Étude préliminaire de l'activité anti-inflammatoire et cicatrisante de l'Énoxolone dans les gingivites non spécifiques - JPIO n° 1 du 01/02/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/1998

 

Articles

Sylvie BOISNIC *   Lotfi BENSLAMA **   Thierry MOUSQUES ***   Marie-Christine BRANCHET-GUMILA ****  


*Consultation de Dermatologie buccale
Service de Stomatologie et de Chirurgie maxillo-faciale,
Hôpital Pitié-Salpêtrière Paris
**Consultation de Dermatologie buccale
Service de Stomatologie et de Chirurgie maxillo-faciale,
Hôpital Pitié-Salpêtrière Paris
***Faculté de Chirurgie dentaire.
Université de Paris VII.
****Service d'Anatomopathologie
Hôpital Pitié-Salpêtrière Paris

Résumé

Les gingivites non spécifiques sont des processus inflammatoires essentiellement provoqués par la plaque bactérienne. Les enzymes et les toxines libérées par les bactéries sont la cause d'altérations et à terme de destruction du tissu conjonctif parodontal. Le traitement de ces gingivites non spécifiques consiste non seulement à éradiquer la plaque bactérienne par un détartrage mais également à prescrire un traitement et des mesures d'hygiène. Cette étude clinique et biochimique a permis d'évaluer l'activité anti-inflammatoire et cicatrisante de l'Énoxolone (acide glycyrrhétinique) à 1 %, principe actif d'une pâte gingivo-dentaire1, sur des gingivites non spécifiques (non systémiques).

Une étude clinique en double aveugle a été réalisée chez 20 patients présentant une gingivite modérée, traités pendant 3 mois par application d'Énoxolone à 1 % versus excipient, en absence de détartrage. Une diminution significative de l'indice gingival et de l'infiltrat inflammatoire ont été observées.

L'activité cicatrisante de l'Énoxolone, présumée cliniquement, a été mise en évidence biochimiquement par l'augmentation de la synthèse de collagène par les fibroblastes gingivaux chez les patients d'une part et sur des gencives normales maintenues en survie pendant 30 jours et traitées par l'Énoxolone à 1 % d'autre part.

Summary

Non-specific gingivitis is an inflammatory process, frequently caused by dental plaque. Enzymes and toxins liberated by bacteria from dental plaque are the cause of gingival damage and, eventually, destruction of the periodontal tissues. Treatment of these cases of non-specific gingivitis consists not only of removal of the bacterial plaque by scaling but also by instruction in effective long term plaque control. The absence of correlation between the quantity of dental plaque and the intensity of gingivitis leads us to study mediators of gingival inflammation and wound healing. The aim of this work is to evaluate the anti-inflammatory and wound healing activity of 1 % Énoxolone (glycyretinic acid) as the active constituent of a toothpaste.

A double blind clinical study was undertaken in 20 patients presenting with moderate gingivitis over 3 months. 1 % Énoxolone was compared with a placebo, in the absence of scaling. A significant reduction in the level of inflammation and inflammatory infiltrate was observed.

Clinically evident wound healing was confirmed biochemically by increased synthesis of collagen by gingival fibroblasts derived from patients and from specimens of normal gingival tissue cultured for 30 days with 1 % Énoxolone.

Key words

Glycylretinoic acid, gingivitis, erythema, inflammatory infiltrate, wound healing, fibroblast, collagen

Introduction

Les gingivites, affections parodontales les plus répandues, sont des processus inflammatoires qui n'affectent que le parodonte superficiel, c'est-à-dire l'épithélium gingival et le tissu conjonctif sous-jacent, sans perte d'attache. Même si l'on ne peut jusqu'à présent établir distinctement le pronostic d'une gingivite chronique, elle évolue habituellement vers la parodontite avec destruction progressive du tissu de soutien de la dent (desmodonte, cément, os alvéolaire) (Boisnic et coll., 1997).

