Distribution familiale des parodontites à début précoce - JPIO n° 4 du 01/11/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/1998

 

Articles

Nadia KHLIL *   Amal EL GENDI **   Alain DANIEL ***  


*Service de Parodontologie,
Faculté de Médecine dentaire de Casablanca
**Service de Parodontologie,
Faculté de Médecine dentaire de Casablanca
***Service de Parodontologie,
Faculté de Médecine dentaire de Nantes

Résumé

La distribution familiale des parodontites à début précoce (PDP) a été rapportée par de nombreux auteurs, une influence génétique possible sur cette maladie a alors été proposée. Toutefois, l'identification claire d'un mode unique de transmission n'est à l'heure actuelle pas possible.

L'objectif de cette étude est de tenter d'élucider les bases génétiques des PDP par le biais d'analyses des fratries chez des familles marocaines.

Dans cette étude préliminaire, 27 familles ont été incluses, des données cliniques et radiologiques concernant 200 individus ont, ainsi, été disponibles.

Les résultats confirment la plus forte prévalence des PDP chez les filles par rapport aux garçons (1, 9/1), et révèlent 3 cas de transmission père-fils en ce qui concerne la Parodontite Juvénile Généralisée. Le pourcentage d'atteints au sein d'une fratrie est de 54,6 %.

Ces données semblent plus en faveur d'une transmission autosomale dominante des PDP.

Summary

Familial distribution of Early Onset Periodontitis (EOP) has been reported by many authors, and a possible genetic control of this disease has been proposed. Nevertheless a single mode of inheritance has not, so far, been clearly identified.

The purpose of this study is to contribute to the elucidation of the genetic basis of the EOP by performing pedigree analysis in Morrocan families.

In this preliminary study, 27 Morrocan families were included. Clinical and radiological data were available on 200 individuals.

The results confirm the greater prevalence of EOP in female (1. 9:1) and reveal 3 cases of father to son transmission (Generalized Juvenile Periodontitis). The percentage of siblings affected with EOP is 54.6 %

These data seem to support autosomal dominant transmission of EOP.

Key words

Early Onset Periodontitis, heredity

Introduction

En 1989, l'Académie Américaine de Parodontologie (AAP) distingue un groupe particulier de parodontites dénommé : les Parodontites à Début Précoce (PDP).Ce groupe comprend les Parodontites Prépubertaires Localisées et Généralisées (PPL et PPG), les Parodontites Juvéniles Localisées et Généralisées (PJL et PJG) et les Parodontites à Progression Rapide (PPR). Ces PDP sont caractérisées par leur survenue à un âge jeune (< 35 ans), et par une destruction sévère et rapide des tissus parodontaux. Cette destruction est, le plus souvent, sans rapport avec la quantité minime de dépôts bactériens. Un défaut au niveau des défenses immunitaires peut être retrouvé (AAP, 1989).

Le risque de développer une PDP n'est pas le même pour tous les sujets. La majorité des études estiment la prévalence de la parodontite juvénile, essentiellement, en dessous de 1 % (Papapanou, 1996).Aux Etats-Unis, elle est estimée à 0,2 % pour les sujets de race blanche et à 2,4 % pour ceux de race noire (5 à 17 ans) (Lée et Brown, 1991). Au Maroc, ces valeurs semblent largement dépassées (enquête nationale en cours).

Des études familiales ont révélé que la prévalence des PDP est très élevée au sein de certaines familles. Quand un individu est diagnostiqué positif, le risque d'atteinte chez la fratrie est très supérieur à la prévalence retrouvée au sein de la population. Le pourcentage de sujets atteints peut avoisiner 40 à 50 % (Hart, 1996).

Cette distribution familiale des PDP suggére que des facteurs génétiques semblent jouer un rôle prépondérant dans la susceptibilité à la maladie (Saxen, 1980 ; Marazita et coll., 1994). Les différentes recherches, dans ce domaine, ont porté sur trois points principaux : le respect de la loi mendélienne de l'hérédité, l'association à un locus d'un chromosome spécifique et enfin la présence de marqueurs génétiques (HLA et groupe sanguin).

Les études sur la loi mendélienne de l'hérédité sont nombreuses et contradictoires. En effet, le mode de transmission serait, pour certains auteurs, dominant associé au chromosome X (Melnick et coll., 1976 ; Fretwell et coll., 1982). Pour d'autres, il serait autosomal récessif (Saxen, 1980 ; Long et coll., 1987). Selon Boughman et coll. (1986), enfin, le mode de transmission serait autosomal dominant.

La présence de biais, le manque de participation de certains membres des familles affectées, surtout les sujets de sexe masculin, et le manque de données précises quant à l'âge de survenue des lésions expliqueraient peut-être l'hétérogénéité des différents résultats (Novak et Novak, 1996).

