Déplacement provoqué des molaires chez l'adulte : incidences parodontales - JPIO n° 4 du 01/11/2002
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2002

 

Articles

Anne WEINACHTER *   Neal MILLER **   Louis DEBLOCK ***  


*Nancy

Résumé

Les orthodontistes sont confrontés à une demande croissante de soins chez les adultes qui consultent pour des raisons esthétiques, prothétiques, parodontologiques et occlusales. Cependant, le parodonte de l'adulte est différent de celui de l'enfant et de l'adolescent. Les modifications sont particulièrement notables à partir de 50 ans, âge auquel la susceptibilité à la parodontite augmente. La prise en compte de ces évolutions est essentielle pour la réalisation d'un traitement orthodontique. Les pressions développées doivent être légères et continues, selon les principes de Burstone. En outre, il est indispensable de travailler sur un parodonte sain ou assaini. Les patients doivent présenter une hygiène parfaite et une absence d'inflammation gingivale. Pour les patients atteints de parodontite, les poches doivent être supprimées avant le début du traitement orthodontique.

Les résultats de notre étude n'ont pas mis en évidence de perte tissulaire majeure quel que soit le type de déplacement réalisé. Contrairement aux résultats des études précédemment menées, nous n'avons pas observé d'hyperplasie gingivale ni de formation de poche pour les sites atteints ou non de parodontite. Par contre, nous avons mis en évidence la formation de récessions gingivales pour les sites non atteints et l'ouverture de deux furcations pour les sites atteints, entraînant des pertes d'attache. Une attention particulière doit donc être portée, chez les patients présentant une faible quantité de gencive attachée, aux éventuelles formations de récession, ainsi que, chez ceux qui ont des antécédents de parodontite et qui présentent des pertes de soutien osseux importantes, aux éventuelles ouvertures de furcation. Cette étude montre que l'association des traitements parodontaux et orthodontiques est bénéfique et sans risque majeur pour le parodonte lorsque les principes biologiques sont respectés.

Summary

Orthodontists are facing an increasing demand for adult orthodontic treatment for aesthetic, prosthodontic, periodontal and occlusal reasons. The adult periodontium differs from that of an adolescent or a child. Changes are noticeable especially after 50 years of age, when the susceptibility to periodontitis rises. It is essential to consider these changes when orthodontic treatment is planned. Only continuous light forces, following Burstone's biomechanical principles, should be used. Furthermore, it is necessary to have a healthy or treated periodontium to work with. Before orthodontic treatment is initiated, patients must have a high level of oral hygiene, no gingival inflammation and, if affected by periodontitis, have undergone pocket elimination. The results of our study showed no evidence to substantiate major tissue resorption with any of the orthodontic treatments used. Contrary to the results of other studies, gingival enlargement and pocket formation were not observed at either healthy sites or sites previously affected by periodontitis. Nevertheless, we did demonstrate gingival recession and the opening of two furcation areas thus involving attachment loss. Particular attention must be given to patients presenting with reduced amounts of attached gingiva regarding the risks of gingival recession. This is also true of periodontitis patients with considerable loss of supporting bone because of possible opening of furcations. This study shows that combined periodontal and orthodontic treatments are not only beneficial, but are also without major risk for the periodontium when all biologic principles are applied.

Key words

Orthodontics, periodontology, adults, molars

Introduction

Les adultes sont de plus en plus nombreux à demander un traitement d'orthodontie pour des raisons esthétiques, prothétiques ou articulaires. Les traitements tardifs sont certes possibles (Stutzmann et Petrovic, 1980 ; Fontenelle, 1986 ; Melsen, 1987) mais une attention particulière doit être portée au parodonte adulte qui subit une atrophie physiologique (Carranza, 1988), c'est-à-dire une diminution de taille de l'ensemble des tissus le constituant. Or, l'orthodontie exige de travailler sur des structures parodontales saines et intègres, la répercussion des forces sur les tissus étant différente en présence d'un parodonte réduit (conséquence de l'atrophie physiologique ou d'une parodontite). Le parodonte mature est ainsi moins tolérant que celui de l'adolescent.

