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Linda JAOUI * Jean-Pierre OUHAYOUN **
*Département de Parodontologie,
Faculté de Chirurgie Dentaire,
Université Denis-Diderot,
Paris-VII, Paris, France
Cette étude rétrospective a permis d'examiner les caractéristiques cliniques et microbiologiques de patients fumeurs parmi un groupe de 300 patients traités pour maladie parodontale. Les résultats de cette étude montrent que les fumeurs ont des maladies parodontales plus sévères que les non-fumeurs. La mortalité dentaire est trois fois plus importante chez les fumeurs. Parmi les paramètres cliniques évalués, l'inflammation gingivale, le saignement au sondage ne sont pas corrélés au tabagisme. L'hygiène buccale des fumeurs est moins efficace. La réponse au traitement parodontal, suivi de rappels de maintenance était moins favorable chez les fumeurs. Les pathogènes Porphyromonas gingivalis et Actinobacillus actinomycetemcomitans seraient des indicateurs de la sévérité de la maladie parodontale, mais ne caractérisaient pas spécifiquement les fumeurs. Cette étude montre que les fumeurs sont un groupe à haut risque pour les parodontites.
This retrospective study was aimed at studying the clinical and microbiological characteristics of smokers among a group of 300 patients being treated for periodontal disease. The results of this study showed that smokers have more severe periodontal disease than non smokers. Tooth loss was three times higher for smokers. Among the clinical parameters evaluated, gingival inflammation and bleeding on probing were not correlated to tobacco use. The oral hygiene of smokers to is less efficient. The response to periodontal treatment, followed by regular maintenance visits, was less favorable among the smokers. The pathogens Porphyromonas gingivalis and Actinobacillus actinomycetemcomitans would be indicators of the severity of the periodontal disease, but were not specific to smokers. This study shows that smokers are at high risk for periodontal disease.
Le tabac est reconnu comme un facteur de risque majeur pour les cancers de la cavité buccale et pour plusieurs maladies cardio-vasculaires. Le tabac transite ou persiste dans la cavité buccale et entre donc en contact avec les muqueuses buccales. Des études cliniques récentes ont souligné son influence sur la santé parodontale (Haber et Kent, 1992 ; Bergström et Preber, 1994). Les fumeurs ont une destruction parodontale plus sévère que les non-fumeurs (Ismail et al., 1983 ; Feldman et al., 1983 ; Bergström et Eliasson, 1987a ; Goultschin et al., 1990 ; Bergström et al., 1991), l'os alvéolaire semblant être, chez ces patients, plus susceptible à la résorption. D'autres études ont confirmé la relation entre le tabac et les maladies parodontales, en identifiant celui-ci comme un facteur de risque pour l'augmentation de la profondeur de poche (Goultschin et al., 1990 ; Haber et al., 1992), de la perte d'attache (Dunford et al., 1991 ; Haber et al., 1992), de la mobilité dentaire (Feldman et al., 1983) et la perte dentaire (Bergström, 1989). Certains types de maladie parodontale, comme la parodontite réfractaire (Mac Farlane et al., 1992 ; Bergström et al., 1992) et la gingivite ulcéro-nécrotique (Johnson et Engel, 1986), sont également associés au tabac.
Peu d'études ont examiné la flore microbienne des fumeurs. Preber ont montré qu'il n'y avait pas de différence significative dans la composition des différentes plaques bactériennes des fumeurs et des non-fumeurs.
Il a été démontré que le tabac exerce à la fois des effets systémiques et locaux. Les fumeurs atteints de parodontite ont moins de saignement gingival (Preber et Bergström, 1985a) et d'inflammation que les non-fumeurs. Le tabac contient des substances vaso-actives et cytotoxiques (Raulin et al., 1989). Il peut déprimer la réponse immunitaire. Ses composants solubles entraînent une altération de la résistance de l'hôte, en diminuant la production d'anticorps et en supprimant la prolifération des lymphocytes. La réponse tissulaire et les mécanismes de cicatrisation sont également modifiés car le tabac affecte la fonction normale (Noble et Penny, 1975 ; Kraal et al., 1977 ; Mac Farlane et al., 1992), l'activité phagocytaire et la capacité chimiotactique des PMN (Kenney et al., 1975).
