Risque génétique et susceptibilité à la maladie parodontale - JPIO n° 1 du 01/02/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/1998

 

Articles

M.G. Newman  

University of Southern California School of Dentistry USA

Résumé

Lorsqu'une susceptibilité génétique à la destruction parodontale est combinée à un autre facteur de risque connu, le praticien et le patient peuvent déterminer l'urgence et l'importance des besoins thérapeutiques. La mise en évidence scientifique du risque génétique à la destruction parodontale découle de la validation de l'association entre un important médiateur de l'inflammation et la sévérité de la destruction parodontale. Les patients qui présentent un marqueur génétique particulier pour l'interleukine 1 (IL1) produisent quatre fois plus d'interleukine 1 en réponse à une même agression bactérienne. A partir des données scientifiques et cliniques, il peut être possible d'expliquer pourquoi et comment des patients présentant des quantités et des types de plaque dentaire identiques peuvent avoir des manifestations cliniques et des réponses au traitement complètement différentes. Environ 30 % de la population possède un marqueur génétique et a donc plus de risques de développer et/ou d'évoluer vers des destructions sévères. En incorporant l'évaluation du risque génétique aux examens habituels, le praticien peut optimiser le traitement et la prévention avant que la situation clinique du patient ne se détériore.

Summary

When information about genetic susceptibility to periodontal disease is combined with other risk factor information, the dentist and patient can determine the urgency and intensity of treatment needs. The scientific discovery of the genetic risk to periodontal disease was the validation of the association between an important mediator substance of inflammation and periodontitis disease severity. Patients who carry a unique genetic marker for the cytokine interleukin 1 (IL1), produce as much as 4 times more IL1 in response to the same bacterial challenge. Based on the scientific and clinical findings it may be possible to explain how and why patients with the same amount and type of dental plaque may have remarkably different clinical characteristics and responses to treatment. Approximately 30 % of the population have the genetic marker and are therefore at more risk for developing and/or progressing towards severe disease. By incorporating genetic risk information into routine patient care, the dentist can optimize treatment and prevention before the patient's condition becomes worse.

Key words

Risk, susceptibility, genetic, periodontitis

Les chirurgiens-dentistes ont essayé pendant de nombreuses années de comprendre pourquoi des patients ayant des dépôts de plaque similaires en quantité et en composition présentaient des manifestations cliniques très différentes. Certains patients ont peu de plaque et des destructions sévères alors que d'autres patients présentent des dépôts importants et peu de destruction. L'apparition d'une nouvelle classe de tests cliniques de susceptibilité, permet aux praticiens et à leurs patients de mieux comprendre pourquoi de telles différences cliniques existent.

Le premier et seul test commercialisé fondé sur la génétique indique qu'une personne qui possède le marqueur génétique produit de plus grandes quantités d'un médiateur clé de l'inflammation, IL1, au cours de la réponse inflammatoire à la plaque bactérienne. A partir des études réalisées en Amérique du Nord et en Europe, on estime qu'environ 30 % de la population possède ce marqueur (test positif) et a donc plus de risque de développer et/ou de voir évoluer une parodontite. Il a été montré que les individus ayant le marqueur de susceptibilité ont 6 à 19 fois plus de risque de développer une maladie parodontale sévère que les personnes ne le possédant pas. Les patients positifs pour ce test présentent environ 5 fois plus de gingivorragies que les patients négatifs. Cette nouvelle donnée corrobore et complète les recherches microbiologique et immunologique actuelles.

Le même type de traitement réalisé par le même praticien sur deux patients identiques peut aboutir à des résultats très différents qui ne peuvent pas s'expliquer uniquement par des différences techniques ou anatomiques. La raison évoquée est que chaque patient cicatrise et répond d'une façon particulière à sa propre plaque. S'il est possible de connaître quelle sera la réponse du patient avant le traitement, il est alors possible de déterminer les techniques les mieux adaptées et le niveau d'hygiène requis.

Remarque clinique. L'identification des patients les plus sensibles à la plaque offre au praticien et au patient la possibilité de définir leurs priorités et d'intervenir avec un traitement adapté et ciblé.