L'incidence des forces orthodontiques sur les tissus parodontaux a déjà fait l'objet d'un certain nombre d'études expérimentales qui ont pris en considération le fait que la plaque dentaire était le principal facteur étiologique de l'inflammation parodontale (Shei et al., 1959 ; Stutzmann et Petrovic, 1980) et que les traumatismes occlusaux seuls n'étaient pas capables d'engendrer une destruction parodontale. Cependant, des auteurs ont montré qu'un traumatisme occlusal associé à la plaque aggravaient l'atteinte parodontale en accélérant l'évolution de la destruction (Vanarsdall, 1986 ; Glickman, 1974 ; Lindhe et Nyman, 1977). Or, Brulin (1974) considérait les forces orthodontiques comme un traumatisme occlusal « contrôlé ». La nécessité de travailler en présence d'un parodonte non inflammatoire était donc une obligation pour la réalisation de tout type de traitement orthodontique. Zachrisson et Alnaes (1973) ainsi qu'Ericsson et al.(1977) ont d'ailleurs prouvé qu'une inflammation gingivale au cours du traitement pouvait être à l'origine de pertes irréversibles au niveau des structures parodontales. Mais en présence d'un parodonte sain et intègre, la thérapeutique orthodontique n'entraînait pas de préjudices significatifs sur les tissus de soutien (Alstad et Zachrisson, 1979 ; Hamp et al., 1982). Cependant, des études ont mis en évidence des modifications systématiques secondaires à la pose de bagues ou de brackets. Au niveau gingival, les systèmes orthodontiques paraissent irriter la gencive et empêcher une bonne hygiène (Zachrisson et Zachrisson, 1972 ; Klöehn et Pfeifer, 1974), provoquant une inflammation gingivale. De même, le traitement orthodontique favorise l'inflammation et accroît la quantité de fluide gingival permettant l'apport des substrats nécessaires à la croissance bactérienne (Baldwin et al., 1999) et créant un environnement écologique favorable au développement des bactéries responsables des parodontites (Poalantonio et al., 1999 ; Knoernschild et al., 1999). Ceci a pour conséquence une gingivite généralisée pouvant déclencher les premiers stades des maladies parodontales (Norton, 1981 ; Kessler, 1976). Cette gingivite pourrait être à l'origine de pertes d'attache chez des adolescents (Zachrisson et Zachrisson, 1972 ; Zachrisson et Alnaes, 1973 ; Zachrisson, 1976) mais pas chez les adultes (Boyd et Baumrind, 1992). Quant à l'incidence des forces orthodontiques sur les furcations, nous avons peu de références, seules quelques études ont été menées. Burch remarquent d'ailleurs qu'en dehors des travaux réalisés par Brown (1973) et par Ingber (1974) sur le redressement des molaires mésio-versées, peu d'informations ont été collectées sur le comportement des furcations lors d'un traitement orthodontique. Ils rappellent que la présence d'inflammation peut entraîner des ouvertures de furcation même dans le cadre d'un traitement parfaitement conduit. Ils remarquent également que dans les cas de parodontite avec un début d'atteinte de furcation, le redressement molaire peut accentuer ces atteintes. Dans leurs études, ces auteurs ont mis en évidence des ouvertures de furcation mais sans préciser ni le type de forces appliquées, ni leurs direction et intensité, et ils n'ont intégré aucun indice parodontal.