Cette étude porte sur un groupe de 300 patients atteints de maladie parodontale, fumeurs et non-fumeurs, traités dans le cadre d'une pratique privée spécialisée en parodontie, et suivis en maintenance sur des périodes variant de 5 à 14 ans avec une moyenne de 8 ans (Jaoui, 1995).
Les objectifs de cette étude ont cherché à déterminer :
1. s'il existe une corrélation entre le tabagisme et la sévérité de la maladie parodontale ;
2. si les résultats acquis après thérapeutique se maintenaient différemment chez les fumeurs et les non-fumeurs ;
3. si la prévalence des deux bactéries - le Porphyromonas gingivalis (Pg) et l'Actinobacillus actinomycetemcomitans (Aa) - associées d'une façon habituelle à la maladie parodontale différait entre fumeurs et non-fumeurs.
Trois cents patients, 94 hommes et 206 femmes âgés de 18 à 67 ans (moyenne d'âge : 44,3 ans) ayant été traités pour leur maladie parodontale, ont été suivis depuis en visites régulières de maintenance, pendant des périodes variant de 5 à 14 ans (moyenne 8 ans). Parmi ces 300 patients, il y avait 84 fumeurs (28 %) et 216 non-fumeurs (72 %). La moyenne d'âge des fumeurs était de 42,1 ans et 45,1 ans pour les non-fumeurs. Dans le groupe fumeurs, la proportion d'hommes était plus importante (respectivement 40 % d'hommes pour 22 % de femmes). La différence était statistiquement significative.
Le nombre moyen de dents présentes au début du traitement était légèrement inférieur chez les fumeurs (26,7) par rapport aux non-fumeurs (27,1). Seuls les fumeurs de cigarettes (fumant 10 cigarettes par jour, depuis au moins 5 ans) ont été sélectionnés, les autres formes de consommation de tabac (cigares, pipe) constituaient des facteurs de non-inclusion. Dans le groupe non-fumeurs ont aussi été inclus des patients dont la consommation de tabac était inférieure à 5 cigarettes par jour.
Parmi ces 300 patients, 34 patients (14 fumeurs, 20 non-fumeurs) ont été sélectionnés pour l'investigation microbiologique. Suivant le calendrier des séances de maintenance, les 34 premiers patients ont été choisis.
Ces tests bactériens ont été effectués en moyenne 8 ans après la fin du traitement parodontal actif.
Les patients ont été répartis suivant une double classification (tableau I) . Cette classification est celle de Grant , modifiée par l'Académie Américaine de Parodontologie :
- classe I : gingivite ;
- classe II : parodontite débutante, destruction osseuse initiale et poches parodontales peu profondes ;
- classe III : parodontite modérée, perte osseuse modérée à sévère, poches parodontales profondes, mobilités dentaires ;
- classe IV : destruction sévère des structures parodontales.
Cette classification ne prend en compte que le degré d'atteinte parodontale, indépendamment des autres critères d'âge, d'évolution ou de flore bactérienne. Une seconde classification est donc venue compléter la première, proposée par le « World Workshop » (1989).
La seconde classification se détermine comme suit :
- parodontite à progression rapide (PPR) : 18 à 30 ans, lésions généralisées, sans distribution particulière, perte osseuse rapide avec des périodes d'activité où la gencive est très inflammatoire. L'inflammation peut être indépendante de la quantité de plaque ;
- parodontite de l'adulte (PA) : 30-35 ans et plus, distribution généralisée, progression beaucoup plus lente que la PPR, sévérité des lésions en rapport avec l'accumulation de plaque.
Pour les 300 patients, l'inflammation initiale a été classée en modérée et importante.
L'hygiène a été classée suivant des notes prises au cours, après le traitement et lors des visites de maintenance, en bonne, moyenne ou mauvaise. Le nombre d'atteintes de furcation était noté à l'examen initial.
Le nombre de dents perdues, de sites avec aggravation ou stables évalués radiographiquement, le nombre d'épisodes aigus ont permis de répartir les patients en sous-groupes :
- bien maintenu (BM) : au maximum une dent extraite et/ou moins de 3 sites aggravés ou épisodes aigus ;
- mal maintenu (MM) : plus de 2 dents extraites ou plus de 3 sites aggravés.
