Évaluation multifactorielle du risque dans le contrôle des maladies parodontales et des implants dentaires - JPIO n° 2 du 01/05/1998
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/1998

 

Articles

Philippe BOUCHARD  

Paris

Une des questions posées aux chercheurs et aux cliniciens est : quelle est la relation entre une ou plusieurs variables d'exposition et le déroulement de la maladie ? A l'approche du troisième millénaire, la réponse à cette question a complètement changé notre compréhension de la pathogénie des maladies multifactorielles et, en conséquence, le contrôle clinique des patients qui accumulent ces variables. Ces patients sont maintenant appelés " patients à risques " tandis que les...


Résumé

L'approche multifactorielle des processus pathologiques peut modifier le contrôle clinique des maladies. Cet article souligne l'importance d'un outil statistique, la régression logistique. Ce modèle mathématique bien connu autorise une analyse multivariée permettant d'identifier et d'évaluer l'impact des facteurs de risque sur l'état de santé. L'introduction de ces éléments statistiques de base est essentielle à la compréhension du nouveau concept de contrôle des maladies parodontales et des implants dentaires.

Une des questions posées aux chercheurs et aux cliniciens est : quelle est la relation entre une ou plusieurs variables d'exposition et le déroulement de la maladie ? A l'approche du troisième millénaire, la réponse à cette question a complètement changé notre compréhension de la pathogénie des maladies multifactorielles et, en conséquence, le contrôle clinique des patients qui accumulent ces variables. Ces patients sont maintenant appelés " patients à risques " tandis que les variables sont appelées « facteurs de risque ». Beck (1994) a défini un facteur de risque comme le maillon d'une chaîne causale associée à une maladie spécifique ou une caractéristique individuelle (c'est-à-dire un comportement personnel, une exposition à l'environnement ou un caractère génétique), capables d'exposer le patient à cette maladie. Cette relation causale a des implications directes sur la probabilité de survenue de la maladie qui peut être augmentée ou diminuée selon la présence ou l'absence de ces variables.

Jusqu'ici, il n'était pas possible de quantifier de façon précise cette probabilité et donc d'identifier les patients à risques. Les modèles statistiques, autorisant en recherche médicale l'ajustement des cofacteurs de risques et des facteurs de confusion, procurent de nouvelles informations susceptibles de modifier le contrôle clinique des maladies infectieuses. Grâce aux statistiques et aux études d'évaluation des risques, il est possible pour le clinicien de répondre à la question : de combien de fois le risque de contracter ou de développer la maladie est-il augmenté pour un patient particulier, sachant qu'il est exposé à un ou plusieurs facteurs de risque ? De plus, si la maladie peut être considérée comme un facteur de risque, elle devient elle-même une variable pour une autre maladie et son influence sur l'apparition de celle-ci peut être aussi quantifiée.

Ainsi, l'approche statistique du risque est la pierre angulaire de notre connaissance sur les probabilités d'échec ou de succès de nos traitements. Le nouveau concept est que les facteurs de risque doivent être évalués dans le pronostic et le traitement de nos patients.

Approche statistique élémentaire du risque

D'un point de vue médical, le risque se définit comme la probabilité qu'un individu a de développer une maladie donnée ou de subir une modification pathologique pendant une période spécifique (Kleinbaum et coll., 1982). Trois classes de variables peuvent être sélectionnées afin d'évaluer leur association à une maladie multifactorielle (tableau I).

Différents types d'études ayant trait à l'évaluation du risque sont à la disposition des chercheurs. Les rapports de cas suggèrent une association aux risques. Les études cas-contrôle identifient les indicateurs de risques. Un niveau de preuve plus élevé sur l'identification des indicateurs de risques est donnée par les études transversales. Les études épidémiologiques longitudinales identifient les facteurs de risques vrais. Les études d'intervention, c'est-à-dire les essais cliniques randomisés, sont capables de tester l'effet modifiant des facteurs de risques sur la maladie. A proprement parler, seul un facteur de risque confirmé par un essai clinique randomisé devrait être considéré comme un réel " facteur de risque ".

Analyses univariées

C'est l'analyse de l'association de deux variables. Si nous considérons une maladie, qui pourrait être par exemple une parodontite ou une péri-implantite, sous un angle dichotomique, en classant les sujets comme étant non malades (D0) ou malades (D1), il peut être intéressant d'évaluer dans quelle mesure le fait de fumer (S1) ou de ne pas fumer (S0) est associé à l'état parodontal ou péri-implantaire. Ceci peut être résumé dans un tableau 2 x 2 (tableau II).

