Stress et parodontites : revue de littérature - JPIO n° 2 du 01/05/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/1998

 

Articles

Bruno G. LOOS *   Harry HAMMING **   Ubele VAN DER VELDEN ***  


*Departement of Periodontology Academic Center of Dentistry Amsterdam (ACTA), The Netherlands

Introduction

La susceptibilité à la parodontite peut être expliquée soit par des facteurs génétiques : des polymorphismes génétiques ou des mutations génétiques qui peuvent modifier

certaines fonctions du système immunitaire (Korman et coll., 1997), soit par des facteurs acquis du système immunitaire dus à l'environnement, qui peuvent changer un sujet résistant à la maladie parodontale en un sujet sensible...


Résumé

De nombreuses hypothèses ont été émises, depuis longtemps, sur le rôle du stress comme facteur étiologique des formes destructives de la maladie parodontale. Le stress est un terme utilisé pour décrire des aspects mal compris et complexes de troubles psychologiques, psychosociaux et physiologiques. Le stress serait la réponse psychophysiologique de l'organisme à une apparente provocation ou à une menace. L'intensité de la réponse au stress devant une situation donnée est déterminée par la perception de l'organisme et par sa capacité à faire face à la situation. Depuis le début des années 50, un nombre de plus en plus important d'études ont tenté d'établir la relation entre stress et maladies parodontales. La plupart du temps, des indices parodontaux ont été utilisés, incluant les caractéristiques des gingivites et des parodontites. La plupart des études ne comprenaient pas de groupes contrôles. Les premières études incluaient des facteurs d'état caractériels de patients le plus souvent psychiatriques. Dans les années 80, les événements importants de la vie et leurs conséquences servaient de mesure au stress et ses conséquences sur les parodontites. Dans les années 90, des études contrôlées et longitudinales ont utilisé le rapport caractère psychosocial état des patients ainsi que les événements de la vie pour mesurer le stress. Ces études ont permis d'étayer l'hypothèse de la relation stress-parodontites. A partir d'études cliniques et surtout de travaux in vitro, on a pu dire que le stress affaiblit l'efficacité du système immunitaire et par conséquent la réponse de l'hôte. On ne sait toujours pas, cependant, si ces influences sont importantes sur la maladie en général, ou sur les parodontites, en particulier. Il est important de noter que le stress peut provoquer des modifications du comportement : négligence des habitudes d'hygiène orale, augmentation de la consommation de tabac, et peut-être diminution de la nutrition et de l'apport en vitamines et alcoolisme. Après cette revue de littérature, il est possible de conclure que le stress a bien un rapport avec les maladies parodontales destructives, mais il n'est pas possible d'affirmer quelle est l'importance de son impact sur le développement de la maladie.

Introduction

La susceptibilité à la parodontite peut être expliquée soit par des facteurs génétiques : des polymorphismes génétiques ou des mutations génétiques qui peuvent modifier

certaines fonctions du système immunitaire (Korman et coll., 1997), soit par des facteurs acquis du système immunitaire dus à l'environnement, qui peuvent changer un sujet résistant à la maladie parodontale en un sujet sensible (Seymour, 1991). Ceci englobe non seulement les maladies systémiques, mais aussi l'infection due à une souche particulière de pathogènes ou une dépression du système immunitaire due au tabac ou au stress.

Comprendre le rôle du stress en tant que facteur aggravant de la maladie parodontale est le défi thérapeutique actuel ; en effet, on pense depuis des années que le stress pourrait augmenter la susceptibilité aux parodontites (pour revue, voir Ballieux, 1991 ; Monteira da Silva et coll., 1995 ; Breivik et coll., 1996).

Le terme « stress » recouvre un ensemble complexe et insuffisamment connu de facteurs psychologiques, psychosociaux et physiologiques. Le stress est, en fait, la réponse psychophysiologique d'un organisme, devant la perception d'un défi ou d'une menace (Breivik et coll., 1996). L'intensité de la réponse à une situation donnée est déterminée par la perception qu'en a le sujet et par son aptitude connue à dominer la situation (ou à s'y adapter) (Breivik et coll., 1996). On doit savoir, aussi, que le stress en relation avec la maladie parodontale a un caractère chronique, et n'est pas dû à un événement unique dénué d'effets psychologiques ou émotionnels durables.

