Dysfonction des neutrophiles : pierre angulaire de l'infection parodontale ? (II) - JPIO n° 2 du 01/05/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/1998

 

Articles

Marie-Hélène COTTET  

Département de Biologie
Matières fondamentales
Faculté de Chirurgie dentaire Paris VII, Denis-Diderot

Introduction

En ce qui concerne le parodonte, un petit nombre de neutrophiles traverse en permanence l'épithélium de jonction, même dans une gencive cliniquement saine. Leur nombre augmente lorsque les bactéries commencent à s'accumuler dans le sillon gingival (Attström, 1971). Ils jouent un rôle crucial dans le contrôle de la dissémination bactérienne en s'interposant entre la surface de la plaque bactérienne et...


Résumé

les polynucléaires neutrophiles protègent le parodonte en s'interposant entre l'épithélium sulculaire, ou l'épithélium de la poche, et la surface de la plaque bactérienne. en conséquence, toute dysfonction de ces cellules peut entraîner une susceptibilité accrue du parodonte aux infections. la plupart de ces infections se traduiront cliniquement par la présence d'une gingivite et d'une parodontite dont la sévérité dépendra de la nature et de l'importance de la dysfonction.

Introduction

En ce qui concerne le parodonte, un petit nombre de neutrophiles traverse en permanence l'épithélium de jonction, même dans une gencive cliniquement saine. Leur nombre augmente lorsque les bactéries commencent à s'accumuler dans le sillon gingival (Attström, 1971). Ils jouent un rôle crucial dans le contrôle de la dissémination bactérienne en s'interposant entre la surface de la plaque bactérienne et l'épithélium sulculaire ou l'épithélium de la poche (Garant, 1976). Quant aux macrophages, s'ils sont rares dans le tissu conjonctif de la gencive cliniquement saine, leur nombre augmente au niveau des lésions sévères (Jully et coll., 1982) et actives (Davenport et coll., 1982).

Ces phagocytes qui remplissent donc d'importantes fonctions effectrices dans les défenses de l'hôte contre les micro-organismes envahisseurs peuvent malheureusement présenter des anomalies fonctionnelles dont la plupart seront responsables d'une susceptibilité accrue aux infections (Cottet, 1998). Etant donné qu'une grande part de notre connaissance de la pathogenèse de ces immunodéficits congénitaux et acquis vient de l'étude des neutrophiles, nous concentrerons notre attention sur l'étude de ces dernières cellules et discuterons les relations existant entre leur dysfonction et la susceptibilité du parodonte aux infections.

Anomalies du fonctionnement des neutrophiles

Etant donné que les neutrophiles constituent la première ligne de défense cellulaire, les anomalies qui affectent cette lignée cellulaire sont très souvent symptomatiques. Ces défauts peuvent résulter soit d'anomalies quantitatives, soit d'anomalies de l'adhérence et de la locomotion, soit d'anomalies de la bactéricidie. Ils peuvent être intrinsèques ou extrinsèques, les défauts intrinsèques étant généralement plus sévères que les défauts extrinsèques. La plupart des maladies ou syndromes qui en résultent s'accompagnent d'anomalies affectant d'autres populations cellulaires. Les manifestations cliniques sont essentiellement le fait d'infections qui prédominent au niveau des surfaces épithéliales. Lorsque l'importance des anomalies s'accroît, les infections ont tendance à se propager localement ou en profondeur dans les tissus. Dans cette revue de la littérature, nous nous attacherons à la description des dysfonctions associées à des parodontopathies.

