Litiges et implantologie - JPIO n° 1 du 01/02/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/1998

 

Articles

Alain BÉRY *   Evelyne BÉNAÏM **  


*Paris

Résumé

Il est communément admis que les litiges et les expertises relatives à l'acte implantaire sont nombreux et augmentent d'une façon exponentielle. Cette étude, faite en analysant la jurisprudence et les dossiers des principales compagnies d'assurances, montre qu'il convient de moduler sérieusement cette assertion.

Summary

It is commonly asserted that litigation and requests for expert opinions in connection with implants are numerous and increasing exponentially. This study, which analyses legal settlements and files from major insurance companies, indicates that it is time to seriously reconsider this assertion.

Key words

Implantology, responsibility, expertise, litigation, insurance company

Si le chirurgien-dentiste a la capacité de réaliser un implant peut-on considérer, qu'en l'état de sa formation universitaire, il en a la compétence (Béry, 1990) ?

Dans le cadre de la réforme des études, la Commission pédagogique nationale des études odontologiques propose un enseignement de l'implantologie d'une durée de 25-30 heures avec les thèmes suivants (BO n° 46, 25 décembre 1997) :

1. Bilan médical et chirurgical pré-implantaire :

- indications des implants ;

- contre-indications des implants ;

- gestion du plan de traitement - stratégies thérapeutiques.

2. Chirurgie implantaire :

- les grands systèmes implantaires ;

- pose des implants avec aménagement ou non du site implantaire ;

- mise en fonction ;

- complications de la chirurgie implantaire et gestion des échecs chirurgicaux.

3. Prothèse implantaire :

- généralités sur la prothèse implantaire ;

- différents types de prothèses sur implants ;

- réalisation des infrastructures ;

- occlusion ;

- cosmétologie ;

- suivi thérapeutique.

Il faut se rendre à l'évidence, cet enseignement est insuffisant pour permettre à un praticien, qui quitte l'université, de réaliser un acte implantaire.

Cet état de fait entraîne une floraison de publicités (cours, séminaires, conférences, diplômes d'université, attestations d'étude…) inhérentes à la pratique de l'implantologie.

On est alors en droit de s'interroger sur la valeur du formateur, sur les montants des droits d'inscription (Béry, 1996).

Le Service des études de l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale a réalisé un dossier sur l'implantologie orale où l'on peut lire en son chapitre V (Pleskof, 1993) intitulé « Implantologie et responsabilité » :

L'implantologie fait appel à des techniques délicates et des structures prothétiques complexes. Obligation de moyens, obligation de résultat font l'objet d'analyses diverses. On constate que le nombre de litiges et d'expertises augmente progressivement chaque année.

Lors d'expertises effectuées (signalons que nous n'avons pas retrouvé dans la littérature de publications faisant état ni du nombre d'expertises ni des pourcentages rapportés ci-après) :

• Dans 71 % des cas, c'est la prothèse sur implants qui est en cause et les reproches portent sur :

- l'esthétique ;

- le fonctionnel ;

- à la fois le fonctionnel et l'esthétique ;

- les troubles à distance (paralysie, infection…) ;

- les problèmes de maintenance.

• Dans 25 % des cas, c'est l'intervention chirurgicale qui est incriminée et les doléances portent sur :

- la mobilité de l'implant ;

- la chute précoce ou tardive de l'implant ;

- la fracture de l'implant ;

- les infections ;

- les fractures mandibulaires ;

- et plus récemment sur les problèmes liés au sinus (comblements, élévation…).

• Dans 4 % des cas ce sont les problèmes parodontaux et les biomatériaux qui sont en cause.

L'absence de réglementation, d'homologation et de formation spécifique autorise une liberté qui ne dégage pas le praticien de ses responsabilités. Au contraire, le choix du matériel, des techniques et de l'environnement opératoire lui incombe ainsi que l'indication, les investigations cliniques et paracliniques, la conception prothétique, et la maintenance. Le clinicien doit vérifier les informations qui lui parviennent, divulguées par la presse professionnelle et les dossiers publicitaires. Il doit analyser la valeur des données qui lui sont communiquées, selon les principes de la lecture critique de la littérature.

Responsabilité - Obligation de moyens - Obligations de résultat - Procédure - Avocat - Assurance

Il nous est apparu important, cinq ans plus tard, de faire le point sur le nombre de litiges, s'ils augmentent réellement ou s'il s'agit du monstre du Lochness.

Les résultats que nous publions ont été obtenus après une enquête effectuée auprès des principales compagnies d'assurances et après une analyse de la jurisprudence.

L'implantologie, bien qu'étant une discipline récente, fait partie des « données acquises de la science ». Face à un échec, l'utilisation d'un procédé nouveau sera-t-il considéré comme une faute tant que cette nouvelle technique n'aura pas été consacrée par des réussites prouvées et reconnues ? « Ne risque-t-on pas, en condamnant l'audace, de paralyser l'initiative créatrice des praticiens dont les bénéficiaires sont finalement les malades ? » (Chardon, 1972).

