Aménagement rationnel des muqueuses péri-implantaires - JPIO n° 2 du 01/05/1999
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/1999

 

Articles

Jean-Louis GIOVANNOLI  

Paris

Introduction

Bien que le système d'ancrage d'un implant ostéointégré soit, par définition, différent du système d'attache d'une dent naturelle, les analogies établies entre les muqueuses péri-implantaires et les tissus parodontaux superficiels sont suffisamment nombreuses pour considérer que les conditions du maintien d'une bonne santé péri-implantaire sont les mêmes que celles du parodonte. Ces analogies concernent autant la nature des tissus mous que...


Résumé

De nombreuses études expérimentales ont permis de mettre en évidence les analogies qui existent entre la nature du parodonte superficiel et celle des tissus mous péri-implantaires, entre l'étiopathogénie des maladies parodontales et celle des maladies péri-mplantaires. A partir de l'expérience clinique acquise en parodontie, il est possible de développer une approche rationnelle des problèmes muqueux péri-implantaires, afin d'augmenter la fiabilité dans le temps des implants en facilitant le maintien d'une bonne santé tissulaire.

Introduction

Bien que le système d'ancrage d'un implant ostéointégré soit, par définition, différent du système d'attache d'une dent naturelle, les analogies établies entre les muqueuses péri-implantaires et les tissus parodontaux superficiels sont suffisamment nombreuses pour considérer que les conditions du maintien d'une bonne santé péri-implantaire sont les mêmes que celles du parodonte. Ces analogies concernent autant la nature des tissus mous que l'étiopathogénie des maladies inflammatoires d'origine infectieuse qui, progressant en direction apicale, peuvent compromettre l'avenir d'un implant en fonction comme la conservation d'une dent.

Le but de cet article est d'analyser ces analogies et de proposer, à partir de l'expérience acquise en parodontie, une approche rationnelle des problèmes muqueux péri-implantaires.

Nature des muqueuses péri-implantaires

La nature des tissus mous qui entourent le pilier d'un implant ostéointégré en titane a fait l'objet de plusieurs analyses histologiques chez l'homme et chez l'animal.

Dans une étude préliminaire chez le chien, Berglundh et al. (1991) ont cherché à comparer les structures de la muqueuse péri-implantaire à celles de la gencive.

Ces auteurs ont démontré que les deux tissus présentent des caractères microscopiques communs. Ils sont tous deux bordés d'un épithélium kératinisé en continuité avec un épithélium de jonction d'environ 2 mm de long. Cet épithélium de jonction est lui-même séparé de l'os alvéolaire par une zone de tissu conjonctif d'environ 1 mm.

La principale différence concerne la composition de ce tissu conjonctif supra-crestal.

Le conjonctif péri-implantaire se rapproche plus de celui d'un tissu cicatriciel car il est moins vascularisé, moins riche en fibroblastes et plus riche en collagène. La grande différence concerne l'orientation des fibres de collagène qui, au lieu d'être insérées perpendiculairement au cément, sont dirigées parallèlement à la surface de titane. D'autres études qui comparent la cicatrisation des tissus mous en fonction des états de surface des piliers implantaires et des modes opératoires en deux temps ou un temps (Abrahamsson et al., 1996, 1997) ont montré que la présence de ce système d'attache au titane comprenant un épithélium de jonction et une zone de tissu conjonctif est une constante qui peut servir de protection à l'ostéointégration.

La mesure dimensionnelle de ce système d'attache muqueux péri-implantaire a fait l'objet d'une autre étude chez le chien (Berglundh et Lindhe, 1996) dont les conclusions ne sont pas sans rappeler la notion d'espace biologique incompressible couramment répandue en parodontie (Gargiulo et al., 1961). D'après cette étude, l'espace biologique péri-implantaire est d'environ 3 mm. Quand cet espace n'est pas respecté au moment de la mise en fonction de l'implant, une résorption osseuse se produit après six mois de cicatrisation.

Rôle des muqueuses péri-implantaires

Les échecs implantaires secondaires qui concernent les implants ostéointégrés en fonction sont dus soit à une infection marginale, soit à une surcharge biomécanique, soit à une combinaison des deux (Tonetti et Schmid, 1994).

Le terme de mucosite a été proposé pour définir la réaction inflammatoire réversible des tissus mous péri-implantaires, et le terme de péri-implantite pour définir le processus infectieux qui entraîne une atteinte osseuse progressant en direction apicale autour d'un implant en fonction.