Les prélèvements bactériens ont été effectués sur 2 ou 3 sites par patient, soit au total 75 sites : 31 sites fumeurs et 44 sites non-fumeurs. Les sites ont été sélectionnés pour l'investigation microbiologique sur la base des critères suivants : 2 sites au minimum présentant des lésions récidivantes ou qui s'aggravaient par rapport à l'état initial pour les patients présentant des sites aggravés (n = 57) ainsi définis : profondeur de poche augmentée de 2 mm ou plus au moment du prélèvement comparé à l'examen initial et une perte osseuse équivalente, évaluée sur des radiographies non standardisées. Pour certains patients du groupe BM ne présentant pas de sites répondant à ces critères, les échantillons microbiens (n = 18) étaient prélevés dans les poches les plus profondes.
Pour le prélèvement, les sites ont été isolés à l'aide d'un rouleau de coton et séchés. Après élimination de la plaque sus-gingivale, une pointe en papier absorbante stérile a été insérée pendant 10 secondes au fond de la poche, en évitant de faire saigner. Cette pointe était ensuite déposée dans un tube Eppendorf qui a été envoyé au laboratoire.
Les sondes oligonucléotides, spécifiques de Porphyromonas gingivalis (Pg) et de l'Actinobacillus actinomycetemcomitans (Aa), ont été produites en utilisant la technique PCR . Le saignement au sondage a été noté comme absent, faible, modéré ou sévère.
Les tables de contingence ont été analysées par le test de CHI-2, corrigées ou non pour la continuité, ou par le test de probabilité exact de Fischer. Tous les tests étaient bilatéraux.
Afin de déterminer les facteurs indépendants prédictifs de la perte dentaire, deux analyses multivariées ont été menées. La première a considéré le nombre de dents perdues comme variable dépendante et a identifié les prédicteurs de perte par régression polychotomique pas à pas. Pour des raisons numériques, 6 classes de pertes ont été considérées ; 0, 1, 2, 3, 4, 5 et plus. La deuxième analyse a considéré le facteur « existence d'une perte dentaire » en tant que variable binaire et l'analyse a utilisé une procédure de régression logistique pas à pas. Dans les deux cas, les variables âge, sexe, catégorie de la maladie, hygiène et le statut tabagique ont été incluses dans l'analyse. Pour toutes les analyses, le seuil de significativité était fixé à 5 %.
Sur un total de 8 112 dents, 167 dents ont été extraites, soit une perte dentaire de 2 % : 88/2 247 dents chez les fumeurs et 79/5 865 dents chez les non-fumeurs. La perte dentaire était de 3,9 % chez les fumeurs et 1,3 % chez les non-fumeurs. La différence était statistiquement significative.
Les analyses multivariées considérant la perte dentaire en tant que variable quantitative (nombre de dents perdues) ou qualitative (existence ou non d'une perte) ont toutes deux mis en évidence que le facteur prédictif indépendant était l'existence d'un tabagisme. L'odd-ratio correspondant à l'augmentation du risque de perte dentaire lié au tabagisme était de 1,89 et l'odd-ratio correspondant à ce risque ajusté sur les paramètres démographiques et cliniques sexe, catégorie de la maladie, hygiène et le statut tabagique était égal à 1,71.
83,3 % des patients fumeurs et 92,6 % des patients non fumeurs étaient bien maintenus, 16,7 % des patients fumeurs et 7,4 % des patients non fumeurs étaient mal maintenus, selon la classification établie dans le paragraphe « Matériels et méthodes » (tableau II) . La différence était statistiquement significative (p < 0,05).
Pour l'ensemble des 300 patients, 36 % des fumeurs et 37 % des non-fumeurs avaient une inflammation initiale modérée ; 64 % et 63 % - respectivement - des patients fumeurs et non fumeurs présentaient une inflammation importante. La différence n'était pas statistiquement significative ; 58,3 % et 44 % respectivement des patients fumeurs et non fumeurs avaient une hygiène initiale classée « mauvaise » (tableau III). L'hygiène initiale n'était excellente que pour 5,9 % des patients fumeurs et 12,5 % des patients non fumeurs. En fin de traitement, 55,9 % des patients fumeurs et 72,2 % des non-fumeurs avaient une hygiène excellente. La différence était statistiquement significative.