Il est tout à fait admis aujourd'hui que le stress dû à certains traits de caractère, états psychologiques ou événements majeurs (négatifs), peut avoir une influence sur le système de défense de l'hôte (Ballieux, 1991 ; Monteira da Silva et coll., 1995 ; Breivik et coll., 1996). Il faut être conscient que des messagers chimiques comme les neurotransmetteurs et les neuropeptides du système nerveux, les hormones des glandes endocrines et les médiateurs immuns comme les cytokines et les prostaglandines puissent régir l'interaction cerveau-système immunitaire. Ce domaine de la recherche, appelé immunologie psycho-neuro-endocrine, a permis d'étudier, ces dernières années, les effets des différents agents stressants sur le système immunitaire. On a démontré que le stress augmente la libération d'hormones comme le cortisol, l'hormone adrénocorticotrope (ACTH), l'endorphine, l'épinéphrine (adrénaline) et la norépinéphrine (noradrénaline) et que ces hormones peuvent avoir de nombreux effets sur le système immunitaire. Il est prouvé que le cortisol inhibe :

- la prolifération des cellules T en réponse aux mitogènes ;

- la production de lymphokines ;

- la fonction monocytaire ;

- les cellules T suppresseurs ;

- la réponse cytotoxique ;

- la production des immunoglobulines sériques.

Certaines hormones suppriment l'activité des cellules NK, tandis que d'autres l'augmentent. On doit, néanmoins, garder présent à l'esprit que beaucoup d'études ont été faites in vitro avec des hormones spécifiques à doses pharmacologiques.

Donc, le stress chronique a bien un effet négatif caractérisé sur l'efficacité de la réponse immunitaire (Ballieux, 1991 ; Monteira da Silva et coll., 1995 ; Breivik et coll., 1996).

La plupart des études montrent que le stress psychologique affecte surtout le système immunitaire au niveau cellulaire, et n'a que peu d'effet sur la production d'anticorps sériques (Workman et La Via, 1991). Il faut savoir que les sujets soumis au stress d'un examen voient décroître les facultés de réponse de leurs cellules T. Une observation semblable a été faite au cours de deuils chez des individus examinés avant et après la perte d'épouses souffrant de cancers du sein. Les hommes, séparés ou divorcés, présentent une diminution du contrôle cellulaire des virus latents, et les femmes séparées ou divorcées ont une réponse lymphocytaire réduite. Le stress provoqué par des ennuis conjugaux entraîne une diminution des aptitudes cellulaires (Workman et La Via, 1991). Si le stress a très peu d'effets sur les cellules produisant les immunoglobulines du plasma, il est intéressant de noter que les sujets à haut niveau de stress présentent plus d'infections des voies aériennes supérieures, avec de bas niveaux d'IGA salivaires. Ces changements dus au stress sont le fait d'une production augmentée des neurotransmetteurs (nor)épinéphrine (Ballieux, 1991).

De la même façon, on sait que les personnes subissant des stress psychologiques et ou émotionnels ont une susceptibilité augmentée aux parodontites avec un épisode de perte d'attache (Seymour, 1991 ; Ballieux, 1991 ; Monteira da Silva et coll., 1995 ; Breivik et coll., 1996). La preuve d'une corrélation stress-maladie parodontale semble se confirmer continuellement.

Stress et maladies systémiques

De nombreuses études ont rapproché facteurs psychologiques et maladies infectieuses (Silver et coll., 1986 ; Kiecolt-Glaser et coll., 1988, 1991 ; Cohen et coll., 1991 ; Cohen et Williamson, 1991 ; Sheridan et coll., 1994 ; Kiecolt-Glaser et Glaser, 1995). Mais la majorité de ces travaux sur le stress et les défenses de l'hôte ne confirment pas la preuve d'un lien causal entre les changements dus au stress dans les fonctions immunes et dans le développement des maladies immunitaires (Hillhouse et coll., 1991 ; Kellner, 1991). Certaines de ces études sont ici brièvement passées en revue.