Neutropénies

La neutropénie est définie comme étant une diminution du nombre absolu des neutrophiles sanguins supérieure à deux déviations standard par rapport à la moyenne. Son importance peut être « légère » (1,0-1,5 x 109 neutrophiles/L), « modérée » (0,5-1,0 x 109 neutrophiles/L), ou « sévère » (moins de 0,5 x 109 neutrophiles/L). Il s'agit du défaut granulocytaire le plus commun, il apparaît 1) si la granulocytopoïèse est réduite ou inefficace, ou 2) s'il y a élimination accélérée des neutrophiles à la périphérie. Le terme d'agranulocytose est souvent employé pour désigner une neutropénie sévère. L'incidence et la sévérité des problèmes infectieux qui l'accompagnent sont directement proportionnelles à l'importance et à la durée de la neutropénie. Le risque infectieux est plus important lorsque le nombre des neutrophiles est inférieur à 0,5 x 109/L. Quant à la sévérité des infections, elle est aggravée par la présence de défauts affectant d'autres éléments du système immunitaire et par l'incapacité de la moelle osseuse de répondre à des sollicitations. Ces infections sont habituellement provoquées par des micro-organismes normalement retrouvés au niveau de la peau, du nasopharynx, de la cavité buccale et des intestins. Elles peuvent se traduire par des antrites, des abcès, une furonculose, une stomatite, une gingivite, une parodontite, une pharyngite ou une inflammation périrectale. On peut également observer une septicémie ou des infections tissulaires profondes (Sievers et Dale, 1996).

Maladie de Kostman. Cette maladie rare est probablement transmise selon le mode autosomique récessif. Le myélogramme montre un arrêt de la maturation de la lignée granulocytaire au stade de promyélocyte-myélocyte. Une éosinophilie et une monocytose peuvent être présentes ; les taux d'IgG et IgA sont habituellement normaux ou accrus (Kostman, 1975). Une gingivite apparaît habituellement avec l'éruption des dents temporaires et l'un des aspects caractéristiques de cette maladie est la présence d'une parodontite précoce (Mishkin et coll., 1976). Les patients peuvent parfois parvenir à l'adolescence (Kostmann, 1975).

Neutropénie idiopathique chronique. Sous ce terme sont regroupées des affections qui touchent des enfants de plus de 2 ans et des adultes. La neutropénie présente chez les enfants est probablement héritée selon le mode autosomique dominant. Le nombre de neutrophiles varie de 0,2 à 2,0 x 109/L alors que le nombre de monocytes est normal ou accru. On peut également observer une augmentation du taux d'immunoglobulines. Dans la plupart des cas, le myélogramme indique une inefficacité de la granulocytopoïèse (Dale et coll., 1979 ; Sievers et Dale, 1996). Les patients peuvent présenter des symptômes allant de la gingivite à la parodontite précoce (Baehni et coll., 1983 ; Kirstilä et coll., 1993 ; Porter et coll., 1994).

Neutropénie cyclique. Cette affection, habituellement diagnostiquée au cours de l'enfance, apparaît sous une forme qui peut être héréditaire autosomique dominante, spontanée ou acquise. Elle est caractérisée par une oscillation périodique régulière du nombre des neutrophiles entre des valeurs normales et des valeurs neutropéniques. La périodicité, constante chez un malade donné, est habituellement d'environ 21 ± 3 jours (Lange, 1983 ; Sievers et Dale, 1996). Le rythme de production des autres lignées hématopoïétiques peut également osciller (Dale et Hammond IV, 1988 ; Sievers et Dale, 1996). Les épisodes neutropéniques durent généralement de 3 à 6 jours et, au cours de ces épisodes, pendant 1 à 3 jours, aucun neutrophile mature ne peut être détecté dans la circulation (Lange, 1983 ; Dale et Hammond IV, 1988 ; Sievers et Dale, 1996). L'oscillation périodique est le résultat d'un défaut inconnu de la régulation de l'hématopoïèse (Lange, 1983). Une monocytose semble compenser la baisse du nombre des neutrophiles (Quie, 1975). Cependant, malgré cette compensation, la plupart des malades présentent, au cours des épisodes neutropéniques, une sensation de malaise, de la fièvre, des ulcérations buccales, une pharyngite associée à des adénopathies cervicales. Ils présentent également souvent une parodontite due à la répétition des épisodes neutropéniques (Cohen et Morris, 1961 ; Wade et Stafford, 1963 ; Prichard et coll., 1984). Avec l'âge, les symptômes s'atténuent, les oscillations deviennent moins prononcées et le tableau clinique tend à ressembler à celui de la neutropénie idiopathique (bénigne) chronique (Quie, 1975 ; Dale et Hammond IV, 1988).