De nombreuses études expérimentales ont cherché à établir un parallèle entre ces maladies péri-implantaires et les maladies parodontales.

Dans une étude chez le chien, Berglundh et al. (1992) ont montré, en comparant les infiltrats inflammatoires présents, que la réponse initiale de l'hôte à l'accumulation de plaque bactérienne est la même autour des implants et des dents.

Pour confirmer le rôle étiologique de la plaque bactérienne dans l'altération des tissus mous péri-implantaires chez l'homme, Pontoriero et al. (1994) ont repris le protocole de la gingivite expérimentale de Löe et al. (1965).

Toujours chez le chien, en utilisant des ligatures comme dans un protocole de parodontite expérimentale, Lindhe et al. (1992) ont montré que pour une même exposition à l'infection, les signes cliniques et radiographiques de destruction tissulaire sont plus prononcés autour des implants qu'autour des dents, et que la lésion s'étend jusqu'à l'os médullaire autour des implants alors qu'autour des dents, des fibres desmodontales intactes séparent l'os de l'environnement sous-gingival.

L'interprétation clinique de ces études expérimentales nous incite aujourd'hui à considérer que le succès des traitements implantaires passe, comme en parodontie, par un contrôle efficace de la plaque bactérienne, lui-même facilité par un environnement tissulaire adapté.

Aucune donnée scientifique ne permet d'affirmer que la hauteur de muqueuse kératinisée péri-implantaire influence le pronostic des implants ostéointégrés (Schou et al., 1992). En se rapportant aux études rétrospectives à long terme les plus classiques, on peut même considérer que la présence de tissu kératinisé n'est pas nécessaire au maintien des implants en fonction (Adell et al., 1981 ; Albrektsson et al., 1986).

Dans une évaluation clinique de l'état de santé des tissus mous autour de 141 implants de Brånemark en fonction, Wennström et al. (1994) ont montré que la présence de muqueuse kératinisée n'influence pas le contrôle de plaque et la présence d'inflammation déterminée par un saignement au sondage (fig. 1). Les conclusions de cette étude rappellent celles des études réalisées en parodontie sur le rôle que joue la gencive kératinisée dans le maintien d'une bonne santé marginale (Lang et Löe, 1972 ; Wennström, 1987).

Néanmoins la multiplication des indications d'implant dans le traitement des édentement partiels et la nécessité, dans un but esthétique, de ne pas laisser paraître des limites prothétiques en titane peuvent remettre en question ces principes et justifier la nécessité d'augmenter la hauteur de muqueuse kératinisée. En effet, nous savons que les conséquences cliniques d'une inflammation due à la présence d'une restauration prothétique ne sont pas les mêmes selon la nature des tissus marginaux. Dans une étude chez le chien, Wennström et Lindhe (1983) ont montré qu'autour des dents, l'inflammation due à l'accumulation de plaque induisait une hyperplasie en présence de gencive kératinisée et une récession en l'absence de gencive. Cliniquement, une réaction hyperplasique risque moins de compromettre un résultat esthétique et paraît plus réversible qu'une récession qui évolue vers une atteinte des tissus profonds.

Dans une étude chez le singe, utilisant un protocole de péri-implantite expérimentale, Warrer et al. (1995) ont montré que l'absence de muqueuse kératinisée autour des implants augmentait la susceptibilité des tissus péri-implantaires en induisant des récessions et des pertes d'attache. Selon Listgarten et al. (1992), la mise en place d'implants dans une zone de muqueuse mobile non kératinisée peut, d'une part, influencer l'orientation des fibres de collagène contenues dans le conjonctif supra-crestal et, d'autre part, favoriser une rupture de l'attache épithéliale péri-implantaire.

La nécessité de garantir une bonne stabilité des limites marginales de muqueuse nous incite donc, en implantologie comme en dentisterie conventionnelle, à préférer la présence d'une hauteur suffisante de muqueuse kératinisée. Mais pour jouer efficacement son rôle de barrière stable, cette muqueuse kératinisée doit être attachée à l'os sous-jacent. L'expérience clinique montre que les sites qui conjuguent une absence de muqueuse kératinisée à la présence d'une déhiscence osseuse péri-implantaire sont particulièrement fragiles et favorisent l'apparition rapide de récessions muqueuses.

