Le sourire gingival : modalités de traitement Gummy smile: treatment options - JPIO n° 4 du 01/11/2020
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2020

 

Article

Waddah SABOUNI1 / Margaux MONTIGNY2 / Audrey MACCOTTA1 / Gilles KOUBI3   4 / Georges RACHLIN4   5  

1- Orthodontiste, La Réserve, Sanary2- Orthodontiste3- Professeur émérite, Aix-Marseille Université, Marseille4- Cabinet dentaire de l'Hôpital européen de Marseille5- Parodontiste exclusif

Résumé

Résumé

Le sourire gingival, qui correspond à une distance importante entre la gencive marginale des dents antérieures et le rebord muqueux de la lèvre supérieure au cours du sourire, est considéré comme inesthétique et entraîne quelquefois des modifications de la santé gingivale (inflammation), des déconforts psychologiques et un handicap social nécessitant un traitement.

Le but de cet article est de mettre en évidence que le traitement du sourire gingival est fonction de l'étiologie, et cela à travers différents cas cliniques.

Summary

ABSTRACT

The ``gummy smile'' (GS), characterized by a display of the entire cervico-incisal length of the maxillary incisors and a contiguous band of gingiva, is considered unaesthetic and give sometimes modifications of the mucogingival health (inflammation), psychological disconfort, social handicap, which obliged a treatment.

The aim of this article is to highlight that the treatment of GS depend of the etiology, and this through different clinical cases.

Key words

Aesthetic, gummy smile.

Introduction

Le sourire gingival est une difformité qui peut affecter de nombreux patients. Si la distance entre la gencive marginale des dents antérieures et le rebord muqueux de la lèvre supérieure, au cours du sourire, est égale ou supérieure à 4 mm, on peut considérer que le patient présente un sourire gingival (Kokich et al. 1999 ; Cortellini et Bissada, 2018). On retrouve ce problème chez 10 à 29 % des jeunes adultes, davantage chez les femmes que chez les hommes (Tjan et al., 1984) (fig. 1).

Il est important d'établir un diagnostic étiologique de ce problème car il déterminera le traitement à suivre pour le corriger (Silberberg et al. 2009).

Les différentes étiologies peuvent être :

– l'éruption passive retardée (après traitement ODF ou non) ;

– l'hypertrophie gingivale chez des patients sous certaines médications ;

– l'extrusion dento-alvéolaire antérieure ;

–l'excès de hauteur verticale du maxillaire (difformité dento-faciale) ;

– lèvre supérieure hypermobile ;

– lèvre supérieure courte ;

– lèvre supérieure asymétrique.

Les modalités de traitement sont nombreuses et comprennent la gingivectomie, l'élongation coronaire esthétique (Silva et al., 2015), le repositionnement de la lèvre supérieure (Kostanovsky et Rubinstein, 1977), la chirurgie orthognatique, et enfin l'orthodontie (Garber et Salama, 1996 ; Salmen et al., 2018).

Le diagnostic, fait en fonction de l'étiologie, sera parodontal, dentaire, alvéolaire ou squelettique, labial. Il va permettre de générer puis d'intégrer un arbre décisionnel pour mettre en place le ou les traitements appropriés. Plusieurs étiologies peuvent être associées pour un même cas.

Le diagnostic parodontal concernera l'éruption passive retardée, l'inflammation et l'hypertrophie gingivale dues à certains médicaments.

Il sera posé facilement pour l'éruption passive retardée, en fonction de la pénétration de la sonde parodontale sous la gencive marginale le long de la couronne jusqu'à l'attache épithéliale. De plus, dans ces cas, les couronnes cliniques des dents antérieures sont souvent courtes et leur hauteur est inférieure à leur largeur (Raybaud et Brunel-Trotebas, 2012) (fig. 2).