Dans une étude longitudinale, en 1991, Kiecolt-Glaser et coll. ont examiné et comparé à un groupe contrôle des sujets qui avaient soigné leurs conjoints atteints de démence. Les soignants étaient non seulement stressés de façon chronique, mais présentaient des déficiences immunologiques se traduisant par des infections, en particulier des voies aériennes supérieures, pendant plus longtemps. Enfin, les soignants ont eu plus de dépressions que le groupe contrôle.

Dans une étude sur les effets des problèmes conjugaux chez les hommes, 32 hommes séparés/divorcés furent comparés à un groupe contrôle marié (Kiecolt-Glaser et coll., 1988). Les séparés ou divorcés étaient plus affligés, plus isolés et présentaient plus de maladies récemment contractées que les hommes mariés. Les séparés/divorcés qui avaient pris l'initiative de la séparation et étaient séparés depuis moins d'un an étaient moins stressés et en meilleure santé que ceux qui avaient subi la séparation.

Silver et coll. (1986) étudièrent, eux, les relations entre les facteurs psychologiques et les lésions récurrentes dues au virus herpès simplex. Les récurrences et la douleur étaient proportionnelles au niveau de détresse psychologique. Il semble que la variable la plus importante de cette étude soit la façon de gérer le stress, comme l'indique le taux plus élevé de récurrence chez ceux qui restaient fixés sur leur émotion en évitant toute recherche de réadaptation.

Enfin Cohen et coll. (1991) ont étudié la corrélation stress-rhume par inoculation contrôlée d'un des nombreux virus connus. L'infection fut appréciée par isolation virale et mesure des anticorps spécifiques. Les différents degrés de maladie ont été codés par les participants et les examinateurs. Les résultats montrent les relations entre le stress et les infections à virus et la proportion entre le degré d'atteinte clinique et l'importance de la stimulation.

Stress et maladies parodontales

Estimation du stress

Certains facteurs psychosociaux ont été associés aux maladies parodontales en tant que mesures de stress. Ces facteurs comprennent, schématiquement les petits et grands facteurs de stress, c'est-à-dire les soucis quotidiens mineurs et les grands événements de la vie ainsi que la perception subjective de ces stress ; et les traits de caractère et les changements de situation. Les instruments de mesure de stress revêtent souvent la forme d'autoquestionnaires dont les termes ont été validés. Les études plus anciennes avaient recours à l'interview pour les estimations de stress dans les domaines médical et dentaire. Par exemple, sont classés stress mineurs les soucis quotidiens comme les embarras de la circulation, les objets volés, les clés perdues ainsi que les traitements médicaux ou dentaires. Et sont classés stress majeurs ceux qui touchent aux événements de la vie comme le travail, la situation financière, la santé, la famille et les amis ainsi que les problèmes conjugaux. Les traits de caractère (caractéristiques psychologiques) comprennent l'hostilité, la névrose, l'introversion ou l'extraversion. Les états psychologiques recouvrent, quant à eux, l'épuisement et la dépression.

Stress et gingivite ulcéro-nécrotique (GUN)

L'association gingivite ulcéro-nécrotique (GUN), stress émotionnel et diminution des résistances de l'hôte est admise. On a même considéré qu'un stress récent pouvait être le plus classique des facteurs prédisposants à ce type d'affection. Tout ce qui concerne le diagnostic et le rôle du stress en tant que facteur étiologique secondaire ont été passés en revue par Johnson et Engel (1986). Une seule étude sera rapportée ici pour illustrer la relation stress-GUN, celle de Cohen-Cole et coll. (1983). Il s'agit d'une étude enregistrant les données psychiatriques, psychosociales et endocrines pendant et deux semaines après une manifestation symptomatique de GUN. Le groupe test comprenait 35 patients souffrant de GUN (issu d'un centre de soins parodontaux), et a été comparé à un groupe contrôle de 35 sujets en bonne santé, semblable du point de vue de l'âge, du sexe et du niveau d'hygiène. Un test de tri fut réalisé au niveau psychiatrique et des enquêtes fondées sur les rapports des patients eux-mêmes servirent à apprécier les événements à stress. Des prélèvements d'urine et de sang ont été faits à intervalles périodiques chez tous les sujets afin de tester leurs fonctions immunitaires et endocrines. Les patients avec GUN rapportèrent significativement plus d'événements négatifs et un retentissement plus grand de ces événements sur leur existence. En outre, le dépistage révéla de façon également significative plus de pathologies psychiques (anxiété, dépression et déviances psycho-pathologiques), non seulement pendant la phase aiguë de la maladie, mais également après complète guérison, deux semaines plus tard. Les patients montraient :