Les études déjà menées sont donc peu nombreuses, elles montrent parfois des résultats contradictoires et sont quelquefois imprécises sur leurs conditions de réalisation. Cependant, toutes insistent sur le fait qu'il est indispensable de travailler en présence d'un parodonte sain afin de minimiser les atteintes parodontales éventuelles. Par contre, très peu d'entre elles prennent en considération la nature du déplacement qui, pourtant, joue un rôle important. Les mouvements mésiodistaux, par exemple, réalisés sur des dents versées permettent d'améliorer leur situation parodontale (Brown, 1973 ; Giovannoli, 1983 ; Fontenelle, 1986 ; Melsen, 1986 et 1987 ; Polson et al., 1984). Par contre, des déplacements en direction vestibulaire sont susceptibles de créer des fenestrations et des déhiscences en présence d'inflammation ou d'une quantité de gencive attachée insuffisante (Coatoam et al., 1981 ; Fooshee et al., 1985). Quant à l'ingression, pour certains, elle semble augmenter les risques de créer ou d'aggraver une poche et d'entraîner une résorption osseuse (Polson et al., 1984 ; Ericsson et Vanarsdall, 1986), alors que pour d'autres, elle permettrait une apposition osseuse (Melsen, 1987 ; Melsen et al., 1988 ; Vanarsdall, 1985). Par contre, l'égression permettrait, en tirant l'attache, d'augmenter la quantité de gencive attachée et, par là même, de réduire la profondeur de poches (Ingber, 1974 et 1976 ; Fontenelle, 1982a et 1982b ; Vanarsdall, 1985 ; Dubrez et Lorenzo, 1994).

Des auteurs ont constaté que la majorité des études cliniques évaluant les effets d'un traitement orthodontique sur les tissus parodontaux concernaient l'enfant ou l'adolescent, qui présentent rarement des signes de destruction parodontale. Ils ont également noté que les publications portant sur les patients adultes n'étaient pas concluantes (Wennström et al., 1993). De la même façon, Burch soulignent le fait qu'il serait intéressant d'étudier le comportement des furcations, en prêtant une attention particulière aux différents marqueurs d'hygiène parodontale. En effet, les molaires sont les dents les plus difficiles d'accès à l'hygiène. En outre, lors des traitements orthodontiques, elles sont toujours baguées. Il devient alors difficile de les brosser parfaitement et ce sont donc celles qui sont le plus susceptibles de présenter des atteintes parodontales au cours de ces traitements. Par ailleurs, leur anatomie particulière, avec la présence de furcations qui sont des zones fragiles susceptibles de s'ouvrir lors d'une parodontite, rend difficiles les traitements parodontaux tels que les surfaçages et réduit donc les possibilités de guérison d'une lésion parodontale.

Le but de cette étude est de tenter d'évaluer, chez l'adulte atteint ou non de parodontite, les effets des forces sur les tissus parodontaux et sur les furcations tout au long du traitement orthodontique en précisant les marqueurs utilisés, les forces développées et la nature du déplacement.

Matériel et méthodes

Nous avons inclus dans notre étude des patients âgés de plus de 16 ans, atteints ou non de parodontite. La moyenne d'âge des 8 patients non atteints de parodontite était de 24,6 ans ± 4,2, celle des 2 patients atteints de parodontite était de 46 ans ± 17,0. La demande première de ces patients pouvait être orthodontique ou parodontale. Nous avons choisi de travailler sur les molaires car ce sont les dents les plus difficiles d'accès à l'hygiène et donc les plus susceptibles de présenter des modifications parodontales au cours du traitement orthodontique.

L'échantillon a été constitué de sites parodontaux. Nous avons mesuré, pour chaque dent, 4 sites pour les indices de plaque de Silness et Löe (1964) et l'indice gingival de Löe et Silness (1963). Les profondeurs de poche ont été mesurées au niveau de 6 sites par dent, à l'aide d'une sonde de Williams. Le sondage des furcations a été fait sur 3 sites par dent pour obtenir l'indice de Goldman et Cohen. La hauteur de gencive a été évaluée pour chaque dent à l'aide d'une sonde de Williams. La quantité osseuse a été appréciée à partir de radiographies rétro-alvéolaires prises selon la technique du bilan long cône, un calque de chaque radiographie prise en cours de traitement étant superposé au calque de celle prise avant le début du traitement orthodontique. Ces mesures constituent l'examen parodontal réalisé avant la mise en route de ce traitement puis à intervalles réguliers de 6 mois pendant toute sa durée. Elles ont été relevées par un seul examinateur qui ne réalisait pas le traitement orthodontique.