Un certain nombre de patients attendent de l'implantologie des solutions miracles. Toute désillusion peut être à l'origine d'une plainte. Les conflits peuvent naître de l'échec toujours possible de l'acte implantaire, d'un mauvais rétablissement de la fonction masticatrice, d'une esthétique non satisfaisante ou encore et surtout du coût élevé du traitement. (Béry, 1987).

La Sécurité sociale ne prend en charge ni les interventions chirurgicales de mise en place des implants ni le matériau implantaire lui-même. La prise en charge des investigations de l'imagerie (scanner), nécessaire à l'exploration du site implantaire, a été supprimée. Seule la prothèse implanto-portée peut faire l'objet d'une modeste prise en charge par assimilation à la codification relative à la prothèse adjointe partielle. Les mutuelles indexées sur les remboursements de la Sécurité sociale ne couvrent pas non plus les frais occasionnés par l'implantologie.

Malgré tous les risques de conflits, « il est indispensable pour qu'il exerce son métier au mieux des intérêts de son patient que le médecin n'ait pas constamment à l'esprit le spectre de la responsabilité » (Penneau, 1993). La responsabilité civile professionnelle (qui n'est en rien obligatoire) est une nécessité pour le chirurgien-dentiste.

Le rapport, sur l'exercice 1996, publié le 30 septembre 1997, du Conseil médical du GAMM (Groupe des Assurances Mutuelles Médicales) - qui réunit en co-assurance le Sou médical et la Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF) - fait le bilan sur les dossiers ouverts en responsabilité civile professionnelle. Il est noté dans le chapitre « chirurgiens-dentistes » :

Les 9 137 adhérents chirurgiens-dentistes du GAMM ont adressé 301 déclarations (+ 14 %), soit une fréquence de 3,3 %.

Parmi elles, 203 contestations de la qualité des soins dentaires ou des prothèses réalisées, dont 8 concernant des implants et 87 accidents divers, dont anesthésie labio-mentonnière (4) et linguale (4) ; dépassement de « pâte » dentaire (8) ; complications infectieuses (8) ; blessures ou brûlures commissurales après soins en bouche (2) ; fracture de la mandibule ; nécrose osseuse ; allergie après pose de couronne…

Complications après traitement orthodontique (7), dont rhyzalise des incisives (3), carie (2)… Bris d'instruments laissés en place (5) ; bris de dents ou de prothèse (19) ; erreur d'extraction dentaire (7) ; ingestion de dent, de prothèse ou d'instruments divers (7).

Par ailleurs, un choc hémorragique post-extraction dentaire entraînant le décès par infarctus du myocarde (arrêt des anticoagulants quatre jours avant l'extraction dentaire, mais absence de contrôle ultérieur de l'hémostase).

Accidents corporels divers (7) : chute du scialytique ou de l'ensemble radiologique, projection oculaire accidentelle de produit dentaire, chute au cabinet, piqûre avec une aiguille jetée dans la poubelle de l'immeuble…

Il est important de préciser que ces 301 déclarations en responsabilité civile professionnelle ne veulent pas dire, en l'espèce, que dans chaque cas, le praticien voit sa responsabilité engagée.

La responsabilité civile professionnelle (RCP) et « surprime implantologie »

(voir tableau)

Il existe principalement cinq compagnies d'assurances qui couvrent la RCP du chirurgien-dentiste :

- l'Assurance Dentaire (17 000 adhérents) ;

- la Médicale de France (5 500 adhérents) ;

- l'UJCD (2 000 adhérents) ;

- la MACSF (chiffres non communiqués) ;

- le Sou Médical (400 adhérents) ;

- GAMM (MACSF + Sou médical : 9 137 adhérents) ;

auxquelles il convient d'ajouter les assurances individuelles (UAP, GAN, etc.).

Ces assurances réclament une surprime concernant l'exercice de l'implantologie.

La surprime implantologie est assez onéreuse, elle peut être le triple, voire le quadruple de la prime de la RCP ; en effet la non-connaissance du coût du risque encouru entraîne pour les compagnies d'assurances la nécessité de la mise en place d'un fond de couverture prévisionnelle.

La différence du coût de la surprime entre les diverses compagnies d'assurances s'explique par le nombre d'adhérents, ainsi que par la spécificité propre aux différentes clauses de garanties souscrites. En ce sens, l'assurance dentaire demande une surprime aux praticiens qui réalisent la prothèse sur implants au même titre que ceux qui réalisent l'acte chirurgical.

Cette surprime intéresse près de 10 % de la profession, soit environ 2 150 chirurgiens-dentistes.

- Assurance Dentaire : en 1991, 655 praticiens réglaient une surprime implantologie ; en 1996, ils sont 1 200, soit en 5 ans presque le double ;

- Médicale de France : 550 ;

- UJCD : 300 ;

- Sou Médical : 80 ;

- MACSF : non communiqué (cf. rapport GAMM 1996).

Étude des sinistres liés à l'implantologie

Documents Assurance Dentaire (AD)

De 1980 à 1996, 69 déclarations de sinistres sont parvenues à l'AD, dont 9 concernent le même praticien. Les suites inhérentes à ces sinistres ont été les suivantes :

- 28 transactions amiables (40,6 %) ;

- 11 sans suite (16 %) ;

- 17 procédures judiciaires (24,6 %), dont 7 (10 %) non jugées ;

- 13 en cours (18,8 %).