En ce qui concerne l'hypertrophie gingivale médicamenteuse, ce sont l'anamnèse et la fiche médicale du patient qui permettront de faire le diagnostic (Andrieux et Bidauld, 2010).

Il est indispensable d'avoir un regard critique sur la forme des dents en fonction de la forme du visage du patient. Il faudra aussi déterminer si la hauteur de celles-ci est correcte. En effet, cela peut être associé au sourire gingival ou l'aggraver, comme dans des cas d'usures importantes des dents en cas de bruxisme ou de problèmes d'occlusion (D'Incau et Saulue, 2011).

Le diagnostic squelettique devra déterminer s'il existe un excès vertical antérieur (long face syndrom), qui sera confirmé par une étude de la téléradiographie de profil : présence d'une rotation horaire de la mandibule, augmentation de la hauteur de l'étage inférieur de la face, excès de développement vertical du maxillaire, augmentation de l'angle du plan mandibulaire, ainsi qu'exposition excessive des dents antérieures associée à une longueur de lèvre supérieure normale (Schendel et al., 1976).

Si aucune composante squelettique n'est retrouvée, il y a supra-alvéolie antérieure. Son origine peut être une croissance dento-alvéolaire antérieure trop importante ou une insuffisance d'éruption des dents postérieures, souvent liée à une lèvre hypertonique. Elle est omniprésente dans les classes II. 2 (Graber et al., 1994).

L'étiologie due à la lèvre supérieure sera déterminée au cours de la consultation, en étudiant sa morphologie et son mouvement au cours du sourire.

Quelquefois, il y a des étiologies distinctes mais combinées, et il faudra avoir recours à plusieurs traitements afin d'obtenir un résultat conforme aux vœux du patient. Dans ces cas, les traitements choisis doivent être planifiés selon une bonne séquence, car malgré l'étiologie multiple, une seule modalité thérapeutique pourra être nécessaire. Par exemple, dans les cas où l'éruption passive retardée est diagnostiquée et qu'il existe aussi une lèvre supérieure hypermobile, il est primordial d'effectuer dans un premier temps le traitement de l'éruption passive retardée, de réévaluer le sourire du patient et sa satisfaction, avant de l'adresser à un chirurgien maxillo-facial pour chirurgie de repositionnement de la lèvre (Andijani et Tatakis, 2019).

L'étude des étiologies et du diagnostic du sourire gingival a permis de mettre au point un arbre décisionnel simplifié concernant les options thérapeutiques (tableau 1).

Nous allons décrire, à partir de cas cliniques, une partie des différents traitements du sourire gingival, en accord avec cet arbre décisionnel.

Cas cliniques

Cas clinique 1

Cette patiente âgée de 45 ans présente un sourire gingival dont l'étiologie est multiple : dentaire, parodontal et lèvre asymétrique (fig. 3). En effet, on peut noter la hauteur des 2 incisives centrales, trop faible par rapport à celle des dents adjacentes, une dysharmonie de la gencive marginale due à une éruption passive retardée et à une récession sur la 23, ainsi qu'une lèvre plus haute à gauche qu'à droite (fig. 4 à 6).

En fonction de l'arbre décisionnel, le plan de traitement suivant a été mis en place :

– gingivectomie à biseau inversé associée à une ostéoectomie si nécessaire, correction de la récession, ici par greffe de conjonctif enfoui et lambeau positionné coronairement (fig. 7 à 9) ;

– confection de dents provisoires (fig. 10 à 12) ;

– réévaluation du problème de la lèvre asymétrique pour traitement chirurgical ;

– prothèse définitive.

À l'issue des deux premières thérapeutiques, une réévaluation du sourire de la patiente a été faite et, celle-ci, pleinement satisfaite de son nouveau sourire, n'a pas trouvé important le problème de la lèvre asymétrique. Elle a seulement désiré que la prothèse provisoire soit remplacée par des dents céramiques.

