Économie tissulaire et préparations des ancrages corono-radiculaires - Cahiers de Prothèse n° 124 du 01/12/2003
 

Les cahiers de prothèse n° 124 du 01/12/2003

 

Prothèse fixée

Jean Geoffrion *   Michel Bartala **  


* Chirurgien-dentiste - DSO
Professeur 1er G.
38, rue Charles-Monselet
33000 Bordeaux
** Chirurgien-dentiste - DCD
Docteur des Universités - MCU-PH
17, place des Martyrs-de-la-Résistance
33000 Bordeaux

Résumé

Les dents, déjà affaiblies par la carie ou une fracture, risquent encore d'être fragilisées par les préparations coronaires et canalaires des RCR. Il est donc impératif de préserver un maximum de structure dentinaire et de répartir les contraintes radiculaires pour éviter le risque des fractures. Pour y parvenir, il faut respecter un cahier des charges strict :

- minimiser les préparations pour conserver des épaisseurs largement supérieures à 1 mm ;

- sélectionner des tenons de faible diamètre ;

- préférer les RCR foulées, réalisées avec des matériaux de reconstitution et des tenons renforcés par des fibres dont les modules d'élasticité sont proches de celui de la dentine ;

- utiliser les nouveaux matériaux de collage.

Si ces conditions sont remplies, la pérennité des prothèses est assurée.

Summary

Preservation of tooth structure and root canal preparation for post-core

The teeth already reduced by decay or fracture are likely still to be weakened by the coronary and root canal preparations for post and core reconstruction. It is thus imperative to preserve a maximum of dentinal structures and to distribute masticatory stress to avoid risks of fracture. For that purpose, it is necessary to respect strict specifications:

- minimize the preparations;

- preserve thicknesses largely higher than 1 mm;

- select post of low diameters;

- prefer resin-composite core and carbon-fiber post to which the modulus of elasticity is closed to that of the dentine;

- use new bonding materials.

If these conditions are met, the timelessness of the prostheses is assured.

Key words

bonding materials, methodology of the preparations for post and core, modulus of elasticity, root post

Une dent dépulpée, affaiblie par une lésion carieuse ou une fracture, doit le plus souvent être restaurée par un ancrage corono-radiculaire sur lequel viendra s'agréger une coiffe de recouvrement. Il est classique de diviser les reconstitutions corono-radiculaires (RCR) en deux grandes familles :

- les RCR métalliques coulées (fig. 1a) ;

- les RCR réalisées avec des matériaux foulés à l'état plastique (fig. 1b).

Quel que soit le procédé choisi, les RCR reposent sur un principe essentiel : « préserver le comportement physico-mécanique de l'organe auquel il est associé » [1].

Par rapport à la dent pulpée, l'expérimentation prouve que la dent dépulpée n'est pas plus fragile, son comportement biomécanique est sensiblement identique et sa perte en eau est limitée à 9 % de son volume. La fragilisation des dents dépulpées est liée au délabrement pathologique [2], associé à un forage excessif du logement canalaire destiné à recevoir le tenon. Ce dernier doit être serti par des parois radiculaires dont les épaisseurs ne sont pas inférieures à 1,2 mm. En deçà, le potentiel de fracture est très élevé.

Le cahier des charges des RCR répond à un double objectif :

- restaurer la portion coronaire absente ou lésée en conservant un maximum de structures dentaires résiduelles ;

- répartir les contraintes radiculaires en respectant des épaisseurs tissulaires aptes à résister aux forces occlusales transmises par le tenon [3].

En conséquence, le souci d'économie tissulaire se manifeste à trois niveaux :

- les préparations ;

- les matériaux de reconstitution ;

- les modes de jonction.

Le but de cet article est d'analyser, pour chacune de ces deux familles de reconstitution, les avantages et les inconvénients des techniques de préparation, des matériaux mis en œuvre et de leur mode de jonction. Économie tissulaire et résistance mécanique des reconstitutions sont les objectifs prioritaires des choix thérapeutiques proposés.