Le saignement au sondage a été analysé sur les sites où des prélèvements bactériens ont été effectués : 8/31 sites fumeurs et 11/44 sites non-fumeurs présentaient un saignement au sondage. La différence n'était pas statistiquement significative.
171 molaires de patients fumeurs et 285 molaires de patients non fumeurs présentaient une atteinte de furcation. La différence était statistiquement significative (tableau IV).
10 patients fumeurs sur 14 et 2 patients fumeurs sur 14 présentaient respectivement du Pg et de l'Aa ; 12/20 et 3/20 patients non fumeurs sont respectivement Pg+ et Aa+ ; 12/14 patients fumeurs sont infectés à la fois par le Pg et Aa (tableau V) ; 13/20 patients non-fumeurs sont infectés soit par le Pg, soit par Aa. La différence n'était pas statistiquement significative.
40 sites sur 75 présentaient du Pg, soit 53,3 % et 8 sites sur 75 ont de l'Aa, soit 10,7 % ; 17/31 sites fumeurs sont Pg+ (tableau VI) ; 23 sites non-fumeurs sur 44 présentent du Pg. La différence n'était pas statistiquement significative pour Pg.
4 sites fumeurs et 4 sites non-fumeurs présentaient de l'Aa. La différence n'était pas statistiquement significative pour Aa.
7 patients fumeurs Pg+ et Aa+ sont bien maintenus ; 5 patients fumeurs Pg+ et Aa+ sont mal maintenus (tableau VII). La différence n'était pas statistiquement significative.
En accord avec les études de Sheiham (1971), Ismail , Haber , Bergström et Preber (1994), les résultats de cette étude montrent que les maladies parodontales étaient plus sévères chez les fumeurs. Ils présentaient peu de gingivites (4,8 %) comparés aux non-fumeurs (6,4 %) mais davantage de parodontites avancées de classe III et classe IV (tableau I). La différence était statistiquement significative pour les PA de classe IV (9,5 % chez les fumeurs versus 2,8 % chez les non-fumeurs). Les PPR étaient plus fréquentes chez les fumeurs (9,5 %) par rapport aux non-fumeurs (6,9 %). Les fumeurs présentaient davantage d'atteinte de furcation (26,4 %) par rapport aux non-fumeurs (16,2 %). Bergström et Eliasson (1987b) constatent pour des indices de plaque identiques un nombre important de poches et une plus grande profondeur de poches, d'atteintes de furcation et d'hypermobilité dentaire, dans un groupe de 76 fumeurs comparés à 166 non-fumeurs. Parmi les variables examinées comme indicateurs potentiels, le tabac démontre une association très forte avec la sévérité de la maladie parodontale. La probabilité de trouver des fumeurs parmi les patients atteints de parodontites est 2,6 fois plus importante, par rapport aux non-fumeurs (Haber et Kent, 1992). Dans une étude longitudinale des facteurs pronostiques, chez des patients atteints de parodontite établie, Machtei ont démontré que les fumeurs présentaient une perte osseuse et une perte d'attache plus marquées que les non-fumeurs. Dans l'étude de Bolin , l'âge, le sexe, la catégorie sociale, le nombre de dents perdues, cariées, manquantes ou obturées, la plaque, le tartre, l'hygiène buccale et l'os alvéolaire interproximal sont examinés. De tous ces facteurs enregistrés, deux seulement prédisent la perte osseuse alvéolaire sur une période de 10 ans : l'indice parodontal initial et le tabac. Le problème soulevé est de savoir si l'influence du tabac sur les tissus parodontaux est directe ou médiée par l'intermédiaire de la plaque dentaire. Bergström ont observé chez des hygiénistes dentaires en Suède une perte osseuse supérieure chez ceux classés comme fumeurs. Cette étude réalisée sur des adultes avec une bonne hygiène buccale montre que la perte osseuse est en rapport direct avec le tabagisme. L'étude de Bergström et al. suggère une influence directe du tabac sur la santé parodontale, qui pourrait être indépendante de la colonisation bactérienne.