- une élévation des niveaux de cortisol sérique avant la résolution de la GUN ;

- des niveaux élevés de cortisol dans l'urine nocturne avant et après résolution de la maladie ;

- une dépression de la prolifération lymphocytaire ;

- une dépression de la chémotaxie et de la phagocytose des PMNs.

Ces résultats tendent à prouver que certains facteurs d'origine psychiatrique ou psychosociale peuvent jouer un rôle significatif dans l'étiologie des GUN à travers des mécanismes endocrines ou immunitaires.

Stress et autres maladies parodontales

Etudes sur le caractère et/ou sur les états psycho-pathologiques

Du début des années 50 aux années 70, l'essentiel de la littérature s'est cantonné à des études croisées ou des rapports de cas. La relation entre les traits de caractère et les états psycho-pathologiques et l'état parodontal était étudiée chez des sujets avec ou sans problèmes psychiatriques, et qui n'étaient pas sélectionnés à partir de critères parodontaux (Manhold, 1953 ; Belting et Gupta, 1961 ; Davis et Jenkins, 1962 ; Vogel et coll., 1977).

Dans une étude sur 50 sujets de la Marine des Etats-Unis, Manhold et coll. (1953) ont observé une corrélation positive entre deux traits de caractère tels que la névrose et les tendances extraversion/introversion et la maladie parodontale. Belting et Gupta (1961) comparèrent un groupe de 104 anciens combattants à un second groupe de 122 traités pour d'autres problèmes médicaux. Ils ont noté un degré de maladie parodontale significativement plus élevé dans le premier groupe et, à niveau identique de fréquence de brossage, des indices parodontaux également plus élevés dans ce groupe. Dans une autre étude sur patients psychiatriques, Davis et Jenkins (1962) ont observé une relation significative entre la grande psychose d'angoisse et la maladie parodontale. Quant aux névroses, Vogel et coll. (1977) ont étudié une population traitée dans le centre de soins d'une école dentaire et ont remarqué une corrélation significative entre introversion et plaque dentaire, perte osseuse (appréciée radiographiquement) et état parodontal dans son ensemble. On peut dire, cependant, que la relation névrose-perte osseuse n'était pas significative à tous âges.

Il faut remonter à deux études antérieures (Moulton et coll., 1952 ; Miller et coll., 1956) pour voir des patients, atteints de parodontopathies, examinés sur le plan des traits de caractère ou des facteurs de stress. Les 22 sujets de Moulton avaient été examinés à la fois par un psychiatre, un chirurgien-dentiste généraliste et un parodontiste. La persistance du stade oral était le problème majeur du groupe avec GUN ou avec parodontite de l'adulte (le stade oral s'entendant comme une focalisation excessive au niveau de la bouche, un sentiment d'insécurité chronique maintenant les sujets à des formes infantiles de jouissance orale, et une dépendance très forte envers les parents ou le conjoint). Miller et coll. (1956) observèrent un lien entre l'angoisse et la maladie parodontale chez 50 patients souffrant de parodontite chronique de l'adulte. Leurs groupes de référence étaient constitués de 2 000 étudiants et de 100 patients psychotiques.

Etudes sur les grands événements de la vie

C'est effectivement au niveau des agents majeurs de stress et d'un lien éventuel avec la maladie parodontale que s'est focalisée l'attention dans les décennies 70, 80 et 90.