Préparations

Le respect des tissus concerne autant la préparation coronaire que la préparation canalaire.

Préparation du logement canalaire

Les tenons constituant la principale étiologie des fractures radiculaires d'origine prothétique, il est impératif de minimiser leurs rôles et leurs effets [4]. Pour y parvenir, quel que soit le type de RCR, il est possible d'intervenir sur plusieurs paramètres.

Diamètre

Partant du principe, démontré, qu'un diamètre important n'augmente pas la rétention mais, selon Tjan et Grand [5], fragilise la racine, il convient d'oublier la règle erronée des 2/3 cervicaux, car elle implique des tenons trop larges pour certaines parois du canal (fig. 2). Il faut tendre vers des diamètres compris entre 1 à 1,3 mm (à l'exception des incisives maxillaires et des canines, qualifiées de « racines fortes », qui peuvent supporter des diamètres plus conséquents). Cette épargne tissulaire ménage des épaisseurs radiculaires résistantes.

Longueur

Elle doit être la plus élevée possible pour répartir uniformément les contraintes radiculaires et assurer une rétention maximale. Ce postulat est cependant limité par certains critères cliniques :

• pour des racines rectilignes :

- il faut conserver 4 à 6 mm d'obturation endodontique pour assurer l'étanchéité apicale :

- elle doit être égale ou supérieure à la hauteur de la couronne clinique ;

- elle doit correspondre à la moitié de la hauteur osseuse (fig. 3) ;

- elle doit s'adapter à la morphologie radiculaire. Par exemple, sur une racine grêle, le forage doit être moins long que sur une racine « forte » (fig. 4a et b) ;

- cet impératif de longueur maximale est particulièrement indiqué dans les secteurs antérieurs, car le tenon joue un rôle biomécanique « important » (Gonthier et al.) ;

• pour des racines courbes : il ne faut jamais dépasser l'amorce de la courbure, car il existe un risque certain d'affaiblissement de la paroi, voire de perforation (fig. 5a et b).

Forme

Les tenons anatomiques et les systèmes normalisés constituent deux groupes distincts.

• Tenons anatomiques

Ils sont indiqués dans les racines ovalaires [6]. En épousant la morphologie de la racine après préparation « homothétique », ils offrent l'avantage d'éviter d'affaiblir la racine dans le sens mésio-distal et ils permettent d'exploiter toute la surface rétentive du canal (fig. 6a à c).

• Systèmes normalisés

Trois morphologies sont couramment décrites :

- les tenons coniques : indications limitées (racines coniques), car ils sont peu rétentifs et très mutilants à cause d'un diamètre qui croît très rapidement dès leur extrémité ;

- les tenons cylindriques : dangereux à cause de leurs angles aigus et de la mutilation tissulaire provoquée par leur partie apicale [7, 8]. Ils doivent être réservés aux seules racines « fortes » (fig. 7a et b) ;

- les tenons cylindro-coniques concilient rétention et respect tissulaire (fig. 4a et b).

L'économie tissulaire est favorisée par d'autres facteurs :

• Certaines préparations prohibées

Le forage des racines vestibulaires des molaires et prémolaires maxillaires [9] ainsi que les racines mésiales des molaires mandibulaires est inutile et aventureux compte tenu de leur morphologie hostile. De plus, l'orientation de ces « racines à haut risque » implique de claveter les tenons.

• Tenons verrous

Ils sont indiqués dans les canaux divergents. Cette divergence des axes, par voie de conséquence, accentue la rétention et la stabilisation de l'ancrage. Pourtant, ils doivent être obligatoirement éliminés de l'arsenal thérapeutique, car leur orientation oblique et l'absence, en règle générale, d'une concordance absolue entre les prolongements de l'axe du logement canalaire et celui du conduit réalisé dans l'épaisseur de la partie métallique de l'inlay-core suscitent une dysharmonie, cause de tensions internes sur la paroi radiculaire (fig. 8).