Cette étude a été réalisée sur des gingivites non spécifiques associées à une migration apicale de l'attache épithéliale due à la plaque bactérienne. Le pouvoir pathogène des bactéries se traduit par la libération de plusieurs enzymes (hyaluronidases, chondroïtine sulfatases, collagénases, enzymes protéolytiques) ainsi que de cytotoxines sous forme d'acides organiques et d'endotoxines bactériennes (lipopolysaccharides). Parallèlement, l'agression bactérienne a pour conséquence une réponse inflammatoire avec afflux des cellules immunitaires de l'hôte (infiltration du tissu conjonctif gingival) qui vont, elles aussi, libérer leurs enzymes protéolytiques. Qu'elles soient d'origine bactérienne ou le produit d'une réponse physiologique de défense de l'hôte, ces enzymes provoquent altération et destruction de la gencive et particulièrement du tissu conjonctif gingival. Le traitement de ces gingivites non spécifiques comprend l'éradication du facteur microbien par un détartrage, et des mesures d'hygiène bucco-dentaire, thérapeutique que nous faisons souvent précéder d'un traitement symptomatique, tel que l'Arthrodont®.

L'action anti-inflammatoire de l'acide glycyrrhétinique (Énoxolone) a été largement évaluée chez l'animal (Finney et Sommers, 1958) et chez l'homme dans l'arthrite rhumatismale (Kumagaï et coll., 1957). Quelques rares études cliniques de gingivites traitées par un gel dentaire à base d'Énoxolone1 ont permis d'observer la disparition de l'infiltrat inflammatoire (Louise, 1983 ; Mattout, 1989). D'après ces études, il semble que la cicatrisation soit également améliorée par l'application de ce gel dentaire. Cependant aucune étude clinique et biochimique avec corrélation histologique n'a été réalisée pour confirmer cette appréciation subjective.

D'une part, lors d'une étude clinique, histologique et biochimique en double aveugle on a évalué l'activité anti-inflammatoire et cicatrisante de l'Énoxolone à 1 %, principe actif d'une pâte gingivo-dentaire1, versus son excipient, sur des gingivites inflammatoires non spécifiques. D'autre part, la synthèse du collagène, phénomène impliqué dans le processus de cicatrisation, a été étudiée à partir de muqueuses buccales saines maintenues en survie ex vivo et traitées pendant 30 jours par l'Énoxolone à 1 % versus placebo.

Matériel et méthodes

Le protocole de l'étude a été soumis au CCPPRB de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui l'a approuvé.

Protocole clinique

Critères d'inclusion et d'exclusion

Une étude clinique randomisée, en double aveugle, a été faite sur 20 patients des deux sexes, âgés de plus de 18 ans, atteints de gingivite bénigne à modérée (indice gingival 1-2), inclus après bilan clinique et après information et obtention de leur consentement. L'âge, le sexe, la taille, le poids, l'usage du tabac, les antécédents médicaux et chirurgicaux, les pathologies associées au moment de l'inclusion et les traitements en cours ont été recueillis aux fins d'étude de l'homogénéité de l'échantillon et de la comparabilité des groupes. Il en a été de même du port d'une prothèse adjointe et du niveau d'hygiène, qui ne sera pas modifié pendant la durée de l'étude.

Les patients présentant une pathologie muqueuse spécifique, un processus néoplasique loco-régional ou une pathologie générale avec troubles de la coagulation ou des désordres systémiques, ont été exclus. Il en a été de même de ceux bénéficiant d'un traitement par corticoïdes ou rétinoïdes par voie générale et/ou locale depuis moins d'un mois à la date d'inclusion dans l'essai, et des patientes en état de grossesse, de ceux alcooliques ou de ceux qui ont participé à un autre essai clinique moins de 3 mois auparavant. On a vérifié l'absence d'antibiothérapie locale ou générale dans les 6 mois précédant l'inclusion.

Traitement

Après randomisation, en absence de détartrage, 10 patients reçoivent l'Énoxolone (Énoxolone 1 %, soluté officinal de formaldéhyde 0,1 %, excipient contenant : alginate de sodium, gomarine, silicate de sodium, texapon, glycérol, carbonate de calcium, eugénol, menthol, essence de menthe, eau purifiée), et 10 autres patients reçoivent le placebo (soluté officinal de formaldéhyde 0,1 % et l'excipient). Tous les patients appliquent le gel deux fois par jour pendant 3 mois au niveau de la muqueuse gingivale avec léger massage.

Critères cliniques d'évaluation

Un bilan d'entrée à J0, des bilans intermédiaires à 1 mois, à 2 mois et un bilan de sortie à 3 mois ont été réalisés.

Les critères d'évaluation et les cotations adoptées ont été les suivants :

Indice gingival

• Grade 0 : gencive normale, pas d'inflammation, pas de changement de couleur, pas de saignement.