Les données de cette étude rétrospective sur 300 patients traités et suivis régulièrement, pendant des périodes variant de 5 à 14 ans avec une moyenne de 8 ans, font état de résultats positifs très satisfaisants puisque 90 % des cas ont été bien maintenus (tableau II). En accord avec plusieurs études à long terme, cette étude souligne l'efficacité d'un traitement parodontal, à condition que la maintenance soit assurée de façon régulière (Jaoui, 1995). La perte dentaire était minime (2 %). Elle était plus importante chez les fumeurs, comparée aux non-fumeurs : sur les 167 dents extraites, 88 dents ont été extraites chez les fumeurs et 79 dents chez les non-fumeurs. La mortalité dentaire est trois fois supérieure chez les fumeurs (3,9 % versus 1,3 % chez les non-fumeurs). Une étude en Suède de Holm (1994) confirme que les fumeurs présentent un risque élevé de perte dentaire. Les analyses multivariées de notre étude ont montré que le tabac seul était responsable de la perte dentaire, indépendamment des autres variables analysées (âge, sexe, hygiène, catégorie de la maladie). Cette étude démontre que les fumeurs sont moins bien maintenus (83,3 %) que les patients non fumeurs (92,6 %), malgré des visites régulières de prophylaxie effectuées après traitement parodontal actif (fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14). Les fumeurs représentent un groupe à haut risque pour les parodontites, et le tabac un facteur de risque d'environnement majeur pour la maladie parodontale.
Depuis les études de Bastian et Waite (1978) et Feldman , la question du degré d'inflammation présente ou non chez les fumeurs reste posée. Dans l'étude présentée ici, l'inflammation initiale, qu'elle soit modérée ou plus importante, était identique chez les fumeurs (64 %) et les non-fumeurs (63 %). Cela est confirmé par le saignement au sondage sur les 75 sites des 34 patients : 74,2 % des sites fumeurs et 75 % des sites non-fumeurs présentaient un saignement au sondage. La différence n'était pas statistiquement significative. De même, Preber et Kant (1973), chez 15 adolescents, n'ont pas trouvé de différence significative pour l'inflammation gingivale, entre les fumeurs et les non-fumeurs, avec le même niveau d'hygiène buccale. Dans les études de Feldman , Rivera-Hidalgo (1986), Bergström et Preber (1986), Danielsen , les résultats montrent qu'il y avait moins d'inflammation chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Cette différence est peut être due à des indices de plaque peu élevés. Kornman évaluent les réponses cliniques et microbiologiques de sujets fumeurs et non-fumeurs avec parodontite avancée. Les différences étaient minimes entre les fumeurs et les non-fumeurs pour les paramètres cliniques initiaux et microbiologiques, avec moins de saignement chez les fumeurs. En opposition aux études précédentes, Ah montrent que les fumeurs ont un pourcentage plus important de sites qui saignent au sondage.
Les résultats de cette étude montrent des différences entre les fumeurs et non fumeurs. Les patients fumeurs ont un contrôle de plaque moins performant que les patients non fumeurs. Sur les 300 patients, respectivement 58,3 % des fumeurs et 44 % des non-fumeurs avaient une hygiène initiale classée « mauvaise ». A l'examen initial, l'hygiène n'était excellente que pour 6 % des fumeurs. Les patients non fumeurs avaient une hygiène excellente 2 fois supérieure (12,5 %). Même en fin de traitement, 56 % des patients fumeurs présentaient une hygiène classée excellente, comparés aux 72,3 % des non-fumeurs : ces résultats sont en accord avec les études de Mac Gregor (1984) et Mac Gregor . D'autres travaux ont montré que la plaque pouvait être moins importante (Feldman et al., 1983) ou que les fumeurs et les non-fumeurs présentaient des quantités équivalentes de plaque dentaire (Alexander, 1970 ; Bastian et Waite, 1978 ; Bergström et Preber, 1986 ; Haber et al., 1992 ; Danielsen et al., 1990). Pour Bergström (1990), deux groupes fumeurs et non-fumeurs montraient, sur une durée d'étude d'un an, une réduction similaire des indices de plaque. Les fumeurs ont donc une même capacité que les non-fumeurs à maintenir un bon niveau d'hygiène buccale. Les colorations (Mac Kendrick et al., 1970) sont augmentées chez les fumeurs. Des études ont analysé l'influence du tabac sur la formation du tartre. Le tartre semble plus important chez les fumeurs (Feldman et al., 1983 ; Preber et Bergström, 1990 ; Ismail et al., 1990). D'autres facteurs peuvent affecter la flore buccale, en modifiant la consistance de la plaque dentaire, la force d'adhésion ou encore sa composition. Il est possible que des modifications salivaires aient un effet sur la composition, la formation et la minéralisation de la plaque. L'effet combiné du tabac et des bactéries dans le temps est plus nuisible que l'action de la plaque seule. Pour Sheiham (1971), les différences observées entre les fumeurs et les non-fumeurs sont attribuées aux différences dans l'hygiène buccale, tandis que les études d'Ismail indiquent une influence directe du tabagisme sans relation avec l'hygiène buccale. Des dépôts de plaque et de tartre importants peuvent masquer les effets possibles du tabagisme sur la santé parodontale.
