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Mithridade DAVARPANAH * Catherine MATTOUT ** Myriam KEBIR-QUELIN *** Henry MARTINEZ ****
*Département de Parodontologie
Institut de Stomatologie et de Chirurgie maxillo-faciale
Hôpital Pitié-Salpêtrière Paris
**Marseille
***Marseille
****Université de Paris VII (Denis-Diderot)
Service d'Odontologie de l'Hôtel-Dieu
Unité d'Implantologie
Service de Parodontologie
Université Paris VII Garancière
Le chirurgien-dentiste est fréquemment confronté au dilemme d'extraire ou de conserver une dent. Les différents paramètres cliniques et radiographiques, la demande du patient et le pronostic des différentes options thérapeutiques permettent de prendre la décision appropriée.
Pour les cas de parodontites avancées et agressives, la décision thérapeutique est encore plus difficile. L'état de santé générale du patient, l'histoire de la maladie, la durée du traitement et la notion de fiabilité thérapeutique permettront de guider notre choix.
Dentists are facing frequently a dilemma : extracting or preserving a tooth ? The appropriate decision is based on the various clinical and radiographic parameters, the patient's wishes and the prognosis of the different therapeutic options.
In the case of advanced or severe periodontal disease, the decision is even more difficult. The choice may also be influenced by such factors as the general state of health of the patient, the history of the disease, the duration of the treatment and the therapeutic viability.
Tout traitement dentaire a pour objectif la reconstruction des structures orales atteintes ou perdues. Avant d'entreprendre un traitement, le praticien doit établir le pronostic de chaque dent et visualiser le résultat fonctionnel et esthétique final. Le diagnostic étiologique doit être déterminé avec précision. Il est important d'évaluer le pronostic des dents résiduelles par rapport aux différentes options thérapeutiques. Un mauvais pronostic doit faire envisager l'extraction dentaire. Le choix thérapeutique conservateur doit cependant toujours rester dans l'esprit du praticien, car le fait de garder des dents à pronostic réservé peut entraîner des pertes de substance importantes. Un effondrement alvéolaire limite les options thérapeutiques, augmente considérablement la durée du traitement et risque de compromettre le résultat final (Abrams, 1980). Plusieurs étapes chirurgicales doivent alors être envisagées pour reconstituer une morphologie alvéolaire (tissus durs et mous) appropriée (Davarpanah et coll., 1993 ; Bahat et coll., 1993 ; Bahat, 1997).
Le but de cet article est de proposer une conduite à tenir face au dilemme quotidien du praticien : Que doit-on privilégier, la conservation d'une dent ou l'extraction ? Quels sont les différents paramètres qui permettent de prendre la décision thérapeutique appropriée ?
L'évolution des concepts en parodontologie a modifié totalement le diagnostic étiologique et la thérapeutique parodontale (American Academy of Periodontology, 1989 et 1992). Le diagnostic comprend une anamnèse détaillée et un examen bucco-dentaire clinique et radiographique. Les différents critères parodontaux, prothétiques et endodontiques permettent d'évaluer la valeur de la dent ou du pilier dentaire pour un éventuel traitement prothétique. Ces critères confrontés au pronostic déterminent le choix thérapeutique.
Différentes pathologies (carie dentaire, érosion, malformation dentaire), des traumas (fractures, attrition dentaire) et une dentisterie iatrogène peuvent entraîner la présence de couronnes cliniques courtes (Rosenberg et coll., 1980 ; Palomo et Kopczyk, 1987). Une dent présentant une hauteur de couronne clinique insuffisante est trop souvent restaurée avec des préparations sous-gingivales violant l'espace biologique et/ou des tenons intracanalaires volumineux qui fragilisent la dent. La violation de l'espace biologique entraîne : une inflammation chronique, une perte d'attache ou des récessions gingivales en présence d'un parodonte fin (Fugazzotto et Parma-Benfenati, 1984).
Si une couronne clinique est courte, l'indication d'une chirurgie préprothétique doit être évaluée (Kaldahl et coll., 1984 ; Bragger et coll., 1992 ; Wolffe et coll., 1994). L'élongation coronaire est souvent pratiquée dans les secteurs postérieurs et sur les versants lingual ou palatins de dents antérieures (cas clinique n° 1. fig1a et b). L'éruption forcée de la dent peut être aussi indiquée (Potashnick et Rosenberg, 1982 ; Kozlovsky et coll., 1988). Cette thérapeutique permet de préserver les tissus mous et d'assurer un résultat esthétique satisfaisant.