• Grade 1 : légère inflammation, légère altération de la surface gingivale, pas de saignement.

• Grade 2 : inflammation modérée, érythème, œdème, saignement au sondage ou après pression.

• Grade 3 : inflammation sévère, érythème important, œdème, tendance au saignement spontané, ulcération.

Indice de saignement papillaire

• Grade 1 : pas de saignement.

• Grade 2 : saignement léger.

• Grade 3 : saignement modéré.

• Grade 4 : saignement intense.

Douleur spontanée

Évaluée à partir d'une échelle visuelle analogique remplie par le patient. Pour les besoins de l'étude, nous avons retenu la cotation suivante :

- absence de douleur : cotation 0 ;

- présence de douleur : cotation 1.

Analyse histologique et biochimique

Deux biopsies gingivales sont réalisées sous anesthésie locale. Les fragments en fuseau sont prélevés avec un bistouri monté d'une lame n° 11 à J0 et après 3 mois de traitement afin d'évaluer histologiquement l'importance de l'infiltrat inflammatoire et d'analyser la cicatrisation par des techniques de culture cellulaire (comparaison entre les deux groupes après 3 mois de traitement).

Analyse histologique de l'infiltrat inflammatoire

Les biopsies à J0 et à 3 mois sont fixées dans le liquide de Bouin et incluses en paraffine. La topographie des infiltrats dans le chorion ainsi que l'exocytose intra-épithéliale sont analysées à partir de coupes histologiques colorées par l'hemalun-éosine.

L'infiltrat inflammatoire, comme critère histologique principal, est évalué à l'aide du score suivant (Engelberger et coll., 1983) :

- pas d'infiltrat à infiltrat léger : cotation 1 ;

- infiltrat modéré : cotation 2 ;

- infiltrat important : cotation 3.

Analyse biochimique de la cicatrisation

Au troisième mois, la biopsie gingivale permet d'analyser la cicatrisation à partir des fibroblastes obtenus en culture dans le groupe Énoxolone comparativement au groupe placebo et par rapport à J0. Pour cela, la prolifération des fibroblastes et leur capacité à synthétiser du collagène sont étudiées. En effet, la cicatrisation de la gencive lésée se traduit par une stimulation de la prolifération des fibroblastes et de la synthèse de collagène par ces mêmes cellules.

Les cultures de fibroblastes sont obtenues à partir des biopsies de muqueuses buccales en présence de milieu MEM-Dulbecco (Gibco BRL) complété avec 10 % de sérum de veau fœtal et des antibiotiques, à 37 °C et en atmosphère enrichie en CO2 (5 %).

Afin d'analyser la prolifération cellulaire, les fibroblastes sont ensemencés dans une plaque 96 puits à fond plat à 25 000 cellules/ml. La prolifération est analysée par l'incorporation de Thymidine-(3H) pendant 16 heures à 37 °C. La quantité de Thymidine-(3H) est ensuite mesurée dans un compteur à scintillation et est exprimée en coups par min (cpm)/103 cellules.

Afin d'analyser la synthèse de collagène, les fibroblastes des biopsies gingivales sont incubés 24 h dans du milieu MEM de Dulbecco complété en SVF, en vitamine C (50 µg/ml), en ß-aminopropionitrile (25 µg/ml) et en L-proline-(4,5-3H) (Amersham, 1 mCi/ml). Le collagène est dosé à partir des surnageants de culture selon la technique de Webster (1979), impliquant tout d'abord une lyse des protéines non collagéniques par la pepsine, suivie de deux précipitations salines à pH acide puis neutre. La quantité de proline incorporée dans le collagène ainsi recueilli est déterminée dans un compteur à scintillation et est exprimée en coups par min (cpm) de proline-(3H) incorporée pour 106 cellules.

Analyse de la synthèse de collagène à partir de fragments de gencive humaine normale maintenue en survie pendant 30 jours

Parallèlement au protocole clinique, l'activité cicatrisante de l'Énoxolone a été recherchée en étudiant la synthèse de collagène dans un modèle de gencive humaine normale maintenue en survie pendant 30 jours et traitée par l'Énoxolone 1 %.