Cette étude n'a pas permis d'étudier les effets du traitement puisque le relevé des poches parodontales n'a pas été fait après thérapeutique. Généralement, le traitement parodontal est moins efficace chez les fumeurs. Cela est vrai aussi bien pour les thérapeutiques chirurgicales que non chirurgicales (Preber et Bergström, 1985b, 1990). Ces auteurs ont montré que la réduction des poches parodontales après thérapeutique (non chirurgicale et/ou chirurgicale) était moins importante chez les fumeurs, même avec des indices de plaque faibles. Les études à long terme de Kaldahl , Ah , 6 ans après traitement actif, montrent une réduction peu importante de la profondeur de poches, peu de gain d'attache, une plus grande perte d'attache des furcations chez les fumeurs. Par extrapolation, ces résultats suggèrent qu'à long terme, il existe un risque plus important d'échec de la thérapeutique chez les fumeurs. Le tabac peut affecter le processus de guérison après traitement parodontal. La cicatrisation post-chirurgicale après chirurgie parodontale est altérée, comparée à la cicatrisation post-chirurgicale chez les non fumeurs (Preber et Bergström, 1990). Le fait que les fumeurs répondent moins favorablement à la thérapeutique parodontale peut être dû partiellement à la présence de nicotine sur les racines (Cuff et al., 1989). Quand des fibroblastes sont exposés in vitro à la nicotine, la croissance et l'attache aux surfaces radiculaires sont altérées (Raulin et al., 1989).
Dans notre étude, le traitement parodontal d'un fumeur a nécessité davantage de temps : en additionnant le temps consacré à la préparation initiale, à la chirurgie et aux soins post-opératoires, la durée moyenne d'un traitement est de 9 heures et 57 minutes (sur 7,62 mois) chez un patient fumeur et de 8 heures et 41 minutes (sur 6,84 mois) chez un patient non fumeur.
Les données de cette étude et les résultats des autres investigateurs (Preber et Bergström, 1990) confirment l'impression clinique que les fumeurs répondent moins bien que les non-fumeurs à la thérapeutique parodontale. Le tabac paraît influencer les résultats cliniques en entravant l'élimination des pathogènes et en altérant la réponse tissulaire.
Bien qu'aucune étude n'ait identifié les bactéries spécifiques associées au tabagisme, celui-ci peut favoriser l'établissement d'une flore microbienne plus virulente (Kenney et al., 1975). Les études in vitro ont montré que les bactéries sont sélectivement affectées par le tabac et que le passage d'aérobies aux anaérobies est possible. Le tabac peut entraîner un abaissement du potentiel d'oxydo-réduction et cela peut provoquer une augmentation des bactéries anaérobies. L'étude de Ranchhodjee et Babu (1993) montre que l'incubation de l'Aa avec la nicotine entraîne une coaggrégation augmentée de 60 % avec les espèces d'Actinomyces. La nicotine est donc capable de modifier l'écologie microbienne de la cavité buccale.
Dans l'étude présente, sur les 34 patients, 71,4 % des fumeurs et 60 % des non-fumeurs sont Pg positifs. La différence n'était pas significative ni pour le Pg, ni pour l'Aa. Elle reste également non significative, quand on analyse l'infection à la fois par Pg et Aa : 85,7 % des patients fumeurs et 65 % des patients non fumeurs sont infectés à la fois par Pg et Aa. La flore est donc identique chez les fumeurs et les non-fumeurs. Ces résultats sont en accord avec les études de Preber et de Stoltenberg . Preber ont recherché une corrélation entre les pathogènes parodontaux (Aa, Pg, Pi) et le tabagisme sur 145 patients atteints de parodontite sévère (83 fumeurs et 62 non fumeurs). Les prélèvements bactériens ont été faits sur des sites avec une profondeur de poche supérieure à 6 mm. Cela est identique aux prélèvements effectués dans l'étude présente. Il n'y avait pas de différence significative pour ces trois bactéries, prises individuellement ou associées entre les deux groupes.