Le rapport couronne clinique/racine est évalué sur les radiographies rétroalvéolaires. Un rapport couronne clinique/racine défavorable peut résulter d'une élongation coronaire. Cette intervention risque de compromettre également le parodonte des dents adjacentes (Kramer, 1987). L'orthodontie préprothétique (éruption forcée) et l'élongation coronaire ne doivent pas être envisagées si le rapport couronne clinique/racine est défavorable. En présence d'un rapport très défavorable, l'extraction dentaire peut être décidée.
Les diagnostics clinique et radiographique déterminent la localisation et le type de la perte osseuse. Le pronostic parodontal va dépendre de l'importance, de la morphologie et de l'évolutivité de l'alvéolyse (cas clinique n° 2. fig 2a, b, c, d, e et f).
Il est indispensable d'évaluer le degré d'atteinte d'une furcation et son anatomie pour déterminer l'option thérapeutique (conservation, régénération, tunnellisation, amputation radiculaire, hémisection ou extraction) (Lindhe, 1986) (cas clinique n° 3. fig 3a, b, c, d, e f et g). En présence d'une lésion interradiculaire classe II profonde ou classe III, il est très délicat de décider s'il est préférable de conserver les dents (risque d'aggravation de la perte osseuse) ou de pratiquer des extractions « précoces » pour préserver le capital osseux (Etienne et coll., 1997).
La demande esthétique du patient, le site de réhabilitation (secteur antérieur) et le type de sourire sont des facteurs déterminants pour le choix et la séquence thérapeutique (Preston, 1977) (cas clinique n° 4. fig 4a, b et c). La prévisualisation du résultat esthétique final dans les secteurs antérieurs est capitale. En effet, un décalage de la gencive marginale chez un patient présentant un sourire gingival entraîne un résultat esthétique disgracieux. L'esthétique peut être un facteur important dans un traitement parodonto-prothétique (Fuzzi et Carnevale, 1997).
En présence d'une lésion périapicale et latérale le diagnostic différentiel endo-parodontal doit être effectué (Cohen et Machtou, 1996). Si l'étiologie est d'origine endodontique, le traitement canalaire doit être réalisé. Pour les lésions combinées, le diagnostic est plus délicat (Hiatt, 1977). Dans un premier temps, le traitement endodontique est effectué. Un temps de cicatrisation de plusieurs mois est souvent nécessaire avant de réévaluer le traitement parodontal. En absence de cicatrisation de la lésion, on doit penser à la persistance de germes pathogènes dans le péri-apex, à la réinfection des lésions parodontales ou à des lésions endodontiques réfractaires (Etienne et coll., 1997).
Le but principal pour le praticien est de préserver les dents dans un contexte de santé locale et générale. Le pronostic est la prédiction du résultat d'une pathologie dans le temps (Grant et coll., 1988). Prévoir le pronostic des dents atteintes parodontalement est fréquemment aléatoire. Pour déterminer le choix thérapeutique de conserver ou extraire le pronostic doit être effectué. Il permet aussi de justifier le choix prothétique (fixe, amovible, implantaire).
La pérennité d'une dent dépend directement de l'état des tissus parodontaux. Le pronostic global repose sur le bilan établi des différents facteurs généraux, locaux et psychologiques (tableaux I, II et III).
En présence de certaines pathologies systémiques comme le diabète, le syndrome de Down et le syndrome de Papillon-Lefèvre, il existe des modifications tissulaires et immunitaires (Seppala et Ainamo, 1992 ; Seppala et coll., 1993 ; Ultesh et coll., 1991 ; Çelenligil et coll., 1992 ; Watanabe et coll., 1991). Plusieurs facteurs exogènes doivent être aussi sérieusement évalués (carence nutritionnelle, prise de médicaments, tabac) (Nizel, 1989 ; Bergstrom, 1989 ; 1991 ; Daly, 1992 ; Seymour et Heaseman, 1992 ; Linden et Mullally, 1994). Ces paramètres peuvent modifier considérablement le pronostic dentaire du patient (tableau I).
Les différents facteurs locaux (plaque bactérienne, trauma occlusal, problèmes endodontiques, carie dentaire, pertes osseuses, etc.) sont évalués lors du diagnostic clinique et radiographique (Hiatt, 1977 ; Ramfjord et Ash, 1981 ; Maiden et coll., 1990 ; Socransky et Haffajee, 1992 ; Listgarten, 1992 ; Cohen et Machtou, 1996 ; Alcouffe et Etienne, 1990 ; Alcouffe, 1996).
Les facteurs psychologiques présentent une importance capitale pour le pronostic et en conséquence pour la stratégie thérapeutique (Zander et Muhlemann, 1956 ; Wilson, 1996 ; Alcouffe, 1996) (tableau III). Plusieurs études épidémiologiques ont montré la relation entre le stress et la présence de maladies parodontales (Goldhaber et Giddon, 1964 ; Green et coll., 1986).
L'état psychologique du patient peut intervenir sur la demande du traitement (adaptée ou irréaliste) et sur l'hygiène buccale. En effet, la coopération et la motivation du patient sont déterminantes pour optimiser le pronostic. En 1993, Wilson analyse la motivation du patient pour le contrôle de plaque et la maintenance professionnelle énonce que le protocole de maintenance est difficilement suivi pour les patients présentant des pathologies à caractère chronique. La plupart des études concernant l'élimination quotidienne de la plaque bactérienne rapportent un suivi du patient inférieur à 50 %. Les études sur le contrôle et la maintenance au niveau hospitalo-universitaire et dans des cabinets spécialisés présentent des taux d'échecs encore plus importants (Wilson et coll., 1987, 1993, 1996).
Une extraction est considérée comme stratégique si elle améliore de manière significative le pronostic de dents adjacentes (cas clinique n° 5. fig 5a, b et c). Les classifications récentes des parodontites et la notion d'activité de la maladie rendent plus délicate l'application du concept de l'extraction stratégique. Cette notion est basée sur une analyse rigoureuse du pronostic de chaque dent. D'un point de vue prothétique, il est préférable d'extraire les dents susceptibles d'entraîner des complications.
Les parodontites avancées sont souvent caractérisées par des mobilités importantes (perte d'attache généralisée) associées souvent à un édentement partiel (Lindhe, 1986). Différentes thérapeutiques parodontales (conservatrices et chirurgicales) ont été proposées pour le traitement de ces parodontites (cas clinique n° 6. fig 6a, b, c, d et e).
Lindhe (1994) et Genon (1994) préconisent l'utilisation de prothèses de contention étendues à toute l'arcade. Le but de cette contention est de contrôler les mobilités et de résister aux forces de mastication. Ce type de prothèse exige une parfaite équilibration occlusale, une grande coopération du patient et des contrôles professionnels réguliers. Ces auteurs ont rapporté des résultats cliniques satisfaisants à long terme (Lindhe, 1994 ; Genon et Genon-Romagna, 1977 ; Genon, 1994). Nyman et Ericsson (1982) rapportent de très bons résultats à long terme (de 8 à 11 ans) pour des bridges effectués sur des dents au parodonte réduit. Une excellente hygiène bucco-dentaire et l'acceptation d'un suivi professionnel régulier ont été les paramètres de sélection de ces patients. Pour Nyman et Niklaus (1994), la solidarisation des piliers dentaires très mobiles associée à des édentements intermédiaires est biomécaniquement intéressante à condition que les dents concernées présentent une distribution équilibrée sur l'arcade, suivant le concept d'équilibration occlusale.
Le groupe des parodontites agressives rentre dans un cas particulier. D'après Wilson et coll. (1992), ces parodontites ne répondent pas aux traitements conventionnels. La réévaluation parodontale est capitale, car le choix thérapeutique est souvent difficile chez ces patients. La plus grand prudence est conseillée avant d'extraire une dent. Selon Kornman, la parodontite réfractaire se caractérise par l'absence de réponse tissulaire généralisée après une thérapeutique parodontale (Kornman, 1993). Un mauvais diagnostic aboutit à un échec thérapeutique avec aggravation de la perte osseuse (Wilson, 1994).
Le diagnostic clinique, le pronostic dentaire global et individuel, la motivation du patient et la fiabilité des différentes options thérapeutiques sont des facteurs qui déterminent la conservation ou l'extraction dentaire. Les traitements classiques conservateurs ou chirurgicaux des maladies parodontales ont démontré leur efficacité (cas clinique n° 7. fig 7a et b) (Ramfjord et coll., 1975 ; Lindhe et coll., 1975 et 1982 ; Hirschfeld et Wasserman, 1978 ; Nyman et Lindhe, 1979 ; Axelsson et Lindhe, 1981 ; Langer et coll., 1981 ; McFall, 1982 ; Carnevale et coll., 1991 ; Basten et coll., 1996) (tableau IV). Cependant, l'extraction d'une dent présentant un pronostic réservé ou mauvais doit être envisagée. L'extraction d'une dent compromise permet de conserver un volume osseux suffisant et une morphologie alvéolaire adéquate. De plus, les dents adjacentes ne sont pas exposées à une atteinte secondaire.
