Reconstitution esthétique des dents antérieures dépulpées - Cahiers de Prothèse n° 113 du 01/03/2001
 

Les cahiers de prothèse n° 113 du 01/03/2001

 

Prothèse fixée

Frédéric Gombeaud  

MCU-PH
10, rue Léonce-Vieljeux
17000 La Rochelle

Résumé

La reconstitution esthétique des dents maxillaires antérieures dépulpées est conditionnée par leur délabrement corono-radiculaire. Celui-ci, lorsqu'il est important, nécessite parfois un tenon endo-canalaire pour assurer la rétention du matériau de restauration coronaire. Cette restauration doit assurer l'herméticité de la loge canalaire, mais aussi répondre par ses qualités mécaniques aux sollicitations occlusales. Le tenon, particulièrement sollicité, doit être choisi en fonction des risques de fissures ou de fractures éventuelles induites par les forces transmises au logement canalaire. Il est important de faire, parmi les différents tenons, un choix spécifique à chaque cas clinique. L'évolution technologique des matériaux esthétiques en céramique permet d'obtenir des résultats optimaux si les critères des préparations péri-coronaires sont respectés.

Summary

A esthetic reconstitution of the endodontically-treated fore teeth

The aesthetic reconstitution of the maxillary endodontically-treated fore teeth is conditioned by their post and core decay.

The latter, when important, requires sometimes an endo-canal post in order to ensure the retention of the coronary restoration material.

That restoration must ensure the hermetic aspect of the canal locus but also answer to occlusal promptings thanks to its mechanical qualities.

The post that is particularly solicited must be chosen according to the risks of fissures or possible fractures stemming from the forces transmitted to the canal locus. It is important to make a specific choice among the different posts for each clinical case. The technological evolution of aesthetic materials in ceramic enables to obtain optimal results if the criteria of the peri-coronary preparations are respected.

Key words

endodontically-treated teeth, fractures, new ceramic, post

La restauration des dents dépulpées du secteur antérieur maxillaire fait intervenir un grand nombre de paramètres. L'environnement esthétique de ce secteur ne peut être assuré que si le cadre parodontal est biologiquement sain. Ce préalable étant établi, ne seront considérés que les problèmes liés directement à la dent dépulpée : son délabrement corono-radiculaire, le choix prothétique et les possibilités d'assemblage qu'offrent le scellement ou le collage de ces restaurations.

L'étude statistique parue en 1996 [1] sur les restaurations des dents dépulpées est significative. Cette étude sur la pratique des chirurgiens-dentistes français précise que ceux-ci :

- posent une prothèse sur les dents dépulpées ;

- intègrent à cette dent un tenon radiculaire ;

- considèrent que l'inlay-core au niveau des monoradiculées est la technique de choix ;

- utilisent le scellement du tenon et de l'inlay-core par l'oxyphosphate de zinc.

L'évolution des connaissances et de la technologie des matériaux permet aujourd'hui de mieux préciser les indications et les possibilités mises à la disposition des praticiens pour améliorer les qualités esthétiques des dents dépulpées et les limites d'application des techniques employées.

Deux situations cliniques sont envisageables :

- la dent dépulpée n'est pas délabrée, mais les nuances chromatiques obtenues par le passage de la lumière sur les tissus durs dentaires ont perdu de leur intensité - un blanchiment de la dent peut être envisagé comme également une reconstitution coronaire prothétique ;

- la dent dépulpée est délabrée : suivant ce délabrement, une reconstitution coronaire ou corono-radiculaire doit être réalisée avant la restauration prothétique.

L'illusion d'une prothèse par rapport aux dents naturelles passe par un compromis entre les impératifs esthétiques et fonctionnels. L'expression « dentisterie esthétique » répond aux critères d'évolution des connaissances : celles-ci devraient permettre de préserver les qualités intrinsèques de la dent naturelle avec un matériau prothétique devant se rapprocher du contexte biomécanique de la dent vivante et de ses incidences esthétiques.

La dépulpation : facteur de fragilité de la dent ?

La dépulpation étant un acte irréversible, il est préférable, lors d'un délabrement coronaire sans incidence pathologique sur la pulpe, de préserver celle-ci. Cependant, certains délabrements coronaires imposent une dépulpation et la reconstitution de la couronne clinique. Se pose alors la question des propriétés biomécaniques de la dentine : suivant que la dent est vivante ou dépulpée, ces propriétés sont-elles différentes (tabl. I) ? L'évolution des connaissances sur les propriétés des tissus dentaires après dépulpation met en évidence le comportement de la dentine déshydratée face aux exigences cliniques des restaurations prothétiques [2-5].