Les sites ont été répartis en 2 groupes : les sites atteints de parodontite et les sites non atteints. Tous les patients ont bénéficié d'une motivation à l'hygiène, de détartrages et d'aéropolissages. Pour les patients atteints de parodontite, des surfaçages ont été réalisés puis, en cas de poches résiduelles, des lambeaux ont été effectués. Pour les molaires présentant des atteintes interradiculaires de classes I et II (aucune molaire ne présentait des atteintes radiculaires de classe III), des surfaçages avec lambeaux d'accès ont été réalisés, sans autre traitement parodontal spécifique puisque ces dents, qui présentaient des profondeurs de poche importantes, devaient être extraites à la fin du traitement orthodontique. Celui-ci n'a été commencé qu'une fois le parodonte sain ou assaini, c'est-à-dire en présence d'un indice de plaque et d'un indice gingival nuls ou très proches de 0.

Au cours du traitement orthodontique, chaque patient a été suivi dans le service de parodontologie pour une maintenance. Tous les 6 mois, des détartrages ont été réalisés ainsi qu'un bilan parodontal complet (contrôle de l'hygiène, sondage des poches, des récessions, de la hauteur de la gencive attachée et des furcations). Pour les patients atteints de parodontite, des surfaçages ont été faits. La durée minimale de chaque traitement orthodontique a été de 2 ans.

En outre, chaque patient a bénéficié d'un examen clinique orthodontique comprenant un examen exobuccal de face et de profil, un examen endo-buccal dentaire et un examen occlusal dans les sens antéro-postérieur, vertical et transversal, un examen fonctionnel (ventilation et déglutition avec réalisation de palatogrammes) et des analyses complémentaires (téléradiographies de face et de profil, radiographies). Les principes utilisés ont été ceux de Burstone (1966), c'est-à-dire l'application de pressions légères et continues. La nature de chaque déplacement a été précisée : déplacement horizontal, ingression ou égression.

Toutes les données ont été rassemblées dans des tableaux avant et après traitement pour être comparées.

Les gains ont été notés +. Ils ont concerné la diminution des profondeurs de poche et des récessions ainsi que l'augmentation de la hauteur de gencive attachée. Les pertes ont été indiquées par le signe -. Elles ont concerné l'accentuation des profondeurs des poches, l'augmentation des récessions, la diminution de la hauteur de gencive attachée et l'ouverture des furcations. L'absence de variation a été notée 0. Les valeurs ont été testées par le test de Mac Nemar pour séries appariées qui compare les effets positifs et négatifs d'un traitement en prenant le sujet comme son propre témoin. Ce test s'obtient par la formule :

u cal = a - b/ a + b

a désigne le nombre de sites présentant un gain et b le nombre de sites présentant une perte ; u cal suit une loi normale centrée réduite.

Résultats (tableaux I, II, III et IV)

Hygiène

Le tableau I montre que parmi les sites non atteints de parodontite, 56 d'entre eux présentaient au premier examen clinique un indice de plaque supérieur à 0. Avant le début du traitement orthodontique et à la date du dernier examen, l'ensemble des sites présentait un indice de plaque nul. En ce qui concerne les indices gingivaux, lors du premier examen clinique, 14 sites présentaient un indice de 1 et 129 sites un indice de 0. Avant le début du traitement orthodontique et à la fin de celui-ci, tous les sites non atteints de parodontite présentaient un indice gingival nul.

Le tableau II montre que parmi les sites atteints de parodontite, avant le traitement parodontal, 20 d'entre eux avaient un indice de plaque égal à 1 et 8 un indice égal à 2. Le traitement orthodontique n'a débuté que lorsque ces indices ont été nuls ou proches de 0. A la fin du traitement orthodontique, 7 sites présentaient des indices de plaque de 1 et 21 sites des indices de plaque de 0. En ce qui concerne les indices gingivaux, 19 sites étaient égaux à 1 et 9 sites à 2 avant le traitement parodontal. Le traitement orthodontique n'a débuté qu'une fois ces indices proches de 0. A la fin du traitement orthodontique, 23 sites avaient un indice gingival à 0 et 5 sites à 1.