Par exemple, le bruit de l'avion semble être un agent majeur de stress associé à la maladie parodontale parmi les équipages (Haskell, 1975). Furent comparés dans une étude croisée trois groupes de 25 hommes chacun :

- des pilotes d'avions de chasse (portant des casques anti-bruit, d'âge moyen 34 ans) ;

- des pilotes et des équipages d'avions à hélice quadrimoteurs (sans protection phonique, d'âge moyen 33 ans) ;

- du personnel au sol engagé non exposé au bruit des avions (groupes contrôles, d'âge moyen 26 ans).

La plus importante perte osseuse fut observée dans le groupe avions à hélice. On remarqua aussi une proportionnalité entre le degré de perte osseuse et le nombre d'heures de vol chez les pilotes.

Le " syndrome parodontal de stress " a été décrit par De Marco en 1976. Onze sujets (d'âge moyen 27 ans, s'échelonnant entre 22 et 32 ans) présentaient une alvéolyse sévère qui ne pouvait être expliquée par aucun facteur étiologique " habituel ". Le seul point commun à tous ces sujets était le stress enduré pendant la guerre du Vietnam. Krasner rapporta également en 1978 sept cas de parodontites chez des sujets ayant subi des épisodes de grand stress au cours des années précédentes sans qu'il s'agisse de militaires ou d'anciens combattants.

Une des premières études systématiques de ce type fut celle de Green et coll. en 1986. L'échantillon était constitué de 50 anciens combattants. Le degré de stress subi avait été apprécié à l'aide d'un auto-questionnaire relevant tous les événements des douze mois précédents. Furent relevés parallèlement les indices gingivaux et parodontaux. La corrélation fut considérée comme d'autant plus significative que les stress augmentaient. Ce fut particulièrement vrai pour un sous-groupe de 10 exclus de l'étude.

En 1992 Marcenes et Sheiham publièrent une étude sur l'éventuelle corrélation événements de la vie-état de santé dentaire. Les variables prises en considération avaient été les aspirations professionnelles, la variété du travail effectué ainsi que le statut conjugal et socio-économique. L'appréciation parodontale fut faite grâce au nombre de dents saignant au sondage ou avec poches parodontales, et permit d'établir une corrélation positive entre tous les facteurs considérés. Par contre, la très grande majorité des sujets n'avaient que des gingivites ou des parodontites modérées. Dans une autre étude de 1993, Marcenes et coll. étudièrent la relation, stress de la vie et symptômes oraux rapportés par les patients eux-mêmes, et établirent une corrélation positive. Il est à noter que les problèmes familiaux, divorce excepté, furent les événements le plus souvent pris en considération.

Une étude intéressante a été faite par Croucher et coll. en 1997 sur 100 patients (ayant tous au moins un site présentant plus de 5,5 mm de perte d'attache, âge moyen 42 ans). Tous les événements des 12 mois précédents ont été enregistrés ainsi que l'importance qui leur avait été accordée. Le nombre des événements était semblable dans les deux groupes mais les patients, présentant des maladies parodontales, avaient tendance à citer plus de stress négatifs et moins d'événements positifs que le groupe contrôle et ce de manière hautement significative. Ils avaient également observé que, même après pondération de la covariable tabac, la corrélation demeurait très significative.

Une autre approche de l'éventuelle relation stress-parodontite a été faite par Ludenia et Donham en 1983. Ils enregistrèrent chez 101 anciens combattants (âge moyen 53 ans) les événements en relation avec l'état de santé, mais aussi « le point de contrôle de l'état de santé » et l'importance de la maladie parodontale. Ce point mesure la façon dont les sujets avaient apprécié et géré les événements liés aux problèmes de santé. Deux voies sont possibles :

1) la « voie interne » dans laquelle les sujets considèrent que leur santé est en relation avec leur comportement et qu'elle est, dès lors, contrôlable ;

2) la « voie externe », dans laquelle les sujets pensent qu'ils n'ont aucun contrôle sur l'événement et que celui-ci n'est déterminé que par la chance, le destin ou l'action d'autrui. En dépit de l'hypothèse expérimentale, aucune corrélation n'a été établie entre type de voie et maladie parodontale.