Similitude des propriétés mécaniques entre dent pulpée et dent dépulpée

Les études de ces 10 dernières années sur la résistance de la dent aux contraintes de cisaillement incitent à penser que bien plus que l'acte de dépulpation, c'est la perte de substance dentinaire qui est, le plus souvent, à l'origine des fractures corono-radiculaires. Malgré la déshydratation relative de la dent dépulpée par rapport à la dent vivante, il semble qu'il n'y ait pas de modification des caractéristiques mécaniques et biologiques de la dentine [2].

En revanche, l'absence d'étanchéité de l'obturation endodontique et la reconstitution corono-radiculaire peuvent entraîner des phénomènes de corrosion intracanalaire [6] et expliquer la fragilité des dents anciennement traitées (fig. 1). L'herméticité du logement canalaire est impérative, non seulement pour des critères endodontiques (cf. le « Leakage ») [7], mais aussi dans le contexte biomécanique de la dent (fig. 2a et 2b).

Le comportement biomécanique de la dent dépulpée dépend de son délabrement coronaire. Que le délabrement soit minime ou impose une reconstitution corono-radiculaire, le choix du matériau de restauration doit répondre à des critères d'assemblage n'induisant pas un surcroît de fragilité.

Au niveau radiculaire, cette fragilité peut entraîner des fêlures ou des fractures : l'origine de celles-ci est en général due à la mise en place d'un tenon. Celui-ci doit être considéré comme une exception : il impose un choix dans sa forme, sa dimension et ses propriétés mécaniques (module d'élasticité) (tabl. II) qui doivent être proches de celles de la dentine (fig. 3a et 3b). Ces valeurs situées dans un ordre degrandeur dépendent, lors de la mastication et de parafonctions, de l'orientation des contraintes subies par le tenon dans son logement canalaire.

Inlay-core et délabrement coronaire

La restauration prothétique traitant un délabrement coronaire important impose très souvent la réalisation d'un inlay de reconstitution à tenon radiculaire. Cet ancrage fragilise la dent [12], mais assure la mise en place et la rétention de l'infrastructure prothétique. Celle-ci, en l'absence de substance dentinaire, transmet par le tenon les forces occlusales sur des zones de contrainte localisées, notamment au niveau cervical. Cette zone est particulièrement fragile pour les raisons suivantes :

- en regard des contraintes exercées, l'anatomie osseuse de l'environnement parodontal à ce niveau de la dent est de faible épaisseur par rapport à la structure de l'os alvéolaire du reste de la racine ;

- la destruction tissulaire après l'alésage canalaire fragilise les parois radiculaires ;

- de par la dépulpation plus ou moins ancienne, la dentine péricanalaire se trouve modifiée dans ses caractéristiques mécaniques [5, 12-14].

À ces incidences, s'ajoutent le module d'élasticité élevé des tenons métalliques et l'interférence du scellement ou du collage [13]. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, il est important de préserver en épaisseur, au niveau cervical, le maximum de tissu dentinaire [15].

Si la couronne clinique a disparu et qu'une élongation coronaire ne peut être envisagée, un sertissage périphérique de la partie cervicale semble mieux répartir les forces de flexion agissant sur les zones de contrainte et de cisaillement du collet anatomique. Bien que discutable pour certains auteurs [16], cette technique a donné des résultats répondant aux exigences cliniques (fig. 4a, 4b et 4c).

L'inlay-core coulé en alliage précieux ou en nickel chrome assure par son sertissage métallique :

- herméticité du logement canalaire ;

- rétention de l'infrastructure ;

- répartition du stress induit par les pressions occlusales [17] le long du tenon. Tout en respectant les 4 mm d'obturation apicale, le tenon doit être au moins aussi long que la partie extraradiculaire de l'inlay. Cela afin de répartir les contraintes le long de la racine et d'éviter que les charges occlusales se dispersent au niveau de la jonction corono-radiculaire dent/inlay-core.

Lorsque l'espace prothétique disponible est faible et l'occlusion serrée, la conception de la dent à tenon de type Richmond peut répondre aux critères précédents.

L'éventualité de pouvoir remplacer ultérieurement l'élément à vocation esthétique sans risque incite à préférer en général l'inlay-core à cette restauration monolytique. Néanmoins, compte tenu du module d'élasticité élevé des tenons métalliques, le « stress » transmis par le tenon au logement canalaire est préjudiciable à la résistance mécanique de la racine [17]. En revanche, les tenons en fibres de carbone ou de verre ont un module d'élasticité proche de celui de la dentine. La possibilité de clavetage de la supra-structure métallique et de collage du tenon pourrait permettre de pallier cet inconvénient. L'assemblage est en revanche difficile à réaliser. Pour ce type d'infrastructure métallique, l'interférence inesthétique du métal au niveau cervical impose le choix prothétique des céramo-métalliques, avec leurs relatives insuffisances esthétiques et biologiques [18].