Kornman et coll. (1997) ont réalisé une étude clinique multicentrique sur le test, le PSTTM (détecteur du marqueur génétique associé aux parodontites). Le test est réalisé dans un laboratoire à partir d'une goutte de sang prélevée au niveau du doigt. Les résultats sont disponibles en 2-3 semaines.

Le test détecte les personnes ayant un marqueur génétique spécifique qui entraîne la production d'interleukine 1 dans des quantités quatre fois supérieures à la normale. Cette cytokine est un important médiateur de l'inflammation qui joue un rôle essentiel dans l'inflammation et l'expression de la destruction parodontale (Stastenko et coll., 1991).

Depuis 1975, les cliniciens et les chercheurs se sont intéressés aux effets de bactéries spécifiques et aux composants de la réponse inflammatoire sur le développement et la progression de la destruction parodontale. Les informations recueillies ont conduit au développement de thérapeutiques antibactériennes et anti-inflammatoires, cliniques et chimiques.

A partir des données scientifiques les cliniciens ont commencé à examiner des échantillons de plaque, de fluide gingival, de sérum et de sang. Il leur était alors possible d'avoir une image relativement bonne de l'état actuel d'un patient ou du site d'où était issu le prélèvement. Dans certains cas, l'analyse de ces échantillons biologiques a fourni au clinicien l'explication des réponses de l'hôte passées mais cette information ne pouvait pas être utilisée pour prédire l'évolution future de la maladie ou orienter le clinicien vers une approche thérapeutique à long terme.

Remarque clinique. Selon l'ancien concept d'étiopathogénie de la maladie parodontale, la réponse de l'hôte à la plaque est d'abord fonction de la quantité et de la qualité de la plaque elle-même. Cela suppose que la réponse est systématique et prévisible. Plus il y a de plaque, plus la maladie est importante. Meilleure est l'hygiène et meilleur sera le contrôle de l'inflammation. De nombreux cliniciens traitent chaque patient comme s'ils avaient le même potentiel à développer une maladie parodontale en fonction de la quantité et de la situation des dépôts de plaque. On sait aujourd'hui que cette approche est inadaptée puisque chaque personne répond différemment à la même plaque.

Ce nouveau test offre au clinicien la possibilité de déterminer quelle sera la réponse probable d'un patient s'il est confronté à la plaque bactérienne. Il est important de souligner que le facteur génétique ne sert pas au diagnostic des maladies parodontales. Savoir comment un patient répondra aux agents étiologiques ne signifie pas poser un diagnostic de maladie.

Marqueur pronostic

Le résultat du test PSTTM peut être interprété comme un marqueur pronostic de la susceptibilité, de la prédisposition, de risque augmenté pour une parodontite sévère. Quelle est la différence entre un test diagnostic et un test pronostic ? Le test diagnostic fournit la preuve de la présence de la maladie selon les définitions et les classifications reconnues. Perte osseuse radiographique, perte d'attache, récession et présence de poches sont des critères de diagnostic des parodontites. Un test pronostic est une estimation quantitative de l'évolution future de la maladie après que le diagnostic ait été posé selon les critères et techniques habituels. Le pronostic génétique indique au praticien et au patient que lorsque la plaque s'accumule au niveau d'une poche ou du sulcus gingival, les patients génotype + (les patients ayant le marqueur) réagiront à cette plaque avec des quantités plus importantes d'interleukine 1. Ce médiateur de l'inflammation est associé aux formes sévères de parodontites et de péri-implantites.

Les personnes qui sont génotypes - pour le marqueur et qui ne sont pas de grands fumeurs ne vont pas « sur-répondre » à leur propre plaque. Ces patients auront des parodontites localisées marginales ou modérées comparées aux parodontites développées par les patients génotype + dans des conditions similaires.

Remarque clinique. Dissocier le diagnostic et l'évaluation du risque est essentiel pour comprendre la valeur du risque génétique et le bénéfice qu'il apporte dans le choix thérapeutique. Il est alors possible aux cliniciens d'éviter le sous-traitement lorsqu'une intervention parodontale est nécessaire ou bien d'améliorer les résultats après des traitements prothétiques, implantaires ou orthodontiques.