De façon empirique et en se référant aux principes énoncés en chirurgie parodontale préprothétique (Maynard et Wilson, 1979), on peut considérer que la situation clinique idéale est celle qui présente une hauteur de muqueuse kératinisée péri-implantaire d'au moins 5 mm, assurant 3 mm de muqueuse attachée et 2 mm de muqueuse libre.

Augmentation de la hauteur de muqueuse kératinisée

Les techniques chirurgicales d'augmentation de la hauteur de muqueuse kératinisée attachée sont indiquées autour des implants pour garantir une bonne stabilité des limites marginales et écarter ainsi tout risque de récession ou de perte d'attache (fig. 2 et 2b).

Ces techniques peuvent être aussi utiles pour améliorer des conditions anatomiques défavorables, pour supprimer des tractions frénales ou approfondir un vestibule, toujours dans le but de favoriser le contrôle de plaque et d'éliminer ainsi le risque d'inflammation marginale.

Le manque de muqueuse kératinisée peut néanmoins être prévenu, dans la plupart des cas, par un choix judicieux des traits d'incision au stade de l'implantation ou même par une préparation préalable du site opératoire par greffe gingivale.

Pour les implants enfouis, utilisant une technique en deux temps opératoires, la nécessité de prolonger l'enfouissement pendant toute la phase d'ostéointégration provoque souvent une réduction de la profondeur vestibulaire et l'apparition de tractions tissulaires avec un manque de muqueuse kératinisée.

L'aménagement des tissus mous péri-implantaires se fait au deuxième temps opératoire, au moment de la mise en fonction. Là encore, le choix des traits d'incision est déterminant et le souci de préserver une quantité suffisante de muqueuse kératinisée tout autour de l'implant doit être constant.

La technique du lambeau d'épaisseur partielle positionné apicalement peut être utilisée efficacement au moment de la mise en fonction des implants, à condition de disposer in situ des tissus nécessaires (fig. 3, 3b, 3c, 3d et 3e).

Dans les cas les plus défavorables, la technique de greffe gingivale avec prélèvement au palais peut être réalisée soit au moment de la mise en fonction, soit ultérieurement (fig. 4, 4b, 4c, 4d et 4e).

Les problèmes muqueux péri-implantaires concernent autant les faces linguales que les faces vestibulaires maxillaires et mandibulaires des implants (fig. 5, 5b, 5c, 5d et 5e), autant les secteurs postérieurs, souvent difficiles d'accès au brossage, que les secteurs antérieurs, où la stabilité des limites marginales est essentielle pour garantir un résultat esthétique.

Comme en parodontie, ces techniques chirurgicales ne peuvent être entreprises valablement qu'après un contrôle efficace de l'inflammation tissulaire.

Le choix de la technique opératoire dépend avant tout de la nature et de la quantité des tissus disponibles localement mais aussi des conditions d'accessibilité opératoire des secteurs concernés.

Les résultats cliniques obtenus sont éloquents mais, à ce jour, aucune étude ne permet d'affirmer la fiabilité de ces techniques à long terme ni leur efficacité sur le maintien des implants en fonction.

Conclusion

Comme autour des dents naturelles support de prothèses fixées, autour des implants ostéointégrés, une hauteur importante de muqueuse kératinisée facilite le contrôle de plaque, favorise le maintien d'une bonne santé tissulaire, et garantit la stabilité des limites marginales. On peut donc considérer, aujourd'hui, que les indications d'augmentation de la hauteur de muqueuse kératinisée péri-implantaire sont les mêmes qu'en parodontie. Quant aux techniques chirurgicales couramment utilisées, elles s'inspirent largement des techniques de chirurgie parodontale muco-gingivales avec les avantages et les limites qu'on leur connaît. Les greffes d'apport avec prélèvement gingival au palais permettent facilement d'augmenter la hauteur de muqueuse kératinisée autour des implants en fonction. Néanmoins, dans la plupart des cas, ces aménagements tissulaires péri-implantaires, qui imposent au patient un temps opératoire supplémentaire, peuvent être évités par une technique d'implantation et de mise en fonction rationnelle qui a le souci de préserver la muqueuse kératinisée disponible et de la positionner correctement.

Demande de tirés à part

Jean-Louis GIOVANNOLI, 26, avenue Kléber, 75116 PARIS - FRANCE.

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