Par exemple, a est le nombre de fumeurs qui ont la maladie dans l'échantillon. La taille de l'échantillon est n = a + b + c + d.

R1 est le risque d'avoir la maladie (D1) quand on est fumeur (S1) et R0 le risque d'avoir la maladie lorsqu'on ne fume pas (S0).

Une façon de présenter l'effet de la consommation de tabac sur la maladie peut être la différence absolue entre ces deux risques, connue comme le risque absolu (R).

R = R1 - R0 = a/(a+b) - c/(c+d)

Un autre moyen d'exprimer l'impact du tabac est le risque relatif ou risque ratio (RR).

RR = R1 / R0 = (a/(a+b)) / (c/(c+d))

Cependant, ce risque relatif ne peut être utilisé que si les données proviennent d'une étude de suivi, tandis que l'odds ratio (OR) est la seule estimation directe de la mesure de l'association, qu'il s'agisse d'une étude de suivi, une étude cas-contrôle ou d'une étude transversale.

OR = (R1/(1-R1)) / (R0/(1-R0)) = ad / bc

Il n'y a pas d'unité pour exprimer RR ou OR. Par exemple, si OR = 2,5 cela signifie qu'il y a 2,5 fois plus de risque pour le fumeur d'avoir la maladie que pour le non-fumeur. Pour résumer la valeur de RR ou OR :

> 1 : la variable doit être considérée comme un facteur de risque

= 1 : la variable ne doit pas être considérée comme un facteur de risque

< 1 : la variable a un effet protecteur contre la maladie

Analyses multivariées

Elles permettent l'analyse de multiples facteurs de risques et leur ajustement à différentes variables. Jusqu'ici, nous n'avons pas prêté attention à des variables complémentaires, comme l'âge, la race, les niveaux de plaques ou le sexe, qui n'étaient pas d'un intérêt primordial dans notre étude hypothétique. Cependant, il est important d'ajuster l'association tabac-maladie à ces variables. La variable d'exposition (fumeur) associée à des variables contrôlées (âge, race, niveaux de plaques, sexe) représentent un grand nombre de variables indépendantes que nous aimerions utiliser afin de prédire la variable dépendante (la maladie). Nous avons de nombreux choix possibles pour ces variables qui peuvent être variables d'exposition, variables contrôlées ou même combinaison des deux. Donc, nous considérons un problème multivarié. Cette interrelation complexe entre de nombreuses variables nécessite l'utilisation d'un modèle mathématique tel que la régression logistique.

Lorsqu'il est fondé sur des données d'une étude épidémiologique, ce modèle permet d'identifier les facteurs de risques à partir de celle-ci et prédit le risque de la maladie pour un patient spécifique. La régression logistique est la méthode multivariée la plus connue pour analyser et sélectionner les données épidémiologiques quand la maladie est considérée comme une variable dichotomique (c'est-à-dire avoir ou ne pas avoir la maladie). Elle peut être utilisée pour n'importe quelles variables dichotomiques (sexe, par exemple) ou continues (âge, par exemple). La formule de ce modèle est :

P(X) = 1 / (1 + exp ( - a + S bi x Xi) )

Xi est l'ensemble des variables mesurées à différents moments, α et β i représentent des paramètres inconnus qui sont évalués à partir des données de l'étude, à travers une méthode d'estimation. Les valeurs prises par ces paramètres sont fixes tandis qu'il est possible de modifier les variables : 0 ou 1 pour les variables dichotomiques et 1 à 90, par exemple, pour une variable continue telle que l'âge. Donc, la valeur du P(X) sera différente selon les modifications de la variable contrôlée.

Supposons que nous souhaitons utiliser ce modèle afin d'obtenir la prédiction du risque pour un patient spécifique, c'est-à-dire pour estimer la probabilité d'avoir la maladie. Le sujet a 20 ans, il est de sexe masculin et fumeur. Le calcul de P(X) nous donnera, par exemple, 20 % de risque. Si maintenant nous remplaçons la valeur 1 du fumeur par la valeur 0 du non-fumeur, le P(X) changera et donnera, par exemple, un risque de 5 %. Si nous divisons le risque prédit du fumeur par celui du non-fumeur, nous obtenons le risque ratio (RR).

RR = 0,20 / 0,05 = 4

Cela signifie que ce patient a 4 fois plus de risque d'avoir la maladie qu'un non-fumeur au même âge et de même sexe. Cette conclusion ne peut être énoncée sans l'intervalle de confiance (CI).