Etudes sur les événements de la vie et les traits de caractère et/ou les états psycho-pathologiques

Une étude du début des années 80 (Baker et coll., 1961) ainsi que deux études récentes (Monteira da Silva et coll., 1996 ; Hamming et coll. 1998) ont examiné simultanément tous ces facteurs. Baker et coll. (1961) ont trouvé une corrélation positive entre pathologie parodontale, problèmes conjugaux, familiaux et hystérie chez 62 patients atteints de troubles psychologiques, le phénomène n'étant pas observé dans un groupe contrôle de 40 patients. Dans une très belle étude, Monteira da Silva et coll. ont analysé leur échantillon en fonction des facteurs socio-psychologiques. Il s'agissait de 50 sujets, atteints de parodontites à progression rapide (PPR), âgés de 38 ans en moyenne ; de 50 autres sujets, atteints de parodontite de l'adulte (P), âgés de 45 ans en moyenne ; et d'un groupe contrôle de 50 sujets âgés de 39 ans sans destruction parodontale notable. Une corrélation positive fut enregistrée entre les facteurs psychosociaux, PPR et P. En outre, le groupe PPR montra plus de signes de dépression que les groupes P et contrôle. enfin, le groupe PPR comptait plus de solitaires que les deux autres groupes réunis.

Nous avons réalisé nous-mêmes, en 1998, dans notre département (Hamming et coll.) une étude croisée destinée à vérifier l'association possible entre événements grands et petits, profil psychologique, psychoses " d'hostilité " et " d'épuisement " et maladie parodontale. Nous avons évalué, grâce à des questionnaires, les différences psychosociales entre un groupe de patients soignés " pour des problèmes parodontaux dans le département et un groupe contrôle sain recruté chez les généralistes. Les agents stressants ont été divisés en incidents mineurs de la vie quotidienne et événements majeurs des douze derniers mois. Alors qu'aucune relation n'avait été établie entre soucis quotidiens et maladie parodontale, certains événements ont semblé y être plus fréquemment associés comme le travail et, à un moindre degré, les problèmes de santé. Nous avons, de plus, observé que les individus souffrant de problèmes parodontaux sévères avaient plus de soucis financiers que les individus avec parodontites modérées.

Etudes longitudinales

Une étude prospective de Freeman et Goss (1993) sur 18 sujets avait fait l'objet d'une communication préliminaire. Les indices de plaque, de saignement, de tartre et le sondage furent enregistrés sur 12 mois pour les premières molaires et toutes les incisives. L'enregistrement du stress professionnel avait été fait à chaque visite, en commençant par la première, le temps écoulé entre chaque visite n'étant pas rapporté. Les indices moyens de plaque et de sondage augmentèrent de façon significative du début à la 52e semaine, mais pas l'indice de saignement, le stress augurant d'une augmentation du sondage.

Dans une étude longitudinale effectuée sur 23 employés, procédant à des visites dentaires régulières, Linden et coll. (1996) ont noté une prévisibilité de la perte d'attache liée à l'âge, au niveau social, au manque de satisfaction professionnelle et aux personnalités de type A. Mais, dans la mesure où les niveaux de plaque, de tartre et de saignement au sondage léger étaient également très élevés, il est permis de se demander si le stress constitue bien une étiologie ou s'il ne fait que changer les comportements comme le relâchement des habitudes d'hygiène.

Une étude cas contrôle analysant les facteurs psycho-sociaux en relation avec la parodontite de l'adulte a été publiée en 1996 par Moss et coll. (1996). Soixante-dix-neuf individus (d'âge moyen 44 ans), présentant une maladie parodontale active, ont été comparés sur une période d'une année et un groupe contrôle de 85 sujets (du même âge) a été astreint à un enregistrement de la fatigue quotidienne, de la détresse psychologique et du type d'adaptation mentale du stress. Les tensions quotidiennes furent classées selon cinq groupes différents (professionnel, financier, conjugal, ceux liés au célibat ou à l'éducation des enfants, contraintes morales). Aucune différence n'a été observée au niveau des facteurs psychosociaux, mais une relation entre destruction parodontale et problèmes financiers ainsi qu'une difficulté à vivre le célibat dans le groupe contrôle a été observée. Une analyse plus poussée avec introduction de seuils révélateurs montra une relation nette indices élevés-soucis financiers et professionnels mais moins marquée avec la fragilité au niveau des relations humaines. Les associations pathologiques liées aux soucis financiers étaient plus fortes chez les individus ayant un revenu annuel inférieur à 30 000 dollars (180 000 F environ). La création de plusieurs modèles avec des variables différentes n'explique pas totalement la relation stress-maladie parodontale.