Neutropénie auto-immune. Cette affection, diagnostiquée pendant la petite enfance, est difficile à distinguer de la neutropénie idiopathique chronique. Seule la découverte d'anticorps anti-neutrophiles permet de différencier ces deux maladies (Sievers et Dale, 1996). La neutropénie auto-immune est habituellement sévère mais le nombre des leucocytes est dans les limites de la normalité et une monocytose peut être observée. La plupart des malades présentent des antrites, infections respiratoires et gastroentérites récurrentes ainsi qu'une gingivite. Toutefois, des infections plus sévères peuvent être observées. Des rémissions spontanées peuvent survenir pendant l'enfance (Boxer et Blackwood, 1996).

Neutropénie médicamenteuse. Ce type de neutropénie est provoqué par des réactions idiosyncrasiques vis-à-vis de médicaments. Ces réactions sont imprévisibles. Un premier type de réactions idiosyncrasiques est dû soit à la toxicité directe d'un médicament (ou d'un produit chimique) ou de ses métabolites, soit à un ralentissement de la clearance hépatique ou rénale. Le début est insidieux, différé (plusieurs semaines ou mois après l'exposition initiale au médicament) ; on note une période de latence après une nouvelle exposition. Habituellement, il y a un rétablissement complet après l'arrêt du traitement mais, dans certains cas, la neutropénie peut persister (Quie, 1975 ; Young, 1994 ; Sievers et Dale, 1996). Un second type de réactions idiosyncrasiques est dû à des réactions d'hypersensibilité. Dans ce cas, le médicament se comporte en haptène et stimule la production d'auto-anticorps qui détruisent les neutrophiles. La neutropénie débute 7 à 14 jours après l'exposition initiale au médicament ; il n'y a pas de période de latence après une nouvelle exposition. Les symptômes persistent généralement plusieurs mois après l'arrêt du traitement (Young, 1994 ; Sievers et Dale, 1996). Dans ces deux types de réactions, si la période neutropénique est assez longue, le tableau clinique peut ressembler à celui de la neutropénie idiopathique chronique et les patients peuvent développer une parodontite (Swenson et coll., 1965 ; Ohishi et coll., 1988).

Neutropénie chimio-induite. La chimiothérapie est la cause la plus commune de neutropénie. Habituellement, cette neutropénie apparaît 7 à 10 jours après le début de la chimiothérapie anti-néoplasique. Les patients qui suivent un tel traitement sont plus exposés aux complications infectieuses en raison de la dépression ou suppression médullaire induite (Quie, 1975 ; Boxer et Blackwood, 1996).

Anomalies de l'adhérence et de la locomotion

Syndrome de Chédiak-Higashi (SCH). Le SCH est une affection rare héritée selon le mode autosomique récessif et caractérisée par la présence de granules anormaux géants dans toute cellule contenant des granules. Dans les neutrophiles, les granules géants résultent de la fusion des granules primaires entre eux, de leur fusion avec les granules secondaires ou avec des composants membranaires cytoplasmiques (White et Clawson, 1980). La taille de ces granules peut gêner le départ des neutrophiles de la moelle osseuse, altérer la motilité cellulaire, le chimiotactisme et retarder la dégranulation (Quie, 1975 ; Clawson et coll., 1978). On a également noté l'existence de modifications du rapport adénosine monophosphate cyclique/guanosine monophosphate cyclique (Arbiser, 1995). L'activité des cellules spontanément cytotoxiques (natural killer cells ou cellules NK) et la cytotoxicité dépendante de la présence d'anticorps (antibody-dependent cellular cytotoxicity ou ADCC) sont diminuées (Boxer et Morganroth, 1987). Les malades présentent un albinisme cutanéo-oculaire, une photophobie, un nystagmus rotatoire, des infections récurrentes touchant la peau, l'appareil respiratoire et les muqueuses, une neutropénie modérée et un temps de saignement allongé. Gingivite et parodontite précoce sont également observées (Charon et coll., 1985 ; Brown et Gallin, 1988). Chez un certain nombre de ces malades, le SCH entrera dans une phase accélérée caractérisée par une infiltration lymphohistiocytaire diffuse des organes associée à une pancytopénie et à une neuropathie périphérique. La mort surviendra à la suite d'une infection ou d'une hémorragie.