Préparations coronaire et camérale

RCR métalliques coulées

Dans bien des cas, elles occasionnent des délabrements sévères pour aboutir à des cavités coronaires et camérales d'une rigoureuse dépouille avec des parois d'au moins 1,5 mm d'épaisseur.

La perte tissulaire des volumes coronaires entraîne une diminution de l'effet rétentif qui doit être compensé par le tenon. Pour minimiser sensiblement le rôle et les conséquences de ce dernier, il faut trouver d'autres sources de rétention.

Par exemple, il est intéressant de profiter des cônes d'entrée larges et profonds des dents antérieures (fig. 9) et d'exploiter les cavités camérales et coronaires des dents postérieures. Ces cavités doivent présenter une dépouille a minima. Ce « double étage » procure une rétention efficace qui peut encore être accrue par le bénéfice de possibles appuis, tels les forages réalisés à l'entrée des canaux mésiaux et vestibulaires des racines interdites ou les classiques cannelures inscrites dans les épaisseurs des parois coronaires (fig. 10 et 11).

RCR par matériaux foulés

Les contre-dépouilles sont précieusement conservées. La gestuelle opératoire se borne à éliminer la dentine infiltrée et à supprimer les parois dont l'épaisseur est inférieure à 1 mm. L'invasion tissulaire est réduite au maximum tant en hauteur qu'en épaisseur (fig. 12a, 12b et 12c).

Matériaux de reconstitution

Leur objectif est de restaurer la portion coronaire absente pour assurer la rétention et la stabilisation de l'ancrage prothétique, tout en respectant le comportement biologique, physique et mécanique de la dent reconstituée.

Les matériaux de reconstitution dépendent du type de la RCR :

- métal (or platiné, semi-précieux ou nickel-chrome) pour les RCR métalliques ;

- composites hybrides (taux de charge élevé) pour les RCR foulées à l'état plastique.

Enfin, il faut rappeler que les dentines coronaires et radiculaires (ces dernières dans une moindre mesure) jouent un rôle essentiel dans l'absorption des contraintes et pressions occlusales grâce à leur module d'élasticité très bas (20 GPa).

RCR foulées

Ce sont celles qui respectent le mieux le cahier des charges précédemment formulé. En effet, les RCR foulées, en préservant d'une part plus de dentine coronaire résiduelle et, d'autre part, en utilisant un composite de reconstitution et des tenons renforcés par des fibres (carbone, quartz ou verre), dont les modules d'élasticité (16 à 40 GPa) sont très proches de celui de la dentine, offrent un système cohérent, capable d'amortir et d'assimiler les forces occlusales « en les répartissant au sein de la totalité de la structure dentaire » [3, 10, 11] (fig. 13a, 13b, 13c, 13d et 13e).

De plus, le collage des tenons avec un composite spécifique crée un joint de colle qui augmente « l'effet tampon ». Enfin, il existe entre les interfaces dentine, composite, tenon et colle une homogénéité du plus grand intérêt, absente dans les RCR métalliques coulées (fig. 14).

RCR métalliques coulées

Les délabrements coronaires provoqués par la mise de dépouille laissent subsister peu de dentine. Les volumes détruits sont remplacés par la masse métallique de l'inlay-core, dont malheureusement le module d'élasticité, variant de 290 à 600 GPa, est 10 à 30 fois supérieur à celui de la dentine (fig. 15a, 15b et 15c). La fonction d'élasticité dentinaire disparaît, tout ou partie, ce qui signifie que les capacités d'amortissement sont faibles voire nulles.

Les forces occlusales sont donc intégralement retransmises, par l'intermédiaire des tenons en métal dépourvus de toute capacité d'absorption, à la dentine radiculaire, elle-même affaiblie par le forage [3] (fig. 16 et 17).