Sondage des poches

Parmi les sites non atteints de parodontite, seul 1 d'entre eux présentait une augmentation de la profondeur de poche et 3 autres présentaient une diminution. Parmi les sites atteints de parodontite, 13 d'entre eux présentaient une diminution de la profondeur de poche et 3 une augmentation (sur un total de 42 sites). Cette amélioration est statistiquement significative (p = 0,006).

Récessions

Parmi les sites non atteints de parodontite, 9 d'entre eux présentaient soit une augmentation soit la formation de récessions et 2 sites présentaient une diminution (sur 152 sites au total). Cette différence, statistiquement significative (p = 0,02), permet d'affirmer qu'il existe dans cette étude une aggravation des récessions. Pour les sites atteints de parodontite, a été notée la formation de 2 récessions (sur 20 sites étudiés), ce qui n'est pas statistiquement significatif.

Hauteur de gencive attachée

Parmi les sites non atteints de parodontite, 10 présentaient une augmentation de hauteur de gencive attachée et 12 une diminution. Parmi les sites atteints, 3 présentaient une augmentation de gencive attachée (p = 0,04).

Furcations

Parmi les sites non atteints de parodontite, aucun patient n'a montré d'ouverture de furcation au cours du traitement orthodontique alors que, parmi les sites atteints, 2 furcations se sont ouvertes.

Hauteur osseuse

La méthode que nous avons utilisée, grâce à des calques, n'a pas mis en évidence de perte osseuse

Discussion

Les traitements orthodontiques motivent les patients dans l'acquisition d'une bonne hygiène bucco-dentaire. En effet, tous ceux de cette étude ont présenté, au cours et à la fin du traitement, des indices de plaque diminués, voire nuls. La motivation et le suivi permettent donc de travailler en présence d'un parodonte sain. En outre, cette étude n'a pas mis en évidence d'inflammation gingivale. En effet, les indices gingivaux étaient nuls pour les sites non atteints de parodontite et faibles pour les sites atteints. Nous sommes en contradiction avec tous les auteurs ayant réalisé les études précédentes qui montrent une augmentation des indices gingivaux en dépit d'une bonne hygiène. Ces auteurs corrélaient leurs résultats à l'irritation gingivale engendrée par les dispositifs orthodontiques (Zachrisson et Zachrisson, 1972 ; Klöehn et Pfeifer, 1974) : position sousgingivale des bagues (Tersin, 1975), excès de colle, difficulté du brossage (Alexander, 1991). Or, nous n'avons observé aucune inflammation gingivale. Ceci s'explique sans doute par le fait que les bagues étaient en position supragingivale, que tous les excès de colle étaient supprimés et que les patients étaient très motivés et leur hygiène excellente. En effet, les études menées précédemment concernaient des adolescents, or les adultes semblent plus sensibles aux instructions d'hygiène et à leurs répercussions (Boyd et al., 1989). En outre, en l'absence d'inflammation, la quantité de fluide gingival n'étant pas augmentée, il n'y a pas d'apport d'éléments nutritifs favorables au développement des bactéries au niveau sulculaire.

Concernant le sondage des poches parodontales, nous sommes en contradiction avec de nombreuses études. La plupart des auteurs (Zachrisson et Zachrisson, 1972 ; Alexander, 1991 ; Boyd et Baumrind, 1992) ont mis en évidence une augmentation de la profondeur de poche. Ils mettaient en rapport ces résultats avec l'hyperplasie gingivale provoquée par le traitement orthodontique (ce qui semblait être le cas puisque leurs mesures, après avoir retiré l'appareil, redevenaient identiques à celles du début). Dans notre étude, il est normal que le sondage ne révèle pas d'augmentation puisque les indices gingivaux sont nuls au cours du traitement.