Enfin, l'extraction était jusqu'alors l'issue fatale d'une racine fragilisée par un délabrement tissulaire interne important. Actuellement, quand il n'y a pas d'autre alternative thérapeutique, les matériaux adhésifs à la dentine permettent de reconstruire un logement canalaire. Le composite introduit dans le canal à la place de la substance dentinaire disparue est photopolymérisé à l'aide d'un tuteur transparent photoconducteur (Luminex®, Dentatus) qui guide et diffuse le rayon lumineux [19]. Après polymérisation, ce tenon guide est enlevé et détermine un logement canalaire à sa longueur et à sa forme. On peut ensuite adapter au choix un tenon normalisé pour réaliser, en méthode directe ou indirecte, la restauration de l'infrastructure corono-radiculaire (fig. 5a, 5b, 5c, 5d, 5e et 5f).

Le module d'élasticité du composite et des tenons (tabl. II) utilisés permet alors de répondre aux exigences biomécaniques de la dent.

Incidence de la lumière

La valeur esthétique d'une dent naturelle est déterminée par les épaisseurs d'émail et de dentine sur lesquelles la lumière se réfracte et se réfléchit. Ces épaisseurs variant du collet de la dent au bord libre présentent à travers la translucidité de l'émail des qualités optiques différentes (fig. 6a et 6b).

Mac Lean précisait que « l'émail dentaire naturel est notre meilleur matériau de restauration et sa destruction au nom d'une dentisterie esthétique ne devrait intervenir qu'après mûre réflexion ». Partant de ce principe, le blanchiment devrait permettre de conserver les qualités optiques de la substance organique dentinaire (fluorescence) et, d'autre part, l'opalescence générée par la substance minérale de l'émail.

En revanche, lors d'un délabrement coronaire ayant entraîné la dépulpation de la dent, le choix prothétique peut s'imposer. Au niveau du secteur maxillaire antérieur, les impératifs esthétiques doivent guider ce choix. De nos jours, les céramo-métalliques assurent encore un compromis équilibré entre l'esthétique et le fonctionnel. Cependant, l'absence d'armature métallique et l'amélioration des propriétés mécaniques des systèmes « tout céramique » orientent les conceptions prothétiques vers ce type de restauration aux qualités optiques évidentes (fig. 7a, 7b et 7c). Ces nouvelles céramiques favorisent le passage et la dispersion de la lumière tout en éliminant les problèmes de corrosion, d'allergie ou de bimétallisme.

De la vitrocéramique pressée ou coulée (Dicor® de Dentsply - De Trey, Empress d'Ivoclar-Vivadent, etc.) à la technique du Split Casting (In-Ceram de Vita) au système Procera® de Nobel Biocare, la mise en œuvre de ces matériaux impose tant au prothésiste qu'au praticien une grande rigueur technique. Cependant, la conception des préparations reste sensiblement la même que celle destinée à la couronne jacket traditionnelle.

Nouvelle céramique et préparation des dents du secteur maxillaire antérieur

Lors de la mastication, les forces d'application sur les dents de ce secteur sont de l'ordre de 30 kgf [20, 21]. Ces forces transmises par le matériau prothétique sur la dent au niveau cervical et axial s'exercent en compression et tension (fig. 8a et 8b) [22]. La répartition de ces forces sur les formes de contour de la préparation, ainsi que les impératifs esthétiques et technologiques de ces matériaux prothétiques imposent un épaulement :

- large ;

- périphérique ;

- à angle interne arrondi (fig. 9a et 9b).

La réduction de la dent lors de la préparation peut être facilitée par l'utilisation de clés en silicone (vestibulaire et linguale) réalisées au préalable. Ces principes de préparation doivent s'adapter aux nouveaux matériaux et aux variations cliniques dues aux formes anatomiques corono-radiculaires et aux délabrements de la dent dépulpée (fig. 10a, 10b, 11, 12 et 13).

L'environnement parodontal, déterminant quant à la situation de la limite cervicale, peut subir des modifications chirurgicales afin de s'adapter aux exigences esthétiques du secteur antérieur maxillaire.

Conclusion

Le mode de reconstitution de la dent dépulpée fait l'objet de nouvelles approches concernant l'indication ou non, pour l'infrastructure, d'inlay-core, de tenons non métalliques ou de matériaux à vocation esthétique. L'incidence esthétique des suprastructures peut désormais être prise en compte avec plus de sérénité grâce à l'apparition de nouvelles céramiques qui font bénéficier les différentes structures en présence de meilleures conditions d'exploitation de la lumière.

Sans avoir voulu être exhaustif, cet article s'est fixé comme objectif de donner au praticien quelques thèmes de réflexion pour le conduire à changer ses habitudes et faire bénéficier le patient de nouvelles données thérapeutiques.

Remerciements au Dr Philippe Monsenego pour son amicale participation et au laboratoire de prothèses Begaud-Gauthier - Force 11 (LaRochelle) pour l'aide apportée dans les réalisations prothétiques.

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