L'intégration des facteurs de risque et de susceptibilité dans la pratique quotidienne est déjà faite. « Tous » les praticiens font une anamnèse médicale et dentaire afin de déterminer leurs implications sur la décision thérapeutique. L'intégration de la susceptibilité génétique dans l'évaluation du facteur de risque fait partie de la prise en charge du patient depuis plusieurs années (tableau I). Certains facteurs de risque sont déjà associés aux parodontites (tableau II).

Les facteurs de risque biologiques tels que le génotype et les facteurs de risque comportementaux comme le tabac et l'hygiène orale amplifient et modifient les effets de la plaque et influencent la sévérité clinique de la maladie. Il est important de connaître l'interaction de ces multiples facteurs car le clinicien et le patient peuvent intervenir de façon à neutraliser leurs effets pathogènes (fig. 1).

Explication scientifique

Les recherches ont montré qu'environ 30 % de la population présentait une légère différence au niveau des gènes responsables de la synthèse de l'interleukine 1. Ces formes différentes s'appellent les polymorphismes. Ces polymorphismes associés aux cytokines peuvent altérer la quantité et/ou la capacité de la cytokine à assurer ses fonctions au cours des réponses inflammatoire et immune. Ces polymorphismes peuvent concerner un seul appariement de base au niveau du segment de l'ADN qui code pour la cytokine. Dans le cas des parodontites, des modifications concernant une seule paire de base ont été observées au niveau de deux des trois gènes majeurs responsables de la production d'IL1α et β. Lorsque ces deux polymorphismes existent, la quantité de cytokines produite après stimulation par la plaque bactérienne est plus importante. Les monocytes des patients génotype + produisent plus d'IL1 après stimulation par les antigènes bactériens (Kornman et Di Giovine, 1997). Ceci est important puisque la production accrue d'IL1 a été clairement associée à la pathologie des parodontites. Il semble que la production d'IL1 provoque des formes plus sévères et généralisées de maladie. La démonstration du mode de fonctionnement du polymorphisme est un élément important de la preuve scientifique utilisée pour valider la signification clinique de l'association maladie parodontale-génétique.

Mesure du risque

Les informations fournies par les études cliniques contrôlées ont permis de mieux comprendre l'importance du risque au niveau des parodontites sévères. Les statisticiens et les cliniciens ont utilisé les taux de probabilité pour déterminer le risque relatif de facteurs spécifiques associés à des résultats cliniques particuliers. Par exemple, le rapport de 2,5 entre le cholestérol et les maladies cardiovasculaires signifie qu'une personne ayant un taux de cholestérol sanguin de 250 mg/dl a deux fois et demie plus de risque d'avoir une maladie cardiovasculaire qu'une personne ayant un taux de cholestérol moins élevé. Le risque absolu est une autre mesure de risque qui compare les différences quantitatives réelles entre les groupes.

Relation tabac-génotype

Dans l'étude de (Kornman et coll. 1997), 86 % des parodontites observées étaient en rapport avec une forte consommation tabagique et la présence du marqueur PSTTM. Ces deux facteurs peuvent être utilisés par les cliniciens, en association avec d'autres facteurs, pour déterminer le risque global d'un patient face aux parodontites et à leur progression. Pour les patients gros fumeurs, c'est-à-dire ayant une consommation tabagique supérieure à un indice 20 (n-paquet par jour x nombre d'années) l'importance d'un tel facteur peut pondérer l'influence du facteur génétique dans la sévérité de la maladie. Pour les patients ayant une consommation tabagique moindre, le génotype semble contrôler de façon significative le développement et la sévérité de la maladie.

Conséquences pour la pratique clinique et la santé publique

Remarque clinique. Pour la première fois, nous disposons d'une information génétique concernant une maladie chronique courante que l'on peut traiter et prévenir. Ceci peut aider le personnel de santé et les responsables de la Santé publique dans la prise de décisions. Le fait de savoir qu'une personne présente un risque de développer une maladie plus sévère devrait influer sur l'urgence et l'importance des mesures de prévention et de traitement. Cette information permet au patient d'être pris en charge d'une manière plus ciblée et plus efficace.