Déficit d'adhérence leucocytaire (Leukocyte adhesion deficiency ou LAD). Deux types de LAD ont été identifiés. Le LAD de type 1 (LAD I) est une affection rare héritée selon le mode autosomique dominant. Son support moléculaire est la présence de mutations affectant le gène qui encode la chaîne β des intégrines β2. Ces mutations sont responsables d'une absence, d'une insuffisance d'expression ou d'une anomalie structurale du précurseur de la sous-unité β2 qui conduit à un déficit d'expression des trois intégrines β2, LFA-1 (CD11a/CD18), CR3 (CD11b/CD18) et CR4 (CD11c/CD18) (Dimanche-Boitrel et coll., 1988). Ce déficit aboutit à une incapacité des phagocytes et lymphocytes d'adhérer à l'endothélium et de migrer vers les foyers inflammatoires. La première étape de l'adhérence qui repose sur la présence de sélectine L et de l'antigène LewisX sialylé (sLeX) est normale, mais il n'y a pas de renforcement de l'adhérence après stimulation. Les neutrophiles sont également incapables de lier et d'ingérer les particules opsonisées à l'aide de C3bi et, lorsque des particules peuvent être liées, la dégranulation et la réponse oxydative sont réduites (Boxer et Morganroth, 1987). On observe également une diminution de l'ADCC, de l'activité des cellules T cytotoxiques et des cellules NK (Krensky et coll., 1983 ; Kohl et coll., 1984). Sur le plan clinique, le LAD I est caractérisé par une chute retardée du cordon ombilical, une cicatrisation plus lente, des infections récurrentes des tissus mous et une absence presque totale de formation de pus en dépit de la présence d'une neutrophilie (Boxer et Morganroth, 1987 ; Rotrosen et Gallin, 1987). Otites et maladie parodontale sévère sont présentes. La sévérité du phénotype est corrélée à l'importance du déficit en intégrines β2 (Rotrosen et Gallin, 1987). Si le taux d'expression des intégrines β2 est supérieur à environ 3 % des valeurs normales, les patients présentent des symptômes moins sévères et peuvent survivre à la petite enfance ; cependant, même dans ce cas, on note l'existence d'une gingivite et d'une parodontite sévères (Anderson et coll., 1985). Le LAD de type 2 (LAD II) est une affection autosomique récessive décrite chez deux enfants non apparentés qui présentaient une dysmorphose faciale, une déficience mentale sévère, le phénotype érythrocytaire Bombay, des infections récurrentes avec neutrophilie et une parodontite. Le support biochimique de cette affection est l'absence d'antigène sLeX à la surface des neutrophiles. En conséquence, ces cellules sont incapables d'adhérer aux cellules endothéliales activées exprimant les sélectines E et P (Etzioni et coll., 1992 ; Frydman et coll., 1992).

Déficit en granules spécifiques (DGS). Le DGS regroupe des affections rares, hétérogènes, probablement héritées selon un mode autosomique récessif (Breton-Gorius et coll., 1980 ; Ganz et coll., 1988). Les neutrophiles sont caractérisés par une segmentation nucléaire anormale (Breton-Gorius et coll., 1980 ; Parmley et coll., 1983), la présence de granules spécifiques vides (Parmley et coll., 1983), l'absence de défensines (Ganz et coll., 1988 ; Parmley et coll., 1989) et de gélatinase (Parmley et coll., 1989). L'absence de lactoferrine, stockée dans les granules spécifiques, semble présenter une certaine spécificité tissulaire puisque cette protéine est présente dans les sécrétions (Vildé et coll., 1982 ; Raphael et coll., 1989). La conséquence de ces anomalies est un déficit du chimiotactisme (Gallin et coll., 1982) et de l'explosion respiratoire (Breton-Gorius et coll., 1980 ; Gallin et coll., 1982 ; Vildé et coll., 1982) ; toutefois, l'activité bactéricide de ces cellules est normale (Breton-Gorius et coll., 1980 ; Vildé et coll., 1982). Etant donné que les granules spécifiques constituent une réserve de substances qui modulent l'infiltration des monocytes dans les foyers inflammatoires, le chimiotactisme de ces cellules est défectueux in vivo, mais normal in vitro (Gallin et coll., 1982). Les éosinophiles sont également affectés (Rosenberg et Gallin, 1993). Sur le plan clinique, les malades présentent des infections bactériennes récurrentes (Breton-Gorius et coll., 1980 ; Vildé et coll., 1982 ; Raphael et coll., 1989). La littérature fait état d'un cas de DGS accompagné d'une gingivite sévère (Charon et coll., 1985).

