Traitement des urgences - JPIO n° 3 du 01/08/2005
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2005

 

Articles

P. LEMAÎTRE *   C. DE PORTZAMPARC **  


*UFR d'odontologie,
Nantes

Résumé

Les urgences parodontales nous amènent à intervenir efficacement et rapidement après un diagnostic précis. Elles peuvent être scindées en deux groupes: les urgences infectieuses et les urgences mécaniques. Parmi les premières, figurent les abcès gingivaux et parodontaux qui représentent le troisième motif de consultation des patients. Avant tout, il faut réaliser un diagnostic différentiel et, si possible, trouver à l'aide d'un questionnaire médical ciblé et un examen clinique minutieux la cause de l'infection. Ces abcès sont la plupart du temps traités par drainage (non chirurgical ou chirurgical), ensuite par élimination de la cause, si elle est connue, et enfin, seulement s'il existe des signes généraux (fièvre, malaise ou lymphadénopathie) et/ou un drainage incomplet, par une antibiothérapie. Le traitement étiologique sera commencé ou repris après l'acte d'urgence, une fois celle-ci passée.

Summary

Periodontal emergency induce us to effectively and rapidly operate after an accurate diagnosis. It is possible to divide periodontal emergencies into two parts: infectious and mechanical emergencies. Among the infectious emergencies, we shall first treat gingival and periodontal abscesses. These abscesses are the third consultation's reason. First of all, a differential diagnosis must be realised, and using a targeted medical questionnaire and a meticulous clinical examination, to find the cause of the infection. These abscesses will be treated by drainage (non surgical or surgical) after cause elimination and, only if there are general signs (fever, malaise, lympadenopathy) and/or incomplete drainage, by antibiotherapy. The etiologic treatment will be started or gone back after emergency treatment.

Key words

Periodontal treatment, emergency, abscess

Introduction

Selon Ackermann et Pompians-Miniac (1964) : « L'urgence en odontologie est la survenue d'un problème diagnostique et thérapeutique dont l'examen ne peut être différé et qui nécessite une décision immédiate. » D'après Robinson et al. (2000), les points cardinaux de l'urgence parodontale sont :

- la douleur, qui est le signe subjectif majeur ;

- le saignement, qui est le signe visible d'une lésion locale ou générale ;

- la découverte d'une tuméfaction ou d'une érosion gingivale d'apparition récente.

Nous pouvons classer les situations d'urgence en parodontologie en deux catégories :

- les situations d'urgence infectieuses comprenant :

• l'abcès gingival et parodontal,

• la gingivite ulcéro-nécrotique aiguë/parodontite ulcéro-nécrotique aiguë (GUNA/PUNA),

• la gingivostomatite herpétique aiguë,

• la péricoronarite ;

- les situations d'urgence mécaniques comprenant :

• les traumatismes autogènes,

• l'hypermobilité,

• la perte spontanée d'organe dentaire.

Situation d'urgence infectieuse

D'après Herrera et al. (2000), « l'abcès parodontal se situe parmi les urgences dentaires les plus fréquentes, occupant la troisième place ». Il représente le motif de consultation en urgence le plus courant en parodontologie, comme le soulignaient Genon et al. (1990).

Définition

Selon Herrera et al. (2000), l'abcès parodontal (fig. 1) se définit comme une lésion concernant le parodonte, se produisant durant une période limitée de temps, présentant des symptômes cliniques facilement identifiables et une accumulation localisée de pus (Carranza, 1986) située à l'intérieur du mur gingival d'une poche parodontale.

Facteurs de risque locaux parodontaux

D'après Herrera et al. (2000), on retrouve les abcès parodontaux surtout chez les patients présentant des problèmes parodontaux, mais on peut aussi en retrouver dans des sites n'ayant jamais présenté de poches parodontales.

Le développement d'un abcès parodontal dans les parodontites peut se produire à différentes étapes de l'infection :

- lors de l'exacerbation aiguë d'une parodontite non traitée ;

- pendant le traitement parodontal (détartrage-surfaçage incomplet) ;

- lors de parodontites réfractaires ;

- pendant la maintenance parodontale.