Changements de comportements liés au stress

Nous avons vu tout l'intérêt qui doit être porté à l'association stress psychologique-maladie parodontale, qui est supposée résulter d'un dérèglement du système immunitaire. Cependant, il faut souligner le fait que le stress mental peut avoir une influence sur le style de vie (pour revue, voir Monteira da Silva et coll., 1995). Il se peut que ce soit davantage le changement d'habitudes de l'hôte que la baisse de ses résistances qui aggrave la parodontite. La négligence des habitudes d'hygiène orale des sujets stressés pourrait faire augmenter les indices de plaque et, de ce fait, les rendre plus vulnérables à la maladie. Le fait est confirmé par Kurer et coll., qui ont observé que les indices élevés de dépression correspondaient aux indices élevés de plaque. Il est prouvé, en outre, que l'augmentation de la consommation tabagique due au stress aggrave la maladie parodontale (Haber et coll., 1993 ; Linden et Mullaly, 1994 ; Grossi et coll., 1995). Enfin, quoique peu classique dans le monde occidental, il est possible qu'une vie de plus en plus stressée conduise à la dénutrition, l'avitaminose et l'alcoolisme.

Dans une étude transversale, Sakki et coll. (1995) ont étudié le style de vie et le parodonte de 527 sujets de 55 ans. Seules les poches supérieures à 3 mm ont été prises en considération. En ce qui concerne le style de vie, ont été notés la fréquence du brossage, le type de diététique, la consommation d'alcool, de tabac et l'activité physique. Le niveau socio-économique a été enregistré et on nota une augmentation du pourcentage de dents présentant des poches supérieures à 3 mm avec une réduction du temps de brossage et une vie moins saine. De plus, une hypothèse a été émise concernant la corrélation entre maladie parodontale-statut socio-économique, ce qui pourrait être expliqué par les différences de mode de vie selon les groupes.

Conclusions

Le stress chronique (de caractère émotionnel) pourrait jouer un rôle de cofacteur étiologique (facteur secondaire). Pour la GUN, cela semble tout à fait évident. On a vu, depuis le début des années 50, un nombre croissant d'études tenter de corréler maladie parodontale et stress en englobant la gingivite et les caractéristiques du parodonte, mais beaucoup de ces études étaient faites sans comparaison avec un groupe témoin. Il fallut attendre le milieu des années 80 pour voir la recherche prendre en considération les types de personnalités, souvent chez des patients traités en psychiatrie. Green et coll. (1986) furent les premiers à étudier la corrélation événements de la vie-parodontite et, dès lors, une attention beaucoup plus grande a été accordée à cette relation. Bien que ces constatations aient été le plus souvent le fait de travaux in vitro, il semble bien que le stress soit à même d'affaiblir l'efficacité du système immunitaire et, donc, la réponse de l'hôte. Mais, bien qu'on ignore encore l'importance de son retentissement clinique en général, et plus précisément au niveau parodontal, le stress doit être pris en considération, dès lors qu'il provoque des changements comportementaux. Au terme de cette revue de littérature, il semble possible de conclure que le stress a une influence sur les formes destructives de la maladie parodontale, sans qu'il soit possible, pour l'instant, de déterminer son degré de nocivité.

Demande de tirés à part

Bruno G. LOOS, Department of Periodontology, Academic Center of Dentistry Amsterdam (ACTA), Louwesweg 1, 1066 EA AMSTERDAM - The NETHERLANDS.

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