Maintien en survie ex vivo de fragments de muqueuses gingivales humaines normales

Des fragments de muqueuse gingivale humaine saine sont obtenus à la consultation de Stomatologie. Ils sont déposés dans un insert (nacelle de 12 mm de diamètre avec membrane en polycarbonate de porosité 12 mm, Costar) lui-même positionné sur un puits de culture (plaque 12 puits, Costar). L'ensemble est maintenu en survie par culture d'organes pendant 30 jours à 37 °C et en atmosphère air/CO2 (95 %/5 %) (Chapman et coll., 1989 ; Kondo et coll., 1990 ; Boisnic, Branchet et coll., 1997). Du milieu de culture enrichi en antibiotiques, hormones, facteurs de croissance, SVF est déposé dans le fond des puits, un passage s'effectuant par diffusion lente entre les deux compartiments par l'intermédiaire de la membrane poreuse. Ce milieu de survie est renouvelé trois fois par semaine.

Traitement des muqueuses buccales maintenues en survie ex vivo par l'Énoxolone 1 % versus placebo

Trente cas de muqueuses gingivales humaines ont été analysés.

L'Énoxolone versus placebo a été appliqué sur les fragments de gencive trois fois par semaine, pendant 30 jours.

Évaluation de la synthèse de collagène

La capacité des fibroblastes de gencive à synthétiser du collagène après 30 jours d'application de l'Énoxolone versus placebo sera comparée à celle obtenue par des fibroblastes de gencive non traitée.

Au terme des 30 jours de culture, 10 mCi/ml de proline tritiée (Amersham) sont ajoutés au milieu de culture.

Le collagène extracellulaire radiomarqué est ensuite extrait par une solution d'acide acétique 1M contenant 1 mg/ml de pepsine et est dosé selon la technique de Webster comme il a été décrit ci-dessus.

La quantité de collagène radiomarqué mesurée dans un compteur à scintillation est rapportée à la quantité de protéines totales (mg) contenue dans chaque échantillon et dosée spectrophotométriquement par la méthode de complexation avec l'acide bicinchoninique (Pierce, BCA Protein Assay). Les résultats sont donc donnés en coups par minute (cpm) et par mg de protéine.

Statistiques

Analyse statistique sur les données du protocole clinique

La comparabilité des groupes à l'inclusion a été vérifiée sur les caractéristiques cliniques générales et les mesures des paramètres évolutifs à J0. Les deux groupes sont comparables en ce qui concerne les indices cliniques à J0, ainsi que pour la taille, le poids, le sexe, les antécédents médicaux et chirurgicaux, les pathologies et le traitement au moment de l'inclusion. Cependant le groupe ayant reçu le principe actif est plus âgé (moyenne = 53,4) que le groupe ayant reçu le placebo (moyenne = 40,5).

L'analyse statistique des variables quantitatives (indice gingival, saignement, douleur, infiltrat inflammatoire) a été réalisée avec un seuil de signification statistique de ces différents tests fixé à 5 % :

- les évolutions intragroupes ont été analysées par le test apparié de Student ou de Wilcoxin suivant la normalité des séries de différences avant-après traitement et l'égalité des variances ;

- les évolutions intergroupes des variables quantitatives ont été étudiées par une analyse de variances répétées dans le temps avant-après comparaison des moyennes.

Analyse statistique concernant le dosage du collagène à partir de fragments de gencive humaine maintenue en survie

L'évolution de la synthèse de collagène en présence d'Énoxolone en comparaison avec les gencives témoins a été analysée à l'aide du test apparié de Student avec un risque fixé à 5 %.

Résultats

Protocole clinique

Des problèmes médicaux intercurrents, sans relation avec le traitement, ont empêché 4 patients de se rendre aux visites obligatoires. Les résultats et les statistiques concernent donc 9 cas dans le groupe Énoxolone et 7 cas dans le groupe placebo.

Aucun événement indésirable n'a été constaté pour tous les patients, que ce soit dans le groupe ayant reçu le principe actif ou celui ayant reçu le placebo.

Evaluation clinique de l'indice gingival

Le tableau I représente l'évolution de l'indice gingival au cours du temps : nombre de patients dans les groupes Énoxolone et placebo répondant aux différents critères de gravité de la gingivite.

Analyse intragroupe

Dans le groupe Énoxolone, l'analyse intragroupe montre la diminution de l'indice gingival après 3 mois de traitement. La différence est statistiquement significative (p < 0,05). En effet, à J0, 7 cas sur 9 présentaient un indice gingival de grade 1 et 2 cas un indice gingival de grade 2. Après 3 mois de traitement, 7 cas analysés présentaient une gencive normale (grade 0) et 2 cas présentaient encore une gingivite modérée (grade 1).