Les abcès parodontaux sont plus fréquemment rencontrés dans la zone de furcation des molaires, comme le soulignait Huan Xin Meng (1999), et peuvent constituer une raison principale d'extraction.

Facteurs de risque locaux non parodontaux

Les abcès parodontaux se produisant dans des sites n'ayant jamais présenté de problèmes parodontaux peuvent être causés par :

- l'inclusion d'objets étrangers dans le parodonte (fil dentaire, élastique orthodontique, bâtonnet interdentaire…) ; causés par des objets étrangers liés à des moyens d'hygiène, ils sont appelés « abcès d'hygiène orale ». D'après Huan Xin Meng (1999), en présence d'abcès parodontaux chez l'enfant, on peut suspecter l'introduction d'un corps étranger dans les tissus parodontaux préalablement sains;

- la perforation du mur dentaire par un instrument endodontique (Carranza, 1986) ;

- l'infection d'un kyste latéral ;

- des facteurs locaux affectant la morphologie de la racine pouvant prédisposer à la formation d'un abcès parodontal (une déchirure cémentaire cervicale, une résorption radiculaire externe, une dent invaginée ou fêlée…).

Facteurs généraux

Selon Huan Xin Meng (1999), les patients diabétiques ont une prédisposition aux abcès parodontaux aigus. Chez eux, les altérations systémiques peuvent avoir une influence significative sur la formation d'abcès parodontaux du fait d'une immunité cellulaire affaiblie, d'une réduction du chimiotactisme des leucocytes et de l'activité bactéricide. Ils présentent aussi des modifications vasculaires et une altération du métabolisme du collagène pouvant augmenter la susceptibilité à la formation d'abcès.

Diagnostic

Selon Herrera et al. (2000), le diagnostic de l'abcès parodontal est fondé sur :

- les symptômes révélés par le patient ;

- l'examen clinique ;

- les informations complémentaires recueillies lors de l'anamnèse médicale et dentaire ;

- l'examen radiographique.

Symptômes

Les symptômes souvent énoncés par le patient vont d'une légère gêne à une douleur sévère. Le patient peut également évoquer :

- une sensibilité au niveau de la gencive, à la palpation ;

- un « gonflement » ;

- une mobilité dentaire ;

- une halitose ;

- une suppuration soit spontanée, soit à la pression.

Anamnèse

L'interrogatoire du patient va permettre de mettre en évidence les facteurs associés au développement de l'abcès parodontal cités ci-dessus.

Les antécédents dentaires peuvent fournir des informations concernant les traitements parodontaux récents, les abcès parodontaux précédents, les traitements endodontiques.

D'après Michel (1997), l'anamnèse générale va renseigner sur l'état général du patient, les circonstances d'apparition de l'abcès parodontal ainsi que sur l'existence éventuelle de récidives.

Examen clinique

L'abcès parodontal apparaît comme une inflammation localisée, éventuellement associée à une tuméfaction gingivale. La gencive est rouge et œdémateuse, présentant une surface lisse et brillante.

Dans la majorité des cas, une pression digitale sur cette tuméfaction peut mettre en évidence la présence de pus. Celui-ci peut se drainer naturellement par une fistule dont on peut voir l'orifice au niveau de la muqueuse gingivale.

Cette inflammation peut être accompagnée d'une mobilité dentaire augmentée, voire d'un déplacement de la dent dans son alvéole, représentant une surcharge. Les tests de vitalité pulpaire sont positifs.

Certains signes généraux peuvent accompagner l'abcès parodontal tels que fièvre, adénopathies cervicales.

Examen radiographique

L'examen radiographique peut révéler une apparence normale du parodonte ou un certain degré de perte osseuse, d'élargissement de l'espace desmodontal, voire une perte osseuse très importante.

Comme le recommande Michel (1997), il faut noter :

- l'importance de l'alvéolyse ;

- les rapports de l'abcès avec les dents voisines ;

- la présomption d'atteinte endodontique en utilisant éventuellement des repères radio-opaques tels que des pointes de gutta.

Cet examen radiographique peut être d'une aide précieuse pour identifier l'étiologie de cet abcès parodontal.

