Mac Fall (1983), avec toutefois des différences de cicatrisation dans les encoches radiculaires selon que l'observation était faite au centre de l'encoche (nouvelle attache avec néocément) ou sur sa périphérie (épithélium jonctionnel long). L'attention était attirée sur la nécessité de coupes histologiques sériées pour observer la cicatrisation avec précision.

Dans le présent travail, une nouvelle attache est présente avec formation de néocément. Cette observation est en accord avec notre précédente étude et avec les résultats de Common et Mac Fall (1983), mais elle est en contradiction avec ceux de Listgarten (1976) et de Nyman et al. (1981). En fait, cette contradiction n'est que partielle car certains aspects de la cicatrisation observés par Nyman et al. (1981) sont présents. La surface radiculaire initialement exposée puis recouverte par le tissu conjonctif gingival subit des résorptions sur de petits sites. C'est dans ces lacunes de résorption qu'apparaissent des noyaux de formation de tissu cémentoïde.

Aucune migration épithéliale n'est notée sur le site de cicatrisation. Seuls des faisceaux de fibres conjonctives se sont agencés parallèlement à la surface radiculaire. Ces observations sont semblables à celles de Harris Randall (1999) obtenues 5 mois après greffe de tissu conjonctif enfoui. Il est intéressant de noter ici que la cicatrisation obtenue 5 ans après la chirurgie est une régénération qui, même si elle est incomplète (les fibres conjonctives restent globalement parallèles à la surface radiculaire), montre l'intérêt et la fiabilité du LPL dans le traitement des dénudations radiculaires, puisque la migration épithéliale est maîtrisée au niveau coronaire de la gencive marginale. La technique du LPL semble donc satisfaisante aussi bien sur le plan clinique qu'histologique.

Conclusion

La cicatrisation, telle qu'elle est généralement décrite par les auteurs après un LPL, ne peut être une nouvelle attache conjonctive. Il semble toutefois dans le travail présenté qu'une cicatrisation conjonctive soit possible sans qu'il y ait migration apicale de l'épithélium jonctionnel venant s'interposer entre le tissu conjonctif et la surface radiculaire. L'observation histologique réalisée ici est encourageante car elle confirme la stabilité d'un résultat clinique satisfaisant 5 années après un LPL.

Demande de tirés à part

P. MATTOUT : Groupe d'études en parodontologie et implantologie - 224 avenue du Prado - 13008 MARSEILLE - FRANCE. www.gepi-mattout.com

BIBLIOGRAPHIE

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