Le résultat du test, positif ou négatif, fournit au patient, au praticien et à l'hygiéniste une information importante qui permet de tirer des conclusions pour le traitement et le pronostic. En général, la susceptibilité du patient et la connaissance du risque devraient être évaluées chaque fois que le praticien doit choisir un traitement et un programme de maintenance. L'évaluation génétique du facteur de risque considère le patient d'une façon générale ; elle complète les tests bactériens et biologiques qui sont spécifiques d'un site.

Le dépistage chez les sujets jeunes avant l'apparition de la maladie représente un important moyen de prévention et une opportunité pour la santé publique. Les enfants des patients ayant une maladie parodontale modérée ou sévère sont des candidats potentiels à ce type de dépistage.

Interprétation clinique des résultats du test

Connaître le facteur de risque chez un patient permet d'orienter le choix thérapeutique et le plan de traitement. La figure 2 représente un arbre de décision pour les patients ayant une maladie parodontale modérée à sévère. Chez les patients ayant déjà une maladie parodontale, la connaissance du rôle joué par la génétique dans la situation clinique du patient est importante puisqu'elle constitue le meilleur moyen pour élaborer un plan de traitement qui limitera toute détérioration ultérieure. Cette information est également importante pour les membres de la famille du patient puisqu'il sera alors possible de mettre en place des mesures préventives et correctrices avant l'apparition de destruction importante. La liste suivante et le tableau III fournissent quelques observations générales pour la prise en charge des patients en fonction de leur statut génétique.

Patient génotype négatif

• Un résultat de test négatif ne signifie pas que le patient ne présentera pas de maladie parodontale. Les parodontites sont des maladies plurifactorielles et des facteurs environnementaux tels que le tabac et le contrôle de plaque peuvent toujours avoir des effets. En revanche, cela signifie que le praticien peut :

- maintenir le patient de façon plus conservatrice,

- être plus confiant dans les résultats à long terme si une chirurgie est nécessaire dans le futur,

- renforcer la motivation du patient pour maintenir sa santé parodontale.

Patient génotype positif

• Un résultat de test positif peut signifier qu'en tant que clinicien il faut :

- agir de façon radicale et faire de la prévention,

- ne pas être attentiste,

- envisager de façon précoce et radicale toute nécessité de retraitement,

- utiliser plus de compléments d'hygiène orale,

- traiter les poches parodontales si et quand cela est nécessaire (réduire le risque et faciliter l'accès),

- adresser le patient à un spécialiste.

Conclusion

Il est probable que l'exercice de la parodontie basée sur le risque et la susceptibilité va entraîner un changement de comportement pour les chirurgiens-dentistes, les patients et le public. Une approche plus personnalisée du patient va remplacer les concepts traditionnels de traitement et de prévention. L'évaluation du risque et de la prédisposition devrait représenter une priorité pour la prise de décision lors du diagnostic et l'élaboration de plan de traitement. Puisque les cliniciens peuvent aujourd'hui identifier et apprécier de façon plus précoce le risque parodontal, il est possible d'améliorer les rapports coût/bénéfice. La détection précoce favorise un plan de traitement adapté qu'il soit préventif, prophylactique ou chirurgical. Le contrôle et la réduction des parodontites peuvent également réduire le risque d'une pathologie générale telle que les maladies cardiaques, les nouveau-nés de faible poids et contrôler les diabètes.

Les professions de santé sont entrées dans une nouvelle ère où les tests de susceptibilité feront partie de la routine. Cependant, pour être efficace, l'information recueillie doit servir à changer les décisions thérapeutiques. Un jugement doit être porté que l'information fournie soit « souhaitée » ou non par le patient. Dans le cas des maladies parodontales l'évaluation de la susceptibilité génétique grâce au test PSTTM 1 est nécessaire puisqu'il a été prouvé que cela permettait de prévenir et de traiter ces maladies.

BIBLIOGRAPHIE

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