Examens complémentaires

Dans des situations bien spécifiques, certains auteurs ont recommandé des outils diagnostiques supplémentaires pour exclure une origine endodontique (Herrera et al., 2000). Ainsi, l'examen microscopique à contraste de phase révèle un pourcentage élevé de spirochètes dans les abcès parodontaux.

Classification des abcès parodontaux

Herrera et al. (2000) ont relevé trois principaux critères de classification des abcès parodontaux.

Localisation

Il faut distinguer l'abcès parodontal de l'abcès gingival.

L'abcès gingival correspond à une tuméfaction localisée douloureuse affectant uniquement la gencive marginale et interdentaire. Le principal facteur étiologique dans son développement étant l'inclusion d'objets étrangers, il peut être présent sur un parodonte préalablement sain.

L'abcès parodontal présente les mêmes symptômes mais affecte les structures parodontales plus profondes, notamment les poches parodontales profondes, les zones de furcation des molaires (fig. 2), les défauts osseux verticaux. Ils sont généralement localisés sous la ligne de jonction muco-gingivale.

Évolution

Il faut aussi distinguer l'abcès parodontal aigu du chronique. Le premier présentera certains signes tels que :

- la douleur ;

- la sensibilité à la palpation ;

- la suppuration à la pression.

Le second présentera :

- une symptomatologie très peu présente, les lésions pourront même être asymptomatiques ;

- une fistule.

Un abcès localisé aigu peut devenir un abcès chronique quand le drainage est naturellement établi à travers une fistule ou le sulcus. La réciproque peut également se produire, un abcès chronique peut avoir une exacerbation aiguë.

Nombre

Il est possible de distinguer les abcès parodontaux simples des abcès parodontaux multiples.

Les premiers sont généralement liés à des facteurs locaux qui contribuent à la fermeture du drainage d'une poche parodontale. Les seconds (fig. 3) sont principalement présents chez les patients :

- diabétiques ;

- déficients médicalement ;

- non traités parodontalement après un traitement antibiotique systémique pour des raisons non buccales ;

- présentant des résorptions radiculaires externes multiples.

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel (fig. 4) de l'abcès parodontal devrait toujours être fait par rapport aux autres abcès de la bouche. En effet, ils peuvent présenter une apparence similaire et des symptômes identiques même si leurs étiologies sont différentes. Ainsi, il est possible de distinguer l'abcès parodontal :

- de l'abcès périapical ;

- du kyste périapical latéral ;

- de la fracture verticale radiculaire (fig. 3) ;

- de l'abcès endo-parodontal ;

- de l'infection postopératoire.

Le diagnostic différentiel s'effectuera à l'aide de signes et symptômes tels que :

- la vitalité pulpaire ;

- la présence de lésions carieuses le long de poches parodontales ;

- la localisation de l'abcès ;

- l'examen radiographique soigneux.

Traitement

D'après Herrera et al. (2000), le traitement de l'abcès parodontal aigu s'effectue généralement en deux étapes :

- la prise en charge de la lésion aiguë suivie ;

- le traitement approprié de la lésion originelle et/ou résiduelle.

Abcès gingival

Prise en charge de la lésion aiguë

Dans un premier temps, une anesthésie peut être nécessaire pour le confort du patient. Il faudra procéder à l'extraction du corps étranger par un débridement soigneux. Ensuite, un drainage de cet abcès à travers le sulcus par un détartrage-surfaçage en douceur à l'aide de curettes de Gracey permettra de libérer les symptômes aigus. Le traitement se terminera par une irrigation à l'eau saline chaude ou à l'aide d'une solution antiseptique à base de chlorhexidine.

Le praticien prescrira au patient une solution à base de chlorhexidine ou saline chaude à utiliser en bain de bouche trois fois par jour chez lui. Une semaine plus tard, le patient consulte le praticien pour qu'il constate la disparition des symptômes.

Évaluation des résultats

D'après Fedi et al. (2000), une fois le facteur irritant extrait et le drainage établi, les tissus reviennent à la normale sans traitement supplémentaire.