En conclusion, les résultats de cette étude montrent que la prévalence de Pg et Aa est équivalente chez les fumeurs et chez les non-fumeurs.
Chez les patients fumeurs Pg positifs, 60 % étaient bien maintenus et 40 % mal maintenus (tableau VII). Bien qu'il y ait davantage de patients fumeurs, mal maintenus, infectés à la fois par le Pg et Aa (41,7 %) par rapport aux patients non fumeurs (38,5 %), la différence n'était pas statistiquement significative. Une corrélation existe entre l'infection due à Pg et Aa et l'état de la maladie. Ces deux pathogènes seraient des indicateurs de la sévérité de la maladie parodontale, mais pas d'un patient fumeur. Des études (Beck et al., 1992 ; Grossi et al., 1994) confirment l'association importante entre ces deux micro-organismes et la sévérité de la maladie parodontale, montrant leur utilité en tant que marqueurs pour les tests diagnostiques. Slots et Listgarten (1988) ; Socransky et Haffajee (1992), ont suggéré que Pg et Aa seraient des agents responsables de la maladie parodontale destructrice et que leur rôle pathogénique était plus important que tous les autres pathogènes parodontaux. Beck ont montré que la combinaison de quatre éléments : le tabagisme, des pourcentages de Pg supérieurs à 2 %, la dernière visite remontant à plus de 3 ans et des saignements gingivaux était associée aux parodontites sévères. Dans cette étude, sur 690 adultes, le tabagisme contribue à la destruction parodontale, en combinaison avec des facteurs microbiens et des soins dentaires irréguliers.
L'inhibition locale de la fonction des PMN peut diminuer la résistance des patients aux infections, provoquant des taux élevés et persistants des pathogènes parodontaux. Il est vraisemblable que certains fumeurs peuvent ne pas être affectés par les défauts des PMN. Mac Farlane ont étudié les parodontites réfractaires associées à une phagocytose anormale des leucocytes PMN et à l'action du tabac. Les patients avec parodontite réfractaire sont 4,5 fois plus nombreux chez les fumeurs. Ces patients, avec une bonne hygiène buccale, surveillée par des hygiénistes dentaires, avec parodontite réfractaire, montrent des PMN sanguins périphériques anormaux. Chez ces patients, la phagocytose est déprimée. Ce défaut de PMN peut créer une susceptibilité augmentée aux infections. La découverte rétrospective est que 90 % de ces patients à parodontite réfractaire sont des fumeurs et montrent une haute concordance avec le défaut de phagocytose des PMN du sang périphérique. Pour cet auteur, le risque accru de développement de la maladie parodontale chez les fumeurs est peut-être lié à une altération des PMN et à la présence de pathogènes.
En accord avec les différentes études en Suède et aux Etats-Unis, cette étude montre qu'il existe une association importante entre le tabagisme et le risque de développer une maladie parodontale dans une population adulte, identifiant les fumeurs comme un groupe à risque élevé. Le tabac est un facteur de risque de perte dentaire. La très forte association entre tabac et état parodontal souligne l'importance de contrôler cette variable dans les études. Dans la détermination du diagnostic, du pronostic et du plan de traitement des maladies parodontales, le statut de fumeur doit être souligné. L'information des patients sur le rôle du tabagisme dans l'aggravation des maladies parodontales et les conseils d'arrêt de consommation du tabac devraient être préconisés dans le traitement des maladies parodontales.
Remerciements : les auteurs remercient le docteur Philippe Bouchard pour les conseils prodigués dans la rédaction de cet article, ainsi que le docteur Eric Vicaut, statisticien, pour son aide tout au long de la réalisation de cette étude.
Demande de tirés à part
Linda JAOUI, 52, avenue de la Bourdonnais, 75007 PARIS - FRANCE.
Laboratoire GENSET : 24, rue Royale, 75008 Paris.