L'objectif de cette étude est de tenter d'évaluer l'importance du facteur génétique dans la prévalence des PDP au sein de familles marocaines.

Matériel et méthode

Dans cette étude préliminaire, 27 individus appartenant à des familles différentes ont été recrutés. Ces individus étaient venus consulter pour des pathologies parodontales dans le cadre du service de Parodontologie du Centre de Consultations et de Traitements Dentaires (CCTD) de Casablanca. Dès qu'un individu est diagnostiqué positif pour une PDP, essentiellement Parodontite Juvénile (PJ) Localisée (L) ou Généralisée (G), les autres membres de la famille sont sollicités pour participer à l'étude. Tous les patients ont été examinés au Centre de Consultations et de Traitements Dentaires de Casablanca. Pour poser le diagnostic de Parodontite Juvénile Localisée (PJL) (Boughman et coll., 1988 ; Gunsolley et coll., 1990), le sujet doit être âgé de 35 ans au plus, avoir au minimum 5 mm de perte d'attache sur au moins 3 dents, dont 2 premières molaires permanentes et/ou incisives. Les lésions ne peuvent pas toucher, par ailleurs plus de 2 autres dents pour les PJL. En cas contraire, le diagnostic de Parodontite Juvénile Généralisée (PJG) est avancé. Le diagnostic de Parodontite à Progression Rapide (PPR) se posera également pour tout sujet âgé de 35 ans au plus, mais dans ce cas, la perte d'attache est généralisée sans que l'atteinte des premières molaires et des incisives soit prédominante par rapport à celle des autres dents.

Pour chaque sujet diagnostiqué, nous disposons d'un bilan clinique (état de la denture, indices parodontaux et perte d'attache) et d'un bilan radiologique (long cône). Pour les autres membres de la famille, un examen clinique complet est réalisé, puis 4 radiographies sont prises (2 bite-wings + 2 rétroalvéolaires antérieures supérieures et inférieures). Un interrogatoire est également rempli pour chaque famille.

A partir des 27 familles, des données concernant 200 individus ont pu ainsi être rassemblées.

Résultats

1. Sur les 27 familles identifiées (tableau I), seules 5 ont été recrutées à partir de sujets de sexe masculin âgés entre 22 et 27 ans (moyenne d'âge : 24,5 ans ± 2,5). Les filles sont âgées entre 16 et 27 ans (moyenne d'âge : 21,6 ± 4).

2. En ne tenant pas compte des 27 premiers sujets recrutés, comme le préconisent Vogel et Motulsky en 1986, le nombre de sujets de sexe féminin atteints est presque 2 fois plus important que celui de sexe masculin (rapport filles/garçons : 1,91/1). L'âge des frères touchés varie de 15 à 30 ans, la moyenne est de 21,4 ans.

3. La distribution des pathologies parodontales au sein des différents membres de la famille est reportée dans le (tableau II).

Parmi les sujets de sexe masculin atteints, 3 cas révèlent une atteinte paternelle avec édentation précoce pour cause de pathologie parodontale (très vraisemblablement PDP). Ce fait suggère qu'il s'agit de 3 cas de transmission père-fils. La possibilité d'une hérédité dominante liée au chromosome X serait donc, dans ces situations, éliminée.

Dans le cas des familles 19, 26 et 27, nous avons des cas de transmission père-fille, ce qui éliminerait également la possibilité d'une transmission liée au chromosome Y.

Sur les 27 parents, nous constatons que seuls 7 pères et 6 mères ont été édentés jeunes pour des pathologie parodontales. Le pourcentage d'atteinte au sein de la fratrie, par contre, avoisine 54,5 % (fig. 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b, 5a, 5b, 6a et 6b).

Une observation est cependant importante à noter : dans 3 cas, le père présente une Parodontite de l'Adulte mais la sœur paternelle, par contre, a été édentée jeune pour pathologie parodontale (PDP).

Discussion

Depuis Melnick et coll. (1976), de nombreux travaux résultant d'études familiales rapportent que la parodontite juvénile présente une transmission liée au chromosome X. Les familles touchées sont recrutées à partir d'un individu PDP positif. Les femmes ayant plus tendance à consulter que les hommes, cette méthode de recrutement introduit un biais (Vogel et Motulsky, 1986).Il convient donc d'exclure les sujets souches de l'analyse des données (Hart et coll., 1992) car leur inclusion joue en faveur de la théorie d'une transmission dominante liée au chromosome X. Il semble donc prudent de revoir cette hypothése. Deux observations, en particulier, doivent être réexaminées : prédominance de l'atteinte des filles par rapport aux garçons et absence de cas de transmission père-fils.