Si l'intervalle de confiance du RR ou du OR contient 1 (CI = [0,91 - 1,08] par exemple), la comparaison fumeur non-fumeur n'est pas statistiquement significative (CI95 %).

La régression logistique est robuste et peut être appliquée à n'importe quel schéma d'étude comprenant non seulement les études de suivi mais aussi les études cas-contrôle et les études transversales. Cependant, les odds ratios ne peuvent être obtenus que pour les études cas-contrôle et les études transversales. Dans ces études, l'évaluation du risque ne peut être estimée. Si le but de l'étude est d'évaluer l'association maladie-exposition en terme d'odds ratio, cette limitation n'est pas sévère. Cependant, l'odds ratio donne une bonne approximation du risque ratio. Si la maladie est rare, et c'est le cas de la péri-implantite et de certaines formes de parodontites, il est possible d'affirmer que l'estimation de OR à partir du modèle de la régression logistique donne l'approximation du RR.

On a insisté sur la distinction qui devait être faite entre les facteurs de risque prédictifs et les facteurs de risques vrais (Papapanou et Lindhe, 1997). Les facteurs de pronostic sont en relation avec la progression de la maladie tandis que les facteurs de risques vrais sont en relation avec le début de la maladie. Cette discussion formelle est importante parce que, comme nous l'avons décrit précédemment, l'analyse multivariée peut inclure de nombreuses variables qui peuvent agir les unes sur les autres. L'inclusion d'une variable qui n'est qu'une conséquence de la maladie peut être un facteur prédictif puissant et, en conséquence, masquer l'émergence d'un facteur de risque vrai.

Conclusion

Un nouveau champ d'investigation s'est développé en parodontologie depuis que nous savons que les parodontites sont des maladies bactériennes multifactorielles. Dans beaucoup de maladies infectieuses, l'unique présence de l'agent microbien étiologique n'est pas suffisante pour déclencher un processus pathologique. Les maladies parodontales sont dans le champ de ce nouveau concept concernant le développement des infections. Certaines études estiment que les bactéries n'entrent que pour 20 % de la variance dans l'expression de la maladie (Grossi et coll., 1994) tandis que les facteurs héréditaires interviendraient pour environ 50 % de cette même variance (Michalowicz, 1993).

En raison du petit nombre d'études longitudinales et de travaux cliniques randomisés associés à une analyse multivariée, l'identification des facteurs de risques est un nouveau défi qui prendra du temps avant d'être accompli. La consommation de tabac et le diabète semblent être des facteurs de risques vrais. Le stress et l'ostéoporose sont des facteurs de risques potentiels. Il n'y a pas assez de preuves pour considérer d'autres variables en tant que facteurs de risques vrais. En ce qui concerne les thérapeutiques implantaires, les études sont absentes.

En conséquence, le contrôle clinique de la maladie parodontale par élimination physique du biofilm microbien demeure une composante essentielle de la thérapeutique parodontale (Page et coll., 1997). Cependant, nous devons garder à l'esprit que, tant que nous n'en savons pas plus sur les facteurs de risques, toutes les variables susceptibles d'augmenter le risque d'évolution d'un processus pathologique doivent être prises en compte dans l'évaluation du pronostic, avec ou sans traitement.

L'auteur remercie Roger Caillon et Raneessa Kassim-Premdjee pour leurs conseils lors de la rédaction de cet article.

Demande de tirés à part

Philippe BOUCHARD, 52, avenue de Wagram, 75017 PARIS - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

  • BECK JD. Methods of assessing risk for periodontitis and developing multifactorial models. J Periodontol 1994;65:468-478.
  • GROSSI SG, ZAMBON JJ, HO AW, KOCH G, DUNFORD RG, MACHTEI EE, NORDERYD OM, GENCO RJ. Assessment of risk for periodontal disease. 1. Risk indicators for attachment loss. J Periodontol 1994;65:260-267.
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  • PAGE RC, OFFENBACHER S, SCHROEDER HE, SEYMOUR GJ, KORNMAN KS. Advances in the pathogenesis of periodontitis : summary of developments, clinical implications and future directions. Periodontology 2000 1997;14:216-248.
  • PAPAPANOU PN, LINDHE J. Epidemiology of periodontal disease in Clinical Periodontology and Implant Dentistry. Lindhe J, Karring T, Lang NP, eds. Copenhagen : Munksgaard, 1997:69-101.

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