En ne prenant en considération que les dossiers définitivement réglés (49) on relève que :

- 57,2 % voient une transaction amiable (28, dont une en cours de procédure) ;

- 20,4 % vont en procédure judiciaire (10), avec comme jugement ;

- 50 % : patients déboutés (5) ;

- 50 % : la responsabilité du praticien est mise en cause (5) ;

- 22,4 % sont sans suite (11).

Soit, en moyenne sur 15 ans : 4,6 déclarations de sinistres concernant l'acte implantaire (nombre relativement stable d'une année sur l'autre).

Seuls, en 15 ans, 5 praticiens ont vu leur responsabilité retenue par les tribunaux.

Par contre, dans le cadre des transactions amiables (28) qui ont donné droit à indemnisation pour le patient, on peut, de toute évidence, considérer que la responsabilité du praticien était établie.

En conséquence de quoi, ce sont 33 actes implanto-prothétiques, en 15 ans, qui ont entraîné la mise en jeu de la responsabilité du praticien.

En sachant qu'un praticien à lui seul compte 7 sinistres, en 15 ans ce sont 27 praticiens qui ont vu leur responsabilité retenue.

Documents UJCD

Deux sinistres en cours de règlement (où dès à présent la responsabilité des praticiens a été retenue).

Documents Sou Médical

Un sinistre en cours de règlement (où dès à présent la responsabilité des praticiens a été retenue).

Documents Médicale de France

En 1996 (il n'y a pas de statistiques sur les années précédentes), 12 sinistres implantologie ont été déclarés, 8 ont été, à la date de ce jour, réglés à l'amiable. La politique de cette compagnie d'assurances est d'éviter au maximum la procédure judiciaire pour ne pas entacher la réputation du chirurgien-dentiste.

Cette compagnie d'assurances spécifie que : « une réclamation sur quatre découle d'un acte d'implantologie. Jadis couverte sans surprime, l'implantologie a pu peser sur les résultats techniques de la compagnie. Depuis deux ans, la pratique fait l'objet d'une approche tarifaire spécifique mais non discriminatoire ».

Indemnisation et coÛt moyen des sinistres

De l'analyse des indemnisations allouées au patient par les tribunaux, il ressort que la somme moyenne est de 62 500 F.

Par contre, dans le cadre des dossiers réglés par procédure amiable, la moyenne de l'indemnisation allouée est de 29 484 F.

Sur le fondement des chiffres cités précédemment, ramenés par année :

- procédure judiciaire, 2 dossiers, soit :

62 500 × 2 = 125 000 F ;

- procédure amiable, 4 dossiers, soit :

29 484 × 4 = 117 936 F ;

pour un coût global par an approximativement de : 245 000 F.

Ce qu'il convient en toute honnêteté de rapporter aux surprimes encaissées, par an, par les compagnies d'assurances : 3 549 200 F.

Quant au nombre d'implants posés par an en France, il est difficile d'obtenir un chiffre reflétant la réalité, tant au niveau des chirurgiens-dentistes qu'au niveau des fournisseurs ; cependant une fourchette fait état de 30 000 à 40 000 implants mis en place par an, chiffre qui semble raisonnable en comparaison des 2 150 chirurgiens-dentistes qui règlent la surprime implantologie.

Conclusion

Au vu de cette analyse, il est temps, et ce dans l'intérêt de la profession et du chirurgien-dentiste en particulier, d'arrêter de prétendre que les procès en responsabilité concernant l'acte implantaire sont nombreux et en croissance exponentielle.

D'autre part, il est peut-être sage de s'interroger sur le montant de la surprime, voire de sa nécessité.

L'Université a encore beaucoup à faire au niveau de la formation des praticiens.

Quant à l'avenir, il serait raisonnable de ne plus mettre en exergue les rares procédures condamnant les praticiens ; il devient urgent d'insister sur les procédures sans suite et celles où les patients sont déboutés. Le comportement procédurier de certains patients ne doit pas jeter l'opprobre sur notre profession.

BIBLIOGRAPHIE

  • BÉRY A. Aspects juridiques de l'implantologie dentaire. Prat Dent 1987;2:42-45.
  • BÉRY A. Etude de la jurisprudence récente dans l'acte de soins de la chirurgie dentaire. Thèse de doctorat d'état en Odontologie. Paris VII, 1990;136 p.
  • BÉRY A. L'exercice libéral de l'odontologie : aspects éthique et juridique. Thèse de doctorat d'université en éthique médicale. Paris V, 1996;322 p.
  • CHARDON JC. Les responsabilités du chirurgien-dentiste. Paris : Librairie Julien. Prélat, 1972;304 p.
  • PENNEAU J. La responsabilité médicale. Paris : Dalloz, 1993;218 p.
  • PLESKOF R. Implantologie orale. Etat actuel des connaissances. ANDEM. Service des Etudes. jan. 1993;p. 75.
  • Rapport du Conseil médical du GAMM. Le Concours médical, sept. 1997.