Prédominance de l'atteinte des sujets de sexe féminin

De nombreux travaux ont rapporté une prédominance de l'atteinte des sujets de sexe féminin. Le rapport varie de 2/1 (Barnett et coll., 1982) à 10/1 (Miller et coll., 1941).Le point commun entre ces études est que les familles sont toutes identifiées de la même façon avec le biais mentionné précédemment.

Dans cette étude, même sans tenir compte des premiers sujets examinés, nous retrouvons 2 fois plus de filles que de garçons atteints.

La moyenne d'âge des sujets de sexe féminin (22 sujets) identifiés en premier lieu comme PDP positif est relativement inférieure à celle des garçons (5 sujets) (21,6 ans/24,5 ans). Ceci laisse supposer que les filles sont touchées de façon plus précoce par rapport aux garçons, ce qui pourrait expliquer une prévalence plus élevée des sujets de sexe féminin atteints dans la même tranche d'âge. Cependant, en considérant la moyenne d'âge au sein de la fratrie, nous ne constatons pas de différence entre les deux sexes (21,5 ans).

Transmission père-fils

Dans 3 familles, les données de cette étude montrent une transmission père-fils en ce qui concerne la parodontite juvénile généralisée. L'absence de ce genre de transmission rapportée dans la littérature serait due, selon Hart et coll. (1992), à un manque de données concernant les sujets de sexe masculin, surtout les pères. Ceci annulerait l'hypothèse selon laquelle la maladie serait transmise par le chromosome X.

Pour Hart et coll. (1992), l'hypothèse d'une transmission liée au chromosome X ayant été citée à maintes reprises dans la littérature, notre perception de la maladie en est probablement influencée.

Par ailleurs, la probabilité d'atteinte chez la fratrie étant proche de 60 %, ceci réfuterait également l'hypothèse selon laquelle la transmission se ferait selon le mode récessif autosomal, mécanisme avancé par des auteurs tels Saxen (1980) et Long et coll. (1987).

Les résultats de cette étude semblent, donc, plus en faveur d'une transmission autosomale dominante, le nombre relativement bas de parents atteints s'expliquant par une pénétrance réduite.

En 1994, Marazita et coll. ont mené une étude portant sur 100 familles touchées par les PDP, la plupart étant de race noire. A l'issue d'une analyse de ségrégation, ils ont trouvé que le modèle autosomal dominant était celui qui convenait le mieux parmi les modèles testés. Ces mêmes auteurs conseillent de ne pas extrapoler les résultats de leur étude à d'autres populations.

Sachant l'hétérogénéité probable des PDP, il est possible que le modèle récessif et celui lié au chromosome X existent ; cependant de nombreuses études américaines supportent le modèle autosomal dominant (Hart, 1996).

Dans notre travail, nous avons essayé de comprendre le rôle du facteur génétique dans la transmission des PDP, ceci n'excluant pas pour autant les facteurs environnementaux, bactériens entre autres, qui jouent un rôle important dans l'expression phénotypique des PDP. En effet, et à titre d'exemple, Actinobacillus actinomycetemcomitans (Aa) est le pathogène le plus fréquemment incriminé dans les PJL (Zambon, 1985).Il peut être présent chez des individus " sains " mais, en fonction de la sous-espèce rencontrée, sa virulence diffère (Asikainen et coll., 1991).

Zambon et coll., en 1983, démontrent qu'au sein d'une même famille touchée par les PDP, le même biotype et le même sérotype de Aa est retrouvé. La possibilité d'une infection intra-familiale est, donc, envisageable (Zambon et coll., 1996). Slots et coll. (1990) ont noté que cette infection semblerait survenir chez les individus en bas âge.

Quoiqu'il en soit, les PDP demeurent un groupe hétérogène de maladies parodontales. Le contrôle génétique de la réponse de l'hôte à l'infection serait sous la dépendance de plusieurs gènes (Malo et Skamene, 1994). L'identification de ces gènes permettra le développement d'un système de classification, de diagnostic et de traitement spécifique plus satisfaisant de chaque type de PDP, sans oublier l'importance qu'apporteraient ces résultats quant aux mesures préventives à mettre en œuvre pour les familles atteintes.

Nous tenons à remercier vivement madame le Professeur J.Kissa, Chef du Service de Parodontologie de la Faculté de Médecine dentaire de Casablanca, pour avoir permis l'accès aux dossiers des malades.

Demande de tirés à part

A. DANIEL, Service de Parodontologie, Faculté de chirurgie dentaire, Place Alexis-Ricordeau, 44000 NANTES - FRANCE

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