Concernant la profondeur des poches, il existe, pour les sites atteints de parodontite, une différence statistiquement significative (p = 0,006), objectivant sa diminution. Cependant, les molaires atteintes de parodontite ont servi d'ancrage, elles n'ont donc a priori pas été déplacées (pour affirmer ceci, il faudrait réaliser des superpositions de téléradiographies). Nous ne pouvons donc pas affirmer qu'un déplacement précis permette de diminuer la profondeur de poche. Mais nous pouvons supposer que le suivi parodontal associé à la motivation apportée par le traitement orthodontique permet la diminution des poches parodontales.

Au sujet des récessions, pour les sites non atteints de parodontite, il existe une différence significative (p = 0,02). Nous pouvons donc affirmer l'existence d'une aggravation. Parmi les sites atteints de parodontite, 2 présentaient la formation de récessions. Ces résultats paraissent difficiles à expliquer. Certains auteurs (Wennström et al., 1987 ; Fooshee et al., 1985 ; Coatoam et al., 1981) ont montré que des récessions pouvaient se former au cours des déplacements de vestibulo-version ou en présence d'une quantité de gencive attachée insuffisante. Or, les patients de notre étude possédaient une hygiène excellente, des bagues posées en position supragingivale ainsi qu'une hauteur de gencive attachée suffisante, et aucun mouvement de vestibulo-version n'a été réalisé. Tous ces facteurs de risque ne sont donc pas impliqués. La formation de ces récessions pourrait s'expliquer par la présence d'une trop faible épaisseur de gencive attachée, mais nous n'avons pas réalisé cette mesure.

Pour la hauteur de gencive attachée, nous n'avons pas mis en évidence de différence statistiquement significative. Nous ne pouvons donc pas affirmer qu'il existe une augmentation ou une diminution de cette hauteur. Cependant, nous remarquons que les cas de diminution correspondent souvent aux sites où sont situées les récessions, ce qui correspond donc à une perte d'attache. Pour les sites atteints de parodontite, nous avons noté une augmentation de la hauteur de gencive attachée au niveau de 3 sites. Cette amélioration s'explique certainement par une bonne hygiène et le suivi parodontal, les dents n'ayant servi que d'ancrage. Ces améliorations ne sont cependant que de 1 mm. Boyd et Baumrind (1992) ont étudié d'éventuelles pertes d'attache chez l'adulte au cours du traitement orthodontique et, comme nous, n'ont pas mis en évidence de différences statistiquement significatives. Zachrisson et Zachrisson (1972) ainsi que Zachrisson et Alnaes (1973) ont montré que des pertes d'attache pouvaient survenir au cours du traitement malgré une bonne hygiène, mais leurs études ont été menées chez des enfants (traités par la méthode Edgewise).

Concernant les atteintes de furcation, Trossello et Gianelly (1979) ont mis en évidence des ouvertures de furcation chez des patients non atteints de parodontite. Ils ne précisaient pas les modalités de traitement. Dans notre étude, pour les patients non atteints de parodontite, nous n'avons pas décelé d'atteinte de furcation. Ces patients sont jeunes et présentent un parodonte « solide ». Le traitement ayant été réalisé à l'aide de pressions légères et de forces continues (dans la plupart des cas), le parodonte est en mesure de se déplacer avec la dent. Cependant, cette étude, en accord Burch , montre que des ouvertures de furcation peuvent se produire au cours du traitement orthodontique chez l'adulte atteint de parodontite. En regard de ces furcations, les poches parodontales étaient très profondes (7 mm, la dent devait être extraite). De ce fait, même si ces dents n'ont servi que d'ancrage, une force très légère (lors de la réaction) a pu être suffisante pour entraîner ces atteintes.