Cas clinique 2

Quelques années après un traitement d'orthodontie, cette jeune patiente de 17 ans est très complexée par son sourire, où on note une éruption passive retardée au niveau des 4 incisives maxillaires, associée à une lèvre un peu courte (fig. 13).

Le plan de traitement fait à partir de l'arbre décisionnel était le suivant :

– gingivectomie à biseau inversé pour harmoniser la grandeur des dents et traiter l'éruption passive retardée (fig. 14) ;

– après cicatrisation, réévaluation de la morphologie labiale supérieure et chirurgie s'il y a lieu (fig. 15).

Encore une fois, après le traitement parodontal, la patiente a retrouvé un sourire normal qui lui convenait et la chirurgie labiale a été évitée.

Cas clinique 3

M. a 40 ans, il présente un sourire gingival asymétrique avec une bascule du plan d'occlusion à droite, une classe II squelettique associée à une bi-rétroalvéolie (fig. 16 à 18). Plus jeune, il a déjà suivi un traitement orthodontique avec 4 extractions. Les étiologies de son sourire gingival sont multiples : il présente une supraclusion des incisives supérieures ainsi que des incisives courtes (fig. 19 à 21). L'examen dynamique du sourire révèle une hypertonie des muscles releveurs de la lèvre supérieure.

En fonction de l'arbre décisionnel, le plan de traitement suivant a été mis en place :

– correction de la supraclusion antérieure par ingression antérieure orthodontique par gouttières transparentes. L'ingression sera assistée par des mini-implants car la quantité d'ingression est supérieure à 2 mm et au-delà, cette dernière est moins prévisible (Krieger et al., 2012) (fig. 22 à 24) ;

– réévaluation (fig. 25 à 29) ;

– gingivoplastie si nécessaire ;

– chirurgie de repositionnement de la lèvre si nécessaire.

Suite au traitement orthodontique, le patient était satisfait du résultat, le sourire gingival était corrigé et ne nécessitait pas de chirurgie parodontale ni labiale (fig. 30 et 31).

Les superpositions céphalométriques montrent le mouvement d'ingression des incisives maxillaires qui a permis de corriger le sourire gingival (fig. 32).

Cas clinique 4

L'examen clinique de cette patiente révèle une incompétence labiale au repos, un sourire gingival ainsi qu'une béance antérieure (fig. 33 à 35). Le diagnostic d'un excès vertical antérieur est posé par l'examen de la téléradiographie de profil, où on peut noter une hyperdivergence et une rotation postérieure de la mandibule (fig. 16).

La patiente a un antécédent de traitement orthodontique.

Selon l'arbre décisionnel, le plan de traitement suivant a été préconisé :

– préparation orthodontique par gouttières transparentes (fig. 36 à 41) ;

– chirurgie orthognathique d'impaction et avancée du maxillaire (fig. 42 à 44).

Après la chirurgie d'impaction, on observe la totale correction du sourire gingival (fig. 45 à 47) et on note la différence entre le début du traitement et la fin de la préparation orthodontique (fig. 48 à 50).

Les superpositions céphalométriques montrent le mouvement d'impaction du maxillaire qui a permis de corriger le sourire gingival (fig. 51).

Conclusion

De nombreux patients présentent un sourire gingival qui va occasionner, en plus des problèmes parodontaux, orthodontiques et esthétiques, un handicap social. Il est donc important d'en faire le diagnostic et surtout d'en connaître l'étiologie pour pouvoir le traiter de façon efficace. En effet, nous avons observé qu'à chaque étiologie correspond un traitement bien déterminé. Étant donné que l'étiologie peut être multiple, cela entraîne plusieurs solutions à combiner. Heureusement, cela ne veut pas dire qu'il faudra avoir recours à tous les types de traitements. Bien souvent, le traitement d'un problème solutionnera le sourire gingival et son handicap social. Et cela pourra être planifié en fonction de l'arbre décisionnel présenté dans l'article.

Bibliographie

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