Dès le deuxième mois de traitement, les 2 groupes présentaient une différence significative (p < 0,03) en faveur du groupe ayant reçu le principe actif alors qu'ils étaient comparables à J0.

A l'opposé, l'évolution intragroupe chez les patients ayant reçu le placebo ne montre pas de modification significative de l'indice gingival après 3 mois de traitement : 2 cas sur 7 ont encore un indice gingival de grade 2 et 3 cas présentent un indice gingival de grade 1.

Analyse intergroupe

L'analyse de l'évolution intergroupe après 3 mois de traitement révèle une différence significative entre le groupe Énoxolone et le groupe placebo (p < 0,05), en faveur de l'Énoxolone dans le traitement de la gingivite.

Une diminution significative de l'indice gingival a donc pu être observée cliniquement après 3 mois de traitement par Énoxolone.

Evaluation du saignement et de la douleur

En ce qui concerne l'indice de saignement papillaire, celui-ci était égal à 0 chez 60 % des patients à l'inclusion. Nous n'avons pas obtenu de modification de cet indice chez les 40 % restants après 3 mois de traitement.

La douleur, critère subjectif, n'a pas été modifiée après 3 mois de traitement, ni dans le groupe Énoxolone, ni dans le groupe placebo.

Ainsi, l'analyse de l'évolution intergroupe et intragroupe des indices de saignement et de douleur n'a pas montré de différence statistiquement significative après 3 mois de traitement.

Evaluation histologique de l'infiltrat inflammatoire

Analyse intragroupe

L'importance de l'infiltrat inflammatoire a été quantifiée histologiquement (tableau II) à J0 et après 3 mois de traitement dans le groupe Énoxolone (8 patients) et le groupe placebo (7 patients).

L'évolution histologique intragroupe chez les patients ayant reçu le principe actif montre une nette amélioration. La diminution de l'infiltrat inflammatoire est significative (p < 0,05) après traitement. En effet, 5 patients sur 8 présentaient un infiltrat important à J0 (fig. 1a) et, après 3 mois de traitement, un seul cas présentait encore un infiltrat (fig. 1b).

Aucune différence significative n'est observée en intragroupe entre J0 et après 3 mois de traitement chez les patients ayant reçu le placebo. Une légère aggravation de l'infiltrat inflammatoire est même notée : après 3 mois de traitement, 2 patients présentaient un infiltrat important alors que l'on ne notait qu'un seul cas à J0.

Analyse intergroupe

L'évolution intergroupe montre une diminution de l'infiltrat inflammatoire après 3 mois de traitement dans le groupe Énoxolone en comparaison avec le groupe placebo, sans que la différence soit significative.

Evaluation biochimique de l'activité cicatrisante de l'Énoxolone

Prolifération des fibroblastes

Sur les 16 patients inclus dans l'étude, des fibroblastes ont été obtenus à partir de 8 biopsies gingivales dont 7 appartenaient à des patients ayant reçu l'Énoxolone (indice de prolifération obtenu : 1375 ± 1264 cpm de thymidine tritiée incorporée/103 cellules), le 8e cas ayant reçu le placebo (indice de prolifération obtenu : 1477 cpm/103 cellules).

Sur les 8 autres biopsies gingivales pour lesquelles nous n'avons pas observé de prolifération des fibroblastes, 2 appartenaient au groupe ayant reçu l'Énoxolone et 6 appartenaient au groupe placebo.

Il semble que l'application du principe actif a eu une influence positive sur l'obtention de fibroblastes en culture par la méthode des explants. En revanche, aucune différence entre les deux groupes n'a été observée en ce qui concerne l'incorporation de thymidine tritiée.

Synthèse de collagène

Le dosage de la synthèse de collagène par les fibroblastes donne les résultats suivants :

- pour les fibroblastes issus des patients ayant reçu l'Énoxolone (n = 7), l'indice de synthèse du collagène est de 33 620 ± 24 090 cpm/106 cellules ;

- pour les fibroblastes issus du patient ayant reçu le placebo (n = 1), l'indice de synthèse du collagène est de 1 236 cpm/106 cellules.

Là encore, la présence d'un seul cas analysable dans le groupe placebo ne nous a pas permis de réaliser une analyse statistique en ce qui concerne la synthèse de collagène. Ceci nous a amenés à vérifier cette propriété par une autre technique de culture utilisant des gencives humaines saines maintenues en survie en présence d'Énoxolone versus placebo.