Les superpositions des calques des radiographies réalisées afin de déterminer les variations de la hauteur osseuse n'ont pas montré de perte. Nous sommes en désaccord avec les résultats de Trossello et Gianelly (1979), de Kennedy et d'Artun et Urbye (1988) qui ont mis en évidence des pertes osseuses chez des adultes traités en orthodontie. D'autres auteurs en ont également mis en évidence chez des adolescents et des adultes (Zachrisson, 1976 ; Hollender et al., 1980 ; Harris et Bakker, 1990 ; Trossello et Giannelly, 1979 ; Kennedy et al., 1983 ; Artun et Urbye, 1988). Les études menées à long terme n'en montrent pas (Artun et al., 1986 ; Polson et Reed, 1984) et la nôtre nous a permis d'indiquer qu'un traitement orthodontique bien mené n'en entraîne pas de perte osseuse majeure.

La différence la plus notable par rapport aux études menées précédemment est l'absence d'hyperplasie gingivale. Elle s'explique probablement par l'attention particulière portée au suivi et à la mise en place des bagues et des brackets. Ces deux précautions ont permis de respecter la santé parodontale. Cette différence est très importante car de nombreux auteurs pensent que l'inflammation gingivale déclenchée par la mise en place de systèmes orthodontiques est à l'origine de certains cas de parodontite. En effet, des études ont mis en évidence des atteintes parodontales débutant quelques années après la fin du traitement. Comparativement, des patients du même âge n'ayant pas reçu de thérapeutique orthodontique présentaient moins d'atteintes parodontales. L'élimination de ce facteur de risque semble donc très favorable pour le pronostic parodontal à long terme.

Par contre, cette étude a mis en évidence la formation de récessions accompagnées de pertes d'attache de 1 à 2 mm. Ces modifications s'expliqueraient par une épaisseur de gencive attachée insuffisante (les autres facteurs de risque tels que la nature du déplacement, la hauteur de gencive attachée et la présence d'inflammation n'étant pas en cause). Pour confirmer cette hypothèse, il conviendrait de prendre en compte cette mesure et de réaliser, en présence d'une faible épaisseur de gencive attachée, des greffes gingivales.

L'association des traitements parodontaux et orthodontiques semble donc non seulement bénéfique mais également indispensable. En effet, rétablir une bonne occlusion facilite l'hygiène et permet de faire travailler les dents dans leur axe, ce qui limite la destruction parodontale. En réalisant ceci, nous supprimons l'occlusion traumatique qui est un facteur d'aggravation de la parodontite. La motivation, la maintenance et l'utilisation de pressions légères et continues, selon les principes de Burstone (1966), permettent donc de réaliser chez les adultes des traitements orthodontiques n'entraînant pas d'atteintes parodontales majeures quel que soit le type de déplacement.

Une patiente âgée de 58 ans vient consulter en orthodontie. Sa demande est d'ordre esthétique. L'anamnèse ne révèle pas de problème de santé général. L'examen clinique met en évidence une parodontite. L'hygiène insuffisante se caractérise par des indices de plaque et gingivaux égaux à 2, le tartre est présent de façon importante (fig. 1, 2 et 3). Le surplomb et la supraclusion sont très exagérés (fig. 1 et 2).

Cette patiente suit une thérapeutique parodontale comprenant des détartrages et des surfaçages. Une fois le terrain assaini, le traitement orthodontique est commencé (l'indice de plaque est de 0,25, l'indice gingival de 0) (fig. 4, 5 et 6). Une maintenance parodontale est réalisée tout au long du traitement orthodontique au cours duquel les indices parodontaux sont proches de 0 (fig. 7 et 8). Après traitements orthodontique et parodontal, l'esthétique est rétablie et le parodonte assaini (fig. 9).

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier le Dr Weissenbach du département d'Epidémiologie et de Prévention de la faculté de chirurgie dentaire de Nancy et M. Petitfrère, interne en santé publique à la faculté de médecine de Nancy.

Demande de tirés à part

Anne WEINACHTER, 97, rue du Sergent-Blandan, 54000 NANCY - FRANCE.

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