Ces considérations confirment l'intérêt fondamental de minimiser la préparation des logements canalaires et d'utiliser les propriétés adhésives et rétentives des nouveaux matériaux de scellement et de collage pour éviter d'éventuelles fractures radiculaires.

Modes de jonction des RCR

Au cours de cette dernière décennie, les matériaux de jonction sont passés d'une rétention obtenue par un phénomène mécanique de microclavetage (ciments aux phosphates de zinc et polycarboxylates) à un processus de rétention adhésive grâce aux propriétés chimiques de nouveaux matériaux.

Ces derniers procurent une rétention trois fois supérieure à celle d'un ciment conventionnel grâce à leurs liaisons chimiques avec les tissus dentaires, mais aussi avec la matrice d'époxy dans laquelle sont noyés les tenons fibrés [12, 13]. Cette faculté d'adhésion permet de résoudre le problème des cavités coronaires de faible hauteur, des tenons courts et, par voie de conséquence, de condamner définitivement les obsolètes tenons clavetés.

Ces nouvelles structures appartiennent à différentes familles chimiques :

- ciments verres ionomères modifiés par de la résine (CVIM - Fuji Plus® de GC...) ;

- résines adhésives non chargées (Super-Bond® de Morita, Panavia F® de Kuraray...) ;

- composites de collage (Bisico, Kerr, 3M...) ;

- RelyXTM Unicem (3M Espe), nouveau produit qui semble réunir les avantages du collage et du scellement.

La potentialité rétentive de ces nouveaux matériaux a remplacé le concept du tenon actif par celui du tenon passif.

Avec les oxyphosphates, il faut mettre « en forme le canal pour que le tenon s'adapte avec une friction douce ». Les structures d'appuis d'un tenon actif sont susceptibles de créer des tensions ponctuelles, source d'éventuelles fractures radiculaires (fig. 17).

Un tenon est dit passif lorsque son diamètre est nettement sous-dimensionné par rapport au logement canalaire.

Les CVIM, les résines non chargées ou les composites de collage tolèrent ces joints épais qui jouent un rôle d'amortisseur. En outre, ce large espacement, en facilitant l'évacuation du matériau de collage lors du scellement, évite les pressions sur les parois radiculaires (Gonthier et al.). Cette argumentation doit inciter le praticien à orienter ses choix thérapeutiques vers les RCR foulées en tenant compte, bien entendu, de la faiblesse de leurs qualités mécaniques et de leur capacité limitée à s'opposer, dans certains cas cliniques défavorables, au descellement de l'ancrage prothétique. Elles sont donc conseillées dans les situations cliniques suivantes (fig. 18a et 18b) :

- portions coronaires peu ou moyennement délabrées et hautes ;

- occlusion favorable ;

- parallélisme favorable ;

- rapport couronne clinique/racine clinique inversé.

Dans toutes les autres conjonctures, en dépit de leurs inconvénients, les RCR métalliques coulées sont préférables (fig. 19a et 19b) :

- portion coronaire absente ou très affaiblie ;

- occlusion défavorable ;

- besoin de rétention ;

- rapport couronne clinique/racine clinique normal ;

- bridges étendus ;

- impératifs de parallélisme.

Le choix entre ces deux procédés ne doit en aucun cas reposer sur des convenances personnelles et encore moins sur des avantages financiers. La décision découle d'une analyse logique dictée par les paramètres cliniques et les qualités physico-mécaniques, rétentives et biologiques des matériaux de reconstitution.

Conclusion

Bien que la réalisation des RCR soit un acte quotidien et répétitif, elle peut cependant, par la présence des tenons radiculaires, constituer un réel danger pour la pérennité de la dent. Pour limiter les risques, à défaut de les éliminer, il est impératif de tendre vers un maximum d'économie tissulaire tant au niveau des préparations coronaires que des logements canalaires. Ce afin de conserver des épaisseurs capables de résister aux stress occlusaux et de sélectionner des matériaux de reconstitutions et de jonction aptes à respecter la physiologie dentinaire.

bibliographie

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