Syndrome d'hyperimmunoglobuline E (syndrome de Job, syndrome de Buckley) (SHIE). Le SHIE est une affection autosomique rare à pénétrance incomplète caractérisée par des taux élevés d'IgE sériques (> 2 000 UI/ml), un eczéma chronique ressemblant à une dermite atopique des infections cutanées et sinopulmonaires récurrentes, une candidose cutanéo-muqueuse fréquente. Les anomalies biologiques incluent la présence de taux élevés d'IgE anti-Staphilococcus aureus et anti-Candida albicans, la présence d'une éosinophilie modérée et d'une diminution du chimiotactisme des neutrophiles sans déficit de la fonction phagocytaire (Rebora et coll., 1978 ; Stanley et coll., 1978 ; Roth et coll., 1992). La synthèse anormale d'IgE pourrait être le résultat d'un déséquilibre entre les deux sous-populations de cellules T auxiliaires, cellules T helper 1 et T helper 2 (Dreskin et coll., 1985 ; Cohen-Solal et coll., 1995). L'importance de la diminution du chimiotactisme qui est apparemment extrinsèque aux neutrophiles varie d'un malade à l'autre et, pour un même malade, en fonction du temps. On a également mis en évidence un déficit en IgA anti-Staphylococcus aureus et en IgA salivaires totales (Dreskin et coll., 1985). Mises à part les anomalies immunitaires, de nombreux malades présentent une dysmorphose faciale et des anomalies osseuses qui peuvent conduire à l'ostéoporose. L'augmentation de la destruction osseuse corticale pourrait être due à la présence d'une activité de résorption osseuse issue de cellules mononucléées activées par les IgE (Cohen-Solal et coll., 1995). Les malades présentent également une gingivite qui est parfois associée à une parodontite (Charon et coll., 1985 ; Van Dyke, 1985).

Autres. L'allotype R131 du RFcgIIa qui présente une faible affinité pour les IgG2 (Parren et coll., 1992) peut prédisposer à des infections à Neisseria meningitidis (Bredius et coll., 1994) et Actinobacillus actinomycetemcomitans (Wilson et Kalmar, 1996).

Anomalies de la bactéricidie

Granulomatose chronique (GC). La GC est une maladie rare héritée soit selon un mode de transmission récessif lié à l'X, soit selon un mode autosomique récessif (tableau I). La base moléculaire de cette maladie est la présence de mutations affectant les gènes qui encodent chacun des quatre composants majeurs de la NADPH-oxydase. D'un point de vue biochimique, la présence d'une NADPH-oxydase anormale provoque une baisse de la production d'intermédiaires réactionnels oxygénés. En conséquence, les phagocytes ingèrent mais ne tuent pas les micro-organismes catalase-positifs (Boxer et Morganroth, 1987), qui peuvent ainsi survivre et se multiplier dans les cellules où ils sont protégés des anticorps, du complément et de la plupart des antibiotiques. Les micro-organismes catalase-négatifs sont tués normalement car le peroxyde d'hydrogène qu'ils produisent est utilisé par le système MPO (peroxyde d'hydrogène-myéloperoxydase-halogène) pour former de l'acide hypochloreux au lieu d'être détruit. Toutefois, dans les deux cas, les micro-organismes ne sont pas digérés correctement puisque, en l'absence de production d'anion superoxyde, il n'y a pas d'élévation initiale du pH intra-vacuolaire mais, au contraire, une chute importante du pH qui empêche l'action des protéases neutres contenues dans les granules (Segal et coll., 1981). Les pathogènes le plus couramment rencontrés sont : Staphylococcus aureus, Serratia marcescens, Escherichia coli, Klebsiella, Pseudomonas, Aspergillus sp et Candida albicans (Boxer et Morganroth, 1987 ; Arbiser, 1995). Sur le plan clinique, la GC est caractérisée par la présence d'infections bactériennes et fongiques récurrentes compliquées de micro-abcès et de granulomes (Boxer et Morganroth, 1987 ; Arbiser, 1995). Le poumon, le foie et les ganglions lymphatiques sont les sites le plus souvent touchés, mais n'importe quel organe peut être affecté. On peut observer des ostéomyélites multi-focales (Boxer et Blackwood, 1996). La maladie peut débuter à n'importe quel âge (Boxer et Morganroth, 1987 ; Schapiro et coll., 1991) et le tableau clinique est variable. La forme liée à l'X est plus sévère que la forme autosomique et, chez un individu féminin porteur du trait, la sévérité est directement liée à la proportion des neutrophiles qui expriment le phénotype GC (lyonisation). La gingivite semble être un des symptômes de la GC (Charon et coll., 1985 ; Cohen et coll., 1985), mais il ne semble pas qu'il y ait une prédisposition au développement d'une parodontite précoce (Cohen et coll., 1985).