Abcès parodontal

Comme le soulignent Genon et Romagna-Genon (1999) : « Le tableau clinique d'une lésion abcédée est souvent critique, et il n'est guère possible d'énoncer un pronostic étayé pour le maintien de la dent. C'est donc le maintien palliatif qui est toujours proposé au patient au départ, dans un souci de précaution verbale. »

D'après Fedi et al. (2000), le traitement de l'abcès parodontal s'effectue en deux étapes.

Prise en charge des symptômes aigus

Le praticien effectuera d'abord une anesthésie locale. Le drainage de l'abcès sera le premier acte d'urgence qu'il réalisera car il permettra, en effet, l'évacuation du pus (donc une baisse de la pression) et la diminution de l'extrusion de la dent (donc une réduction de la gêne).

Le drainage sera réalisé par la poche dès que ce sera possible à l'aide d'une curette de Gracey. Si ce n'est pas possible, comme c'est souvent le cas lors de l'atteinte des furcations ou en présence de poches parodontales tortueuses, il s'effectuera alors par une incision externe au bistouri réalisée au niveau de la zone la plus fluctuante de l'abcès, de la partie apicale de cette zone au rebord gingival, puis un curetage prudent sera entrepris. La zone sera ensuite irriguée à l'aide d'une solution antiseptique à base de chlorhexidine.

Le praticien procédera ensuite à un enseignement et à une motivation à l'hygiène nécessaire au patient, puis il effectuera un détartrage localisé. Une contention temporaire pourra être nécessaire en cas d'hypermobilité gênante au niveau fonctionnel (aspect qui sera traité dans les cas d'urgences mécaniques) suivie de la suppression d'une éventuelle interférence occlusale. D'après Genon et al. (1990), « l'hypermobilité dentaire très souvent associée justifie une contention qui peut être réalisée en même temps que le traitement de l'abcès ».

Une prescription médicamenteuse pourra être nécessaire :

- l'administration d'antibiotiques est indiquée en présence de signes généraux importants tels que fièvre, malaise ou lymphadénopathies et/ou de drainage incomplet ; on prescrira alors de la spiramycine associée à du métronidazole (Rodogyl®) pendant 10 jours ou de la pénicilline ;

- des antalgiques, tels que le Doliprane®, à base de paracétamol ;

- des antiseptiques à base de chlorhexidine à utiliser en bains de bouche en rinçage biquotidien;

- une brosse à dent chirurgicale 7/100.

Traitement ultérieur

Une semaine plus tard le traitement définitif doit être entrepris : dès que les symptômes aigus ont diminué et avant que le stade chronique ne soit atteint, il visera l'élimination de la poche résiduelle. Il pourra se faire par surfaçage non chirurgical ou par chirurgie à lambeau. La contention rend possible l'acte chirurgical.

Complications

« Les complications et les suites comprennent les pertes dentaires et l'envahissement d'autres parties du corps par l'infection » (Herrera et al., 2000).

Demande de tirés à part

Philippe LEMAÎTRE : 1 rue Gresset - 44000 NANTES - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

  • Ackermann R, Pompians-Miniac L. L'urgence en odontologie. Paris : Masson et Prélat, 1964.
  • Carranza FA Jr. The role of the specialist periodontist. Int Dent J 1986;36:8-11.
  • Fedi PF, Vernino AR, Gray JL. The periodontic syllabus. Baltimore : Lippincott Williams Wilkins, 2000.
  • Genon P, Romagna-GenonC. Le traitement parodontal raisonné. Paris : Éditions CdP, 1999.
  • Genon P, Genon-Romagna C, Soudain D. Le traitement de l'abcès parodontal. Inf Dent 1990;42:4115-4122.
  • Herrera D, Roldan S, SanzM. The periodontal abscess : a review. J Clin Periodontol 2000;27:377-386.
  • Huan Xin Meng. Periodontal abscess. Ann Periodontol 1999;4:79-82.
  • Michel JF. Faire face à l'urgence en parodontologie. Rev Odonto Stomatol 1997;6:269-277.
  • Robinson JJ, Giraud O, Fieschi JM, Dos Santos S, TurlotteS. Urgences dentaires dans la pratique quotidienne. Encycl Med Chir (Odontologie) 2000;23-750-A-10, 8 p.