Les pertes dentaires sont souvent associées à une résorption alvéolaire. Abrams et coll. (1987) ont observé une perte de substance alvéolaire chez 91 % des sujets présentant une édentation partielle antérieure. La réduction de la crête alvéolaire résiduelle est importante entre les 6 premiers mois et les 2 ans qui suivent l'extraction (Atwood, 1979). L'effondrement alvéolaire peut être secondaire à une atteinte parodontale avancée, une lésion endo-parodontale, une fracture radiculaire ou une avulsion traumatique.
Prévenir la résorption de l'os alvéolaire est la meilleure attitude thérapeutique. Elle consiste à prévenir et à traiter les maladies parodontales, à pratiquer des extractions non traumatiques ou stratégiques en préservant l'intégrité des corticales alvéolaires. Immédiatement après extraction, différentes techniques de préservation de crête alvéolaire peuvent être envisagées (Davarpanah et coll., 1993).
Le choix du traitement parodontal et prothétique pour conserver ou extraire dépend de :
- la position de la dent sur l'arcade et le rapport avec les dents adjacentes ;
- la valeur prothétique du pilier ou de la dent ;
- l'état parodontal et l'hygiène du patient ;
- l'anatomie radiculaire ;
- le rapport couronne/racine ;
- l'espace prothétique disponible et l'occlusion ;
- l'état endodontique ;
- facteurs généraux, locaux et psychologiques du patient ;
- pronostic.
La possibilité d'éliminer les facteurs étio-pathologiques améliore considérablement le pronostic thérapeutique. Les maladies systémiques et les troubles psychologiques doivent être parfaitement équilibrés avant d'entreprendre la phase corrective du traitement dentaire.
Plusieurs études pour évaluer la fiabilité du pronostic ont été réalisées. En 1997, Machtei et coll. analysent dans une étude longitudinale des différents indicateurs (cliniques, microbiologiques, immunologiques) pour déterminer leur relation avec la perte tissulaire chez 790 patients atteints de parodontite chronique. Les auteurs constatent une progression ultérieure de la maladie chez les patients exposés au tabac et à une flore bactérienne agressive (Pg, Pi, Bf). Ils conseillent la modification ou le contrôle des facteurs de risque.
McGuire et Nunn (1996), évaluent dans une étude statistique l'efficacité des paramètres cliniques pour réaliser le pronostic individuel des dents résiduelles. Cent patients traités parodontalement et en phase de maintenance sont évalués à 5 ans, parmi ces patients, 38 ont été suivis jusqu'à 8 ans. Une classification pour le pronostic individuel de chaque dent est utilisée. Les auteurs trouvent une diminution significative à 5 et à 8 ans de la prévisualisation du pronostic initial pour les dents ne présentant pas un bon pronostic (43 % à 5 et 35 % à 8 ans). Une dégradation du pronostic due à l'augmentation de la profondeur au sondage, de l'atteinte de la furcation, de la mobilité, de la relation couronne/racine, de la malposition et des racines utilisées comme piliers des prothèses conjointes a été constatée. Pour McGuire, 1991 et McGuire et Nunn, 1996), les méthodes cliniques utilisées traditionnellement ne sont pas fiables pour des dents ne présentant pas un bon pronostic initial. La réalisation d'autres études utilisant aussi des paramètres bactériens et immunologiques devra confirmer ses conclusions.
Pour donner une réponse précise à la question posée : « conserver ou extraire ? », chaque cas devrait être analysé individuellement à l'aide des différents critères (locaux, généraux et psychologiques) cités précédemment. Cependant, d'autres paramètres peuvent privilégier un choix par rapport à l'autre. En effet, l'expérience professionnelle et les formations universitaire et post-universitaire (philosophie de travail) peuvent être très variables d'un praticien à l'autre.
Un diagnostic précis, un pronostic des différents paramètres (locaux, généraux et psychologiques) et la compréhension des besoins du patient permettent de faire le choix d'extraire ou conserver. Les parodontites agressives et avancées posent un grand dilemme thérapeutique. Les risques de pertes dentaires à court terme doivent être évalués. Des extractions stratégiques judicieuses permettent de prévenir les pertes de substance importantes. L'information du patient, son état de santé générale, la durée du traitement et la notion de fiabilité thérapeutique permettront de guider notre choix.