Discussion

Les affections, syndromes ou maladies, que nous venons d'évoquer démontrent clairement qu'une dysfonction des neutrophiles peut provoquer l'apparition d'une maladie parodontale dont la sévérité est fonction de la nature même de la dysfonction. Ainsi, les parodontopathies sont-elles plus sévères lorsqu'il existe une anomalie quantitative (neutropénie) ou lorsque les neutrophiles sont incapables de migrer vers les foyers infectieux (déficit d'adhérence leucocytaire ou LAD). En ce qui concerne les neutropénies acquises, la sévérité de ces parodontopathies est directement proportionnelle à la soudaineté de l'apparition de l'épisode neutropénique ainsi qu'à sa durée et à son importance.

Les symptômes présentés par les patients porteurs d'anomalies du chimiotactisme sont généralement moins sévères, excepté dans le cas du syndrome de Chédiak-Higashi. Mais, dans ce dernier cas, la présence des granules géants provoque une séquestration intra-médullaire des neutrophiles et donc une neutropénie. En outre, la présence de ces granules est responsable non seulement d'une diminution de la motilité et du chimiotactisme, mais également d'un ralentissement de la dégranulation et de la bactéricidie. Dans ce syndrome, toutes les fonctions des neutrophiles sont donc affectées, ce qui peut rendre compte de la sévérité des manifestations cliniques. Le déficit en granules spécifiques s'accompagne d'une diminution du chimiotactisme et de l'intensité de l'explosion respiratoire alors que la bactéricidie est normale. Cette absence d'anomalie de la destruction intra-cellulaire est due au fait que la plus grande partie des protéines bactéricides est stockée dans les granules azurophiles qui ne sont pas affectés, hormis en ce qui concerne leur contenu en défensines. Quant au syndrome d'hyperimmunoglobuline E, il s'accompagne d'un déficit variable et inconstant du chimiotactisme et c'est sans doute pour cette raison que la parodontite précoce n'est pas systématique.

Les anomalies isolées de la bactéricidie ne semblent pas constituer un facteur de risque pour les parodontites sévères. L'absence d'atteinte parodontale sévère au cours de la granulomatose chronique peut s'expliquer par l'efficacité des mécanismes bactéricides indépendants de l'oxygène, par la nature anaérobie des micro-organismes responsables de la progression des parodontopathies et par l'antibiothérapie prophylactique continue prescrite à la plupart de ces malades. Cependant, cette antibiothérapie n'est sans doute pas un facteur déterminant puisqu'elle n'empêche pas l'apparition de parodontites sévères chez les malades atteints de LAD, par exemple.

Ces derniers éléments démontrent que notre connaissance du rôle des neutrophiles dans le maintien de la santé parodontale est encore superficielle. Trop peu d'études portant sur les dysfonctions des neutrophiles comportent des informations détaillées sur l'état gingival et parodontal des malades. Il est donc nécessaire d'entreprendre d'autres études afin qu'il nous soit possible de mieux comprendre les mécanismes par lesquels les neutrophiles neutralisent les bactéries parodontopathiques préservant ainsi la santé parodontale et de déterminer les anomalies qui constituent véritablement des facteurs de risque pour les parodontites destructrices.

Demande de tirés à part

Marie Hélène COTTET, Faculté de Chirurgie dentaire Paris VII, 5, rue Garancière, 75006 PARIS - FRANCE.

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