Synthèse de collagène à partir de fragments de gencive humaine normale maintenue en survie pendant 30 jours

La quantité de collagène marqué par la proline tritiée synthétisée par les fibroblastes activés dans les gen-cives maintenues en survie pendant 30 j donnent les résultats suivants :

- gencives témoins non traitées : 70,63 ± 41 cpm/mg de protéine ;

- gencives traitées par l'Énoxolone : 171,54 ± 64,23 cpm/mg ;

- gencives traitées par le placebo : 73,5 ± 13,85 cpm/mg.

Cette étude sur muqueuse gingivale maintenue en survie a permis de mettre en évidence l'efficacité du principe actif vis-à-vis de la synthèse de collagène par les fibroblastes : nous obtenons une augmentation significative de l'incorporation de proline tritiée par ces cellules en présence d'Énoxolone par rapport aux gencives témoins (p < 0,05), soit une augmentation de 143 %.

Discussion

De précédentes études cliniques ont montré l'activité anti-inflammatoire de l'Énoxolone dans le traitement des gingivites. En effet, Louise (1983) a mis en évidence une diminution statistiquement significative de l'indice gingival et de l'indice de saignement dans le groupe traité comparativement au groupe placebo. Des résultats similaires sont décrits par Mattout (1989). Notre objectif a donc été non seulement de vérifier cliniquement l'activité anti-inflammatoire de l'Énoxolone mais également d'analyser pour la première fois, histologiquement, le devenir de l'infiltrat inflammatoire dans le chorion.

Le protocole clinique mis en place a permis de vérifier la diminution significative du processus inflammatoire après 3 mois de traitement par l'Énoxolone, non seulement du point de vue clinique mais également du point de vue histologique. En effet, la diminution de l'indice gingival observée cliniquement est en corrélation avec la diminution de l'infiltrat inflammatoire observée histologiquement dans le chorion.

L'activité cicatrisante de l'Énoxolone sur le tissu gingival a été suspectée chez le rat par Capra (1966). Jusqu'à ce jour, aucune étude clinique et biochimique chez l'homme n'a permis de contrôler cette activité, en dehors de constatations isolées (non publiées) d'une accélération de la cicatrisation en soins postopératoires (chirurgie parodontale). Nous avons voulu analyser l'efficacité de l'Énoxolone au cours de la phase proliférative de la cicatrisation dans des gingivites non spécifiques. En effet, cette phase proliférative est sous la dépendance des fibroblastes du chorion gingival qui assurent la reconstitution de la matrice extracellulaire (Pitaru et coll., 1994). A été examinée la capacité de prolifération des fibroblastes issus des biopsies des patients traités par Énoxolone en comparaison avec ceux traités par le placebo ainsi que leur capacité à synthétiser du collagène. Sur l'ensemble des biopsies gingivales analysées en culture cellulaire et qui ont fourni des fibroblastes (n = 8), 7 provenaient de patients qui avaient été traités par l'Énoxolone, le dernier cas provenant d'un patient traité par le placebo. Il semble donc que l'Énoxolone ait eu une influence positive sur la prolifération des fibroblastes gingivaux.

En ce qui concerne la reconstitution de la matrice conjonctive, c'est l'analyse de la stimulation des fibroblastes gingivaux par l'Énoxolone dans un modèle de muqueuse buccale maintenue en survie ex vivo qui nous a permis de mettre en évidence l'augmentation significative de la synthèse de collagène par rapport aux muqueuses témoins ou celles traitées par le placebo. Ce modèle de culture d'organe à long terme, développé initialement pour la peau (Boisnic et coll., 1995, 1997), permet d'analyser l'efficacité de produits finis, dans des conditions proches de l'in vivo. Ainsi, nous avons pu montrer une augmentation significative de l'incorporation de proline tritiée par les fibroblastes gingivaux et donc la synthèse de néocollagène après 30 jours de traitement par l'Énoxolone.

Cette étude préliminaire confirme l'intérêt de l'Énoxolone chez des patients atteints de gingivites en accélérant la diminution de l'indice gingival et en permettant un meilleur traitement de la cicatrisation des tissus parodontaux.

Nous remercions vivement mesdames A. Lesot et N. Vignot pour la réalisation des coupes histologiques (Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service d'Anatomopathologie du Pr Le Charpentier).

